Notre histoire est si difficile qu'elle a bien le droit d'être unique !
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J'ai essayé de m'absorber dans les devantures où dorment les beaux livres qui m'attirent comme d'autres le diamant au milieu de la tourbe.
On s'écrivait trop peu ces temps-ci sous l'effet de la commodité des communications. Écrire oblige à réfléchir entre les lignes, à former des mots qui prennent tout aussitôt un poids redoutable.
Il ne faudrait pas céder à l'indifférence. Garder l'œil ouvert, attentif au mouvement des choses et de l'esprit, je m'y essaie. Mourir avant la mort est démission, je l'ai toujours su. Mais il faut pour se vaincre tant de discipline.
Votre présence en moi me ramène à ce que j'attends quand je pressentais l'amour sans le connaître. Je n'ai rien de vous. Et tout ce qui est vous, je le désire et je l'accepte. Et j'aime sans savoir qui vous êtes. Imprudence? sottise? folie? Peut-être. A moins que le coeur n'ait la divination plus sûre que les sens. Vous ne saurez jamais combien vous comptez dans ma remise en ordre personnelle.
Je crois possible, de toute ma volonté, de rester sur la route où nous sommes sans en dévier et en amassant les richesses du coeur et de l’esprit qui sont à notre portée.
Rassurez-vous, il n'y a pas d'impôt de la tendresse. Ce que je vous écris là n'engage que moi, ne touche en rien, en rien du tout à votre liberté à mon égard.
Pourquoi vous écrire ? Je le désire depuis l’autre soir. J’aime vous parler, ou parler seul, à moi-même, tandis que vous êtes là, témoin, témoin critique, témoin ami aussi, je le crois. Vous m’avez accordé mardi une vraie joie. Je la prends comme elle est. Ne me la refusez pas seulement parce qu’il vous arrive de penser qu’il faudrait me la refuser.
Quel que soit le décor j'imagine surtout le bonheur de te voir, de te surprendre à Lohia, de rester longuement près de toi, d'entendre la musique, ta musique que nous aimons, de respirer notre climat, d'écouter le silence vivre entre nous, de te lire, en commentant les passages qui me frappent, de beaux livres choisis, de rechercher ces mouvements imperceptibles de la tendresse qui racontent la plus merveilleuse aventure humaine...
Je crois que rien ne se justifie si on ne consacre pas sa vie, si on ne la donne pas.