Comment ne pas penser à l'affaire
Ben Barka en lisant «
L'herbe des nuits » ? Tout y est, en effet, un homme abattu, un hôtel louche, des types peu fréquentables aux identités multiples, dont un agent des services spéciaux marocains, le Paris de la nuit, une enquête policière. Mais ce n'est évidemment pas une transposition pure et simple, c'est une fiction « qui fait penser à » L'intrigue se développe en filigrane, au travers de la brève histoire d'amour entre le narrateur et une jeune femme, Dannie, dont la participation au meurtre est de plus en plus probable. Et comme souvent avec
Modiano, le passé prend la forme d'une enquête qu'entreprend le narrateur 20 ans plus tard après qu'il a eu connaissance du rapport sur cette affaire qui lui a été remis par un inspecteur à la retraite. Cependant cette ressuscitation du passé reste parcellaire et conserve donc sa part d'ombre, ainsi qu'il sied à un assassinat politique. Mais au-delà de cette intrigue somme toute classique, se greffe une autre intrigue : qui est donc ce narrateur, mi-étudiant, mi-écrivain, qui a égaré son manuscrit dans une maison où il ne peut retourner, sauf à courir un danger ? Relevons quelques-unes de ses réflexions. A propos du passé qu'il essaie de reconstituer, il dit « le passé ? mais non, il ne s'agit pas du passé, mais des épisodes d'une vie rêvée, intemporelle » (p 55 de l'édition blanche).
Modiano essaie-t-il de nous dire que son personnage s'invente un passé, par pure fantaisie ? Hum ! J'hésite à considérer cela comme la clé du roman (quoique). Autre réflexion du narrateur p89 : « en ce temps-là, j'étais aussi sensible qu'aujourd'hui aux gens et aux choses qui sont en train de disparaître ». Sans aucun doute, c'est là le vrai
Modiano qui apparait derrière cette phrase du narrateur. Autre phrase très modianesque p106 : « le temps palpite, se dilate, puis redevient étale, et peu à peu vous donne cette sensation de vacance et d'infini que d'autres cherchent dans la drogue mais que moi je trouvais tout simplement dans l'attente ». Et une dernière, p151 : « je ne voyais plus très bien la différence entre le passé et le présent ». Alors, vous qui me lisez, êtes-vous maintenant persuadé(e) qu'il s'agit bien d'un livre de
Patrick Modiano ? Alors pour couronner votre lecture, allez retrouver comme le narrateur les pawlonias de la Place d'Italie, ils sont toujours là.