A force de les ranger dans les « Classiques », ces auteurs et (quelques) autrices du 17ème siècle, je trouve qu'on a tendance à les statufier, à les « momifier ».
Et pourtant ce
Molière, qu'il nous parle toujours, ce génie!
Et cette pièce,
le malade imaginaire, sa dernière, et même sa dernière représentation, quel sommet du théâtre, quel rythme, quelle fantaisie, quelle folie, et en même temps, quelle finesse psychologique, quelle richesse des thèmes abordés sur le mode de la comédie.
D'abord, je suis toujours surpris par sa qualité à traiter les personnages féminins , et aussi sa grande liberté de ton, qui me surprend à chaque fois, pour faire parler des femmes de son époque.
L'importance pour les jeunes filles de choisir l'élu de leur coeur, ça ne devait plaire à tout le monde dans cette société du 17 ème siècle, et son fort pouvoir religieux, et les mariages arrangés par les parents, ça reste toujours malheureusement d'actualité dans certaines parties de notre planète, dominées aussi par le pouvoir religieux.
Mais à côté des amoureux sincères, la belle Angélique et le beau Cléante, il y a aussi cette Beline, jeune femme perfide, cupide, qui profite de l'aveuglement de son mari le vieil Argan, cet hypocondriaque délirant jusqu'à l'absurde.
Et puis, autre surprise, l'assurance et même le pouvoir qu'a Toinette, la servante, et l'ingéniosité qu'elle déploie pour aider les deux jeunes tourtereaux. C'est elle qui trouve le stratagème pour confondre la traîtresse Béline et réconcilier Angélique avec son Argan de père.
Même le personnage de Louison, petite-fille d'Argan, est traité avec beaucoup de finesse, elle qui finalement ne s'en laisse pas compter quand son grand-père Argan cherche à la faire parler.
Dans cette pièce bien sûr,
Molière, le vrai malade, qui souffre et sait ce que vaut la médecine de son temps, va s'en donner à coeur joie, pour tourner en dérision, pour fustiger le charlatanisme du corps médical de l'époque. Une médecine qui ne sait rien, en définitive comme l'affirme Béralde, le frère plein de raison de ce fou d'Argan.
Cela donne des scènes savoureuses avec les médecins Diafoirus et Purgon, avec le pharmacien Fleurant qui vient administrer son lavement!
Et ça ira jusqu'à l'absurde, enfin pas tant que ça si on y repense, c'est que le malade étant son meilleur médecin, une cérémonie loufoque, délirante, parodiant ces Messieurs de la Faculté, va introniser Argan médecin de lui-même!
La médecine de cette époque était, certes, ignorante et les traitements qu'elle proposait ne s'appuyaient pour la plupart sur aucune donnée scientifique.
Molière l'avait bien compris, à ses dépends, hélas!, et cette pièce, je crois, est une forme de règlement de comptes avec la Médecine de son temps.
Les choses ont bien changé depuis, me direz vous. Mais il y a toujours des charlatans, parfois d'anciens médecins, qui profitent des peurs et de la crédulité des gens pour proposer, moyennant des rémunérations exorbitantes, des traitements qui ne sont fondés sur aucune preuve scientifique. Il y aurait là une matière à faire, de nos jours, une pièce de théâtre, ou un film pour dénoncer et se moquer de ces escrocs, mais peut-être cela a-t-il déjà été fait.
Je voudrais conclure en évoquant les personnages d'Argan et de Béralde. Je les ai ressenti, (j'ai peut-être tort, mais tant pis, je me risque), comme deux visages de
Molière lui-même, et ça m'a touché.
Argan, il a beau être malade imaginaire, je crois que le vrai malade
Molière y a mis de sa détresse, de sa faiblesse, de ses espoirs de guérir.
Et. Béralde, c'est le
Molière qui juge avec sévérité le charlatanisme des médecins, leur jargon fait pour cacher leur incapacité.
Et pour conclure de conclure, que cette pièce, dont le thème est quand même la maladie, est enlevée, drôle, jubilatoire, avec une fin complètement loufoque. Comme si l'auteur faisait un pied de nez à des gens qui ne peuvent rien pour lui,à la maladie et à la mort.
Ça m'a fait penser aux paroles de cette chanson du grand Jacques:
« J'veux qu'on rie, j'veux qu'on danse, j'veux qu'on s'amuse comme des fous,
J'veux qu'on rie, j'veux qu'on danse, quand c'est qu'on mettra dans l'trou! »