Dans l'entre-deux guerre, deux jeunes-filles - cousines inséparables et confidentes - grandissent côte à côte, réunies à chaques vacances entre les murs d'une antique demeure de la campagne anglaise. La narratrice, abandonnée par ses parents aux bons offices d'une tante plus maternelle, reçoit une éducation moderne, école et professeurs, tandis que Linda n'obtient de son père, terriblement vieux jeu sur ce chapitre, que les manières essentielles à une jeune lady. L'une est raisonnable, facilement intimidée, n'aspire guère qu'à une vie paisible. L'autre, plus indolente et plus romanesque, poursuivra toute sa vie le grand amour - et ne fera guère que tomber de déception en déception.
Un petit parfum suranné flotte sur ce roman, qui fut un grand succès en son temps mais a depuis un peu vieilli. Un peu, pas tant que ça, car si la société entre temps a bien changé, si le statut des femmes n'est plus le même et si ce qui faisait scandale alors s'est aujourd'hui banalisé, la dualité qui définit les caractères des deux cousines, elle, est de tout temps, tout comme cette quête qui sous-tend toutes les actions de Linda. Et si cette société qu'on nous décrit est si haute en couleurs, si savoureuse, c'est qu'elle est déjà en total décalage sur son temps... ainsi que sur elle-même, terriblement XIXe siècle encore dans un monde qui a déjà bien évolué. D'un côté, la vieille aristocratie terrienne que représente Oncle Andrew, avec tous ses défauts mais non sans panache : têtue au point d'être bornée, ancrée dans des valeurs d'un autre âge mais irréductible face à l'adversité et non dénuée de coeur, condamnée à contempler les folies de ses enfants, à tempêter tant et plus et puis... à pardonner. de l'autre, l'aristocratie mondaine, bien plus moderne et cultivée, de Lord Merlin, esthète exquis qu'on dirait droit sorti d'un texte d'
Oscar Wilde. Rien d'étonnant à ce qu'il apprécie tant la bien nommée Linda, personnage éminemment esthétique - insupportable aux moralistes, aux matérialistes, aux féministes, aux férus du devoir ou de la raison, mais qui possède le charme puissant de ceux qui ne savent jamais être qu'eux-mêmes sans pouvoir se préoccuper longtemps de ce qu'on attend d'eux. Une femme intelligente dont l'éducation n'a pas su former l'esprit, égocentrique comme peut l'être un enfant qui a besoin qu'on s'occupe de lui mais pleine de bonnes
intentions, généreuse même, dénuée de toute fierté mal placée, assez lucide sur elle-même et sur ses propres erreurs, je l'ai trouvée pour ma part extrêmement attachante. Assez pour m'accrocher petit à petit à cette histoire qui au début ne me parlait guère, et dont une traduction souvent maladroite ne met guère le style en valeur.
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