Après avoir lu
Dora Bruder (1997) et
Un pedigree (2005), j'achève la lecture de
Quartier perdu. Ce dernier roman a été publié en 1985. L'auteur avait alors 40 ans. Il avait déjà signé une douzaine de
romans et s'apprêtait à en écrire environ le même nombre jusqu'à aujourd'hui.
Dora Bruder est l'histoire d'une jeune fille juive recherchée par ses parents à la fin des années 30. Des dizaines d'années plus tard, l'auteur mène l'enquête pour retrouver la trace de la jeune fille.
Dans
Un pedigree, l'écrivain, de 54 ans à l'époque, part à la recherche de ses parents. Il explore la période précédant sa naissance jusqu'au moment où lui-même se trouve au seuil de l'âge adulte. Ses parents étaient le plus souvent absents. Ils évoluaient dans un monde aventureux, à la limite de la légalité, un monde mêlant tout à la fois la jeunesse, la beauté, la brillance, l'affairisme et la superficialité.
Quartier perdu est, quant à lui, l'histoire d'un homme de 40 ans qui habite Londres. Il est un écrivain à succès (il écrit l'équivalent des James Bond). Il est fortuné, marié et père de famille. Ses vies familiale et professionnelle semblent sereines et épanouies. Il se rend à Paris pour rencontrer un éditeur et choisit d'y rester afin d'explorer son passé. L'écrivain avait fui Paris à 20 ans pour une raison que l'on découvre en fin de roman. Il s'interroge sur les deux années, de 18 à 20 ans qu'il vécut dans la capitale. Ce fut une période trouble. Il fréquentait un groupe qui vivait la nuit et qui lui-même cultivait la nostalgie d'un passé plus brillant, plus animé, plus passionnant que le moment présent. le présent avait l'allure d'un déclin.
De même que
Dora Bruder et
Un pedigree,
Quartier perdu est le livre d'un retour sur un passé flou, évanescent, perçu comme un rêve. Ces trois
romans sont des
romans de la nostalgie.
De même que dans
Dora Bruder et
Un pedigree, le personnage principal est jeune. Il ne sait comment appréhender sa vie future.
Enfin, comme dans
Dora Bruder et
Un pedigree, l'amour de Paris est au coeur de
Quartier perdu. Dans ce dernier roman, il s'agit de l'ouest de Paris, un Paris nocturne, désert et accablé par la chaleur.
Quartier perdu possède cependant sa spécificité propre.
Du point de vue de la forme tout d'abord, ce
roman s'apparente à un roman policier. L'intrigue comporte un meurtre, une enquête, une fuite vers l'étranger et un changement d'identité. Ce « scénario », d'une grande précision, forme la colonne vertébrale du livre. le danger est un élément indispensable pour que Jean Dekker soit amené à fuir soudainement la capitale. La nostalgie éprouvée vingt ans plus tard est d'autant plus forte que la rupture fut brutale et involontaire. le contraste entre le début de vie de Jean Dekker (manque d'argent, absence de projet) et la vie actuelle de l'écrivain qu'il est devenu (une vie installée et bourgeoise) suscite également la curiosité du lecteur.
Mais c'est sur le fond que ce roman affirme, me semble-t-il, sa singularité profonde. Il m'apparaît être le roman de l'amour (et également celui de l'amitié) qui sauve(nt). Jean Dekker, le jeune protagoniste parisien, qui est un être jeune, peu déterminé, flottant et indéfini, se trouve soudain « empli » par le sentiment amoureux. Il s'attache à une femme séduisante, de 20 ans son aînée. À ses côtés, il ressemble à un enfant perdu.
Le roman dresse le tableau d'
une jeunesse perdue, sans structures, sans « tuteurs », ni direction, ni projet (sans désir ?). Pas de famille pour soutenir le jeune Jean Dekker. Celui-ci est essentiellement contemplatif et cet état de contemplation (proche de la passivité) trouve à se cristalliser dans l'amour qu'il éprouve pour Carmen, cette femme qui pourrait être sa mère, la mère absente justement.
De forts sentiments d'amitié attachent également Jean Dekker au groupe qui gravite autour de Carmen.
Jean Dekker est comme un enfant, qui ne peut qu'aimer. Il ne peut qu'aimer les gens qui l'entourent, des personnes qu'il n'a pas réellement choisies. le hasard de bagages à rapatrier sur Paris est en effet le prétexte de la rencontre avec Carmen. Un enfant choisit-il ses parents ? Jean Dekker a-t-il choisi Carmen ? Rien n'est moins sûr. Tout se passe comme s'il s'attachait à la première personne qui permet la rencontre, à la première personne qui se prête à être aimée.
Quartier perdu m'apparaît donc comme un livre qui, pour posséder nombre de caractéristiques propres à l'univers construit livre après livre par
Patrick Modiano, n'en possède pas moins également sa couleur et son originalité propres.