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Avec Odette Froyard en trois façons, Isabelle Monnin part sur les traces de sa grand-mère pour en reconstituer la vie. Comme pour réaliser un puzzle, elle va ramasser des pièces, d'abord dans ses souvenirs puis dans les archives. Ensuite la fiction viendra étoffer la vie de cette aïeule décédée en 1993.
Leur relation a duré vingt-deux ans, de la naissance de l'écrivaine à la mort d'Odette.
C'est presque trente ans après sa disparition que la narratrice, quinquagénaire, en plein confinement, et en phase dépressive, a eu alors comme une illumination. Ayant la conviction que toutes les vies méritaient d'être non seulement vécues mais distinguées, elle pense qu'à l'heure de son propre effacement, elle se doit de mettre en lumière cette femme invisible, cette femme ordinaire qu'a été Odette Froyard sa grand-mère.
Au fil des pages, elle fait ressurgir des souvenirs. Des souvenirs d'enfance qu'elle convoque d'ailleurs avec maestria.
Mais ce sont surtout des silences, une symphonie de silences dont elle se souvient et elle dresse même une liste de tout ce qu'Odette ne dit pas et cette phrase récurrente dans sa bouche « Oh ben y a rien à dire, motus et bouche cousue, allez allez on n'en parle pas ». Ces mots lui posent question, de quoi ne faut-il pas parler ?
Ainsi, n'arrivant pas à trouver de réponse, elle décide d'élargir le champ de ses recherches et celles-ci la conduiront de Gray, village de Haute-Saône où elle est née pendant la Première Guerre mondiale, au 19, rue de Crimée à Paris dans ce mystérieux orphelinat maçonnique dans les années 1930, jusqu'aux camps de la mort.
Pour pallier aux trous restés sans réponse, Isabelle Monnin va jongler enfin, avec tous les éléments en sa possession et inventer ce que ne lui avait pas confié sa grand-mère et arrive à faire revivre sous nos yeux ébahis l'histoire romanesque superbe de vérité, d'une femme en apparence sans histoire.
Odette Froyard en trois façons est un magnifique roman dans lequel Isabelle Monnin parvient avec talent mettre en lumière des vies effacées, s'attachant à montrer qu'il n'existe pas de vies qui ne valent rien.
À l'heure où il n'est question que de femmes puissantes, ce roman est une belle manière d'attirer l'attention sur des vies simples, ordinaires.
Au travers de cette vie minuscule, ce récit nous offre une traversée du siècle tout aussi bouleversante.
Isabelle Monnin réussit avec habileté et avec brio à faire de ce personnage de l'ombre une véritable héroïne, un des pouvoirs de la littérature.
Dans une langue imagée, où elle met en avant de nombreuses coïncidences troublantes qui ajoutent du piment à l'histoire, Isabelle Monnin nous livre un roman original et vibrant d'humanité.
L'incursion dans le fantastique avec ce court chapitre Au lac des Oubliés m'a par contre, laissée un peu sur le rivage…
Je souhaite bonne route à ce superbe roman en lice pour le Prix Orange du Livre 2024 et le Prix de la Closerie des Lilas 2024.

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L'énigme poignante d'une si proche inconnue.
2020, comment évacuer l'angoisse d'une vie en suspens si ce n'est en se plongeant dans la vie d'Odette Froyard, une grand-mère qui a fait de l'effacement une forme de bonheur paisible ? Une femme qui semblait se satisfaire de sa vie domestique entre les quatre murs de sa cuisine et n'a jamais débordé l'image de discrétion qu'on a voulu lui assigner.
La pudeur est une vertu, et on est tenté de lui en prêter mille face à l'hypertrophie de soi actuelle. Mais n'est-elle pas abdication ? le silence gardé sur son passé, sa jeunesse et l'histoire de sa famille ne dissimule-t-il pas un secret derrière la blouse de ménagère ?
Isabelle Monnin s'est lancée dans un travail d'exhumation mû par des fils invisibles, « il y avait des fils, je ne pouvais faire autrement que les suivre, et qu'importe si je m'y emmêlais ».
Avec une écriture pénétrante, magnétique, l'auteure mène un véritable travail documentaire, fouillant ses souvenirs, les archives. Elle se met à l'écoute de ce qui est muet, fait son miel des détails dévoilés pour imaginer une histoire qui s'écrit entre les lignes lorsqu'elle découvre que sa grand-mère n'a pas été préservée des grandes tragédies du XXe siècle. le silence se cristallise alors en secret que l'écriture interroge sans cesse.

Ce livre ne se contente donc pas de donner un ordre biographique, il dramatise avec force le silence obstiné pour en révéler des significations non visibles. Les impasses, les trous dans l'histoire, ce sont autant de chances de réinventer une grand-mère que sa petite-fille raconte d'un oeil ému.
Après tout, la fonction du roman n'est-elle pas de retrouver l'éblouissement au coeur de la banalité ?

En quelques pages, Isabelle Monnin vous emporte dans une fiction d'une belle intensité, qui puise cependant sa force dans la quête qui devient enquête, et dans l'observation singulière faite par l'auteure de ce qui est machinal. Sa démarche littéraire que je trouverais bouffie chez d'autres, et même beaucoup d'autres, est passionnante sous sa plume. L'écriture est lumineuse, on a le sentiment chez l'auteure que le geste d'écrire ne fait qu'un avec l'enquête.
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Cachée dans sa tanière de modestie, qui est Odette Froyard ?
Une grand-mère universelle ? Une sorte de couteau Suisse de l'intendance : cuisine, lavage, biberonnage, ménage, élevage, repassage comme l'époque l'inflige aux femmes comme elle née en 17. Sur les ruines d'un champ de bataille, aurait-elle été pire ou meilleure que ces gens ?

Pour la narratrice, sa petite fille : « Toutes les vies méritaient d'être non seulement vécues mais distinguées. Il y avait de l'extraordinaire dans chaque destin, fût-il éphémère ou apparemment sans relief. Odette Froyard n'avait aucune raison d'échapper à la règle, elle qui les respectait tant. Que se passe-t-il lorsque qu'il ne se passe rien d'autre que la vie qui passe ? Existe-t-il des vies qui ne valent rien ? »

Ce roman est une quête de vie, un refus de l'effacement de la moindre parcelle du passé.
La narratrice s'érige en rempart pour enrayer l'oubli à tout prix, parce qu'il est dit que personne ne meurt jamais vraiment tant que l'on pense toujours à lui.
« J'étais devenue la gardienne des petits riens, l'obsessionnelle chasseuse de traces. »

Malgré les lourds silences et les mystères impénétrables d'Odette Froyard, l'auteur, par la finesse et la délicatesse des mots agencés tresse à sa manière les trois façons de cette femme sensible, soumise, amoureuse, toujours attachante et très émouvante.

« A sa façon, discrète et efficace, Odette Froyard était ainsi une redoutable gardienne de l'ordre, dont elle était à la fois la matonne et la prisonnière. »

Par les souvenirs révélés, les petits riens, les dessins, les photos jaunies, les bouts de papier, avec l'aide de sa fratrie et de ses fréquentations rencontrées dans le tumulte de la France de l'occupation, de la guerre, des orphelinats, des déportations et des loges maçonniques ainsi qu'avec l'appui de ses aïeux appréciés pour leur conduite émérite et détestés pour leur attitude lâche que son histoire, celle de n'importe qui, fût en partie reconstituée et a donc de cette façon esquivé le puits sans fond de l'oubli.

« On est les histoires qu'on se raconte, elles sont des tremplins ou des pansements. »

Merci infiniment à Babelio pour la découverte de ce roman, de cette auteure à la très belle écriture et à Gallimard pour l'envoi de cet ouvrage.







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D'une parfaite inconnue, Isabelle Monnin la transforme en personnage unique d'un roman relevant à la fois de l'étude sociologique et de la généalogie, où la fiction vient combler les non-dits, d'une existence d'apparence lisse et réglée.

Attachant et poétique, Odette Froyard en trois façons est un hommage à une grand-mère adorée. À travers elle, c'est une ode à toutes les femmes de…, les mères de… qui ont choisi, au siècle dernier, de ne pas prendre la lumière, et qu'on a trop longtemps cantonné à l'apparence qu'elles nous ont laissée. « Pour tous, elle était, avant tout, sa femme. C'était plus qu'un statut social : une définition."

Vie d'une grand-mère
Au moment du confinement, Isabelle Monnin, déjà chancelante du côté de l'âme, décide de se consacrer à retrouver sa grand-mère plutôt que de sombrer plus avant dans le pessimiste environnant.

Odette Froyard est une femme qui ne déroge jamais de sa routine quotidienne immuable et effacée au monde. Alors, pour redonner une vie à cette grand-mère adorée, Isabelle Monnin part à la recherche des souvenirs de la fillette retrouvée.

Elle n'y trouve qu'une femme trop discrète, ponctuant ses conversations de dictons surannés.
Pourtant, une photo et une légèreté qui apparaissait une fois par mois avec ses soeurs, semblent contredire le portrait qu'elle a voulu laisser.

De ce point de départ auréolé de l'amour qu'elle lui porte, Isabelle Monnin part à sa découverte, l'ossature de sa recherche constituée de documents d'archives enrobés de fiction.

Pour moi, cette lecture fut longue car entrecoupée de chemins de traverses et de rêveries vers une autre passion qui occupe beaucoup de mon temps : la généalogie. La recherche de nos aïeux représente des chemins qu'il nous faut explorer pour connaître mieux notre présence dans le monde.

À découvrir !
Et Odette Froyard en trois façons contient les trois aspects qui animent des recherches généalogiques : curiosité, secret et patience. Sauf que le talent littéraire de Isabelle Monnin emmène bien plus loin en ouvrant à la fois sur l'universel par le goût du romanesque.

Ex-journaliste au Nouvel Obs, Isabelle Monnin a choisi depuis longtemps l'écriture pour ses créations. Odette Froyard en trois façons est son septième roman à caractère autobiographique. Sa collaboration avec Alex Beaupain pour l'album « Les gens dans l'enveloppe » inspiré de son roman lui assure la reconnaissance du public.

Odette Froyard en trois façons est un récit à lire pour le plaisir d'aller au-delà des apparences et de s'embarquer à sa recherche qui ressemble à s'y méprendre à toutes les femmes de l'après-guerre, découvrant de nouveaux horizons mais consciente de devoir rester toujours en retrait. Seulement, allons au-delà de l'enveloppe, comme Isabelle Monnin !
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Odette est la grand-mère de la narratrice. Une femme effacée, discrète, consacrée aux tâches ménagères, une « vie minuscule » aurait dit Pierre Michon.
Mais pour sa petite fille, cet effacement porte un secret.
Elle cherchera dans les souvenirs des uns et des autres, puis ira plus loin en fouillant les dépôts d'archives et enfin comblera les trous de l'histoire en romancière.
Il s'avère que Odette porte en elle un poids familial et une blessure au coeur, et qu'elle s'en arrange pour la vie.
Ce poids familial c'est le déshonneur qui accable les siens depuis que son propre grand-père, appartenant à l'élite bourgeoise de sa ville de Gray est tombé sous l'opprobre publique en se livrant à l'ivrognerie et en finissant par abandonner femme et enfants et fuir à Paris. Ce déshonneur pèsera lourdement sur ses descendants pendant plusieurs générations.
Plus tard, suite à la mort de leur père, Odette et ses frères et soeurs seront placés dans un orphelinat parisien. Un amour avec un jeune Juif placé là aussi y naîtra. Il sera inabouti de part les circonstances et la guerre. Odette aura longtemps au coeur l'espoir de retrouvailles avant d'accepter, plus ou moins, la cruelle évidence. Et elle devra vivre avec cet amour explosé par la guerre, dans une douleur intime et non partageable (presque...).
C'est écrit avec pudeur, sensibilité, délicatesse et profondeur et cela nous dit que derrière les êtres les plus humbles, leurs silences et leurs non-dits, peuvent se cacher pour la vie tant de blessures sinon des gouffres.
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Que cache la vie minuscule d'Odette Froyard, entièrement rassemblée au départ dans les quelques souvenirs d'une femme sans histoire, invisible et rendue depuis bien longtemps au silence et à l'oubli ? Comment penser que sa petite fille, Isabelle Monnin peut partir d'un tel sujet et en faire un roman passionnant de près de 300 pages ? En plein confinement covid, une époque si étrange qu'accorder les agendas semblait compliqué alors qu'ils étaient « globalement vides », elle trouve une bonne raison de combattre sa dépression en réfléchissant à l'invisibilité de sa grand-mère. Femme de presque cinquante ans, les enfants sur le départ, une carrière bien entamée, elle a de plus en plus conscience que son propre effacement se rapproche...

Le titre du roman annonce le plan, une construction particulièrement originale puisque cette femme va être mise en lumière dans trois parties de nature très différentes et pourtant complémentaires. Un triptyque abouti, servi par une écriture maîtrisée, limpide, se jouant de l'aridité des méandres familiaux. J'ai a-do-ré !!!

Première partie au titre mystérieux « La phréatique des souvenirs ». On a une idée de la richesse de l'écriture avec cet emprunt à la géologie. La phréatique c'est le monde souterrain - au cours d'une éruption volcanique, est phréatique ce qui est causé par le réchauffement et l'expansion des eaux souterraines. Odette Froyard est morte depuis plus de trente ans quand Isabelle Monnin entreprend de visiter le monde souterrain des morts où a disparu sa grand-mère. Elle entend la symphonie des silences, fait parler une vieille photo indiquant une date, 1933, où Odette était la reine du jour, pimpante sur un char lors d'une fête de village. Cette longue partie quasi philosophique se termine « Au lac des Oubliés » qui s'est formé après un terrible orage. La narratrice, dans un songe, s'immerge dans ce lac peuplé de tous les morts des générations successives, croise sous la surface la foule des oubliés, va jusqu'au fond « tapissé d'objets ayant appartenu à l'humanité disparue ». Elle suit alors en songe sa grand-mère, mais celle-ci a la bouche cousue par un fil doré. Ce passage est tellement bien écrit qu'il en est envoûtant, sorte de voyage dans un monde apaisé réunissant les débris des oubliés, sans hiérarchie divine ni peuple maudit, où tout est conservé sauf la parole.

« Sous la surface c'était tout un peuple. Les disparus oubliés, errant comme des âmes sans repos, attendaient qu'on les visite[…] Qui êtes-vous cheveux d'algues ? Connaissez-vous mes perdus ? Les avez-vous rencontrés, savez-vous à quelle roche ils s'abritent ?[…] le fond du lac était tapissé de milliers d'objets ayant appartenu à l'humanité disparue. »

Deuxième partie, « Le chantier de fouilles ». L'autrice se rappelle d'une grand-mère du verbe : préparer, servir, ranger… Surtout ne pas de faire remarquer. Elle disait souvent : « on n'en parle plus... » Pas d'adjectifs – jamais – ils auraient pu dévoiler les sentiments. Alors elle parcourt les sites généalogiques, visite les archives, enquête sur les frères et soeurs, interroge les enfants et petits-enfants, collectionnant les pièces du puzzle qui vont permettre de composer la fiction de la troisième partie. Quel brio : le style permet de suivre ces fouilles généalogiques comme s'il s'agissait d'une enquête policière.

Troisième partie, « Le roman d'Odette ». Voici l'explosion du verbe, cette irruption de la fiction comme une synthèse entre le projet de mémoire et l'enquête, réunissant les indices récoltés patiemment. Superbe ! « La fiction n'est pas fausse, tous les romans savent cela. Elle ouvre un passage vers la réalité que le réel tente d'occulter. »

Isabelle Monnin réussit à nous faire voyager dans la vie de sa grand-mère, distinguant les éléments connus et ce qu'elle imagine, terminant par une fiction de haute volée. On vit au rythme de la ville de Gray en Haute-Saône pendant la Première Guerre mondiale. On découvre Odette pensionnaire d'un mystérieux orphelinat franc-maçon dans les années 1930. On imagine ses amours contrariées pendant la guerre. Traversée du siècle passant par les camps de la mort à Auschwitz et explorant la part sensible, romanesque de toute existence.

Son écriture est parfaite de clarté, d'images, de poésie. Elle se fait archéologue des petites gens : « Le premier lieu de fouilles était un site de généalogie. C'était une autre sorte de lac où la mémoire de toute une humanité était conservée. » Elle rend hommage à ceux qui conservent les traces du passé : « Thanatopracteurs des papiers, ils prennent soin de nos traces comme des embaumeurs. » Elle passe des heures « à bêcher des yeux les listes de noms ».

Je comprends seulement maintenant ce qui m'a tellement attiré et fasciné dans cette lecture. J'ai moi- même une mystérieuse grand-mère paternelle recueillie par l'assistance publique et dont on ne savait rien, pas même sa date de naissance. Mes recherches généalogiques sont restées longtemps infructueuses jusqu'à retrouver par chance, via un notaire proche de la famille, le dossier complet de l'assistance publique, où tout avait été consigné. La généalogie permettant alors de reconstituer une grand partie de son histoire oubliée. Plaisir de plonger dans ce lac de mémoire, de redonner une existence à celle qui en avait eu une à la marge.

L'étude généalogique est fastidieuse, complexe et souvent ingrate, nécessitant la consultation de multiples documents. Réussir à en faire un roman aussi abouti relève de l'exploit. Odette Froyard en trois façons peut toucher un grand nombre de lecteurs et lectrices : qui n'a pas de zone d'ombre, de mystères dans sa famille ? On peut interroger les tables pour entrer en communication avec les morts – Victor Hugo l'a pratiqué – ou bien lire Isabelle Monnin racontant Odette Froyard, sa grand-mère. Je vous recommande sans hésiter la deuxième solution… Rien que pour l'écriture il vaut la peine (ou plutôt le plaisir…).

J'ai lu ce roman dans le cadre de ma participation au jury Orange du livre 2024. C'est un des 20 livres de la première sélection établie lors des échanges et votes du 26 mars. Sera-t-il dans la sélection des 5 finalistes le 13 mai prochain ? Encore un roman de très grande qualité qui va rendre les choix difficiles…
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Il y a des auteurs dont on attend impatiemment le nouveau livre.
Depuis les vies extraordinaires d'Eugène, Isabelle Monnin est entrée dans mon monde, ses mots ayant un écho troublant à mes propres pas sur le chemin de ma vie.
J 'attends donc depuis 2017 son nouveau roman comme quelqu' un d 'assoiffé attend de trouver une fontaine où boire de l' eau fraîche dans la balade de son existence.
Et voilà qu'un matin, j 'apprends que son nouveau livre sort le 11 janvier.
Je me précipite à la librairie, serrant contre moi l' excitation d'un nouveau rendez vous avec une amie pas vue depuis longtemps.
Le roman arrive à la maison et je sais que ce week-end je vais me plonger dans ses mots.
Je ne veux pas l'emmener avec moi dans le tram qui me dépose au travail, je veux le lire dans la douceur de mon foyer, dans la quiétude de mon monde, dans la lumière du matin et dans la promesse d'un nouveau jour qui se retire pour aller embrasser les étoiles.
Me voilà plonger dans la vie d'Odette, grand mère de l'auteure, et de ses silences que nous allons découvrir au fil des pages.
Isabelle Monnin convoque les fantômes de sa famille et je retrouve les miens, jamais bien loin.
Se dessine sous les phrases la cuisine d'Odette, le brouillard de novembre, les chemins qu'elle emprunte pour aller "au pain".
Je connais chaque bruit, chaque silence, chaque odeur.
Fille de l'Est de la France comme elle, la musique des expressions, du vocabulaire me parle comme à une des leurs.
Mes fantômes dansent avec les siens et Odette prend successivement le visage de ma maman dont le prénom est Odette, le visage de ma grand mère dont le prénom se termine par ette, Georgette qui dans son jardin emprunte les sabots d'Odette du livre.
Tout s'emmêle et tout devient clair.
Odette, sixième enfant de la fratrie, ma place dans la mienne et ce petit frère qu'elle aime tant qui porte le prénom de mon papa, Jean.
J'ai commencé ce livre le jour du quinzième anniversaire de son décès.
Je convoque, moi aussi, mes fantômes.
Isabelle Monnin, encore une fois, me trouble.
Sa plume si belle que je relis plusieurs fois des passages au service de la quête de son passé familial comme un besoin de respirer, sa difficulté de vivre, il me semble, qui pourtant fait d'elle une femme incroyablement vivante, ses morts si présents qui dans leur invisibilité sont partout font de ses livres un miroir à ma vie.
Isabelle Monnin rentre dans mon âme et je suis triste d'avoir terminé son livre mais heureuse d'avoir passé ces quelques heures avec elle, je suis troublée mais apaisée, je suis avec mes vivants et avec mes morts, je suis bavarde mais je suis silencieuse, je suis abîmée mais pleine d'envies.
Je suis en manque d'eux mais remplie d'eux à tout jamais.
Isabelle Monnin s'insinue dans la profondeur de nos silences et les fait parler dans une langue bouleversante, celle de notre humanité.
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Isabelle Monnin m'avait enchanté, il y a quelques années, dans le récit singulier des "Gens dans l'enveloppe" , un quasi essai de décrypter les vies de "parfaits inconnus" à partir de leurs photos puis d'aller à leurs recherches. Ici, Odette Froyard n'est pas une inconnue de l'autrice mais une de ses grands-mères. Cependant, c'est un peu le même procédé ou plutôt le modèle inverse qu'elle utilise pour faire revivre son aïeule et tenter de percer ses secrets. Partant de ce qu'elle sait de sa discrète grand-mère, elle va progressivement mener une enquête sur sa jeunesse et son adolescence, faire des recherches généalogiques et archivistiques, puis au final bâtir une fiction... C'est , pour moi, dans ce final, que le récit est le plus réussi. Je consacre, personnellement, beaucoup de temps à mon arbre généalogique et j'aimerais beaucoup pouvoir restituer, ainsi, les vies de mes ancêtres, et admire d'autant plus le sensible parcours d'Isabelle Monnin : un très bel hommage fait à sa grand-mère..." Puisque Odette Froyard avait existé, elle méritait d'être considérée "
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J'aime la littérature comme j'aime la gastronomie.
Certaines expériences culinaires nous font découvrir des denrées rares, produits d'exceptions, aux alchimies gustatives sophistiquées, d'autres des produits d'une grande simplicité que seul sublime le talent d'un chef ou encore des produits vrais, issus du terroir, sans prétention qui, par la magie des odeurs et des goûts imprimés dans notre mémoire olfactive, nous replongent dans l'enfance.
Et chacune d'elles est un voyage qui nous nourrit.

Pour ce roman-là, on serait plutôt dans le deuxième cas de figure. Mais dans mon cas personnel dans le troisième aussi. Rien de plus banal et insignifiant que cette grand-mère dont Isabelle Monnin nous livre le portrait. Celui d'une femme sans relief, presque transparente, que rien ne distingue d'une autre. Pourtant, j'y ai associé instantanément le souvenir d'une de mes grands-tantes, la soeur de ma grand-mère paternelle dans ce contexte géographique de la Haute Saône, Gray, Devecey la ville de Isabelle Monnin, qui est aussi le berceau de ma propre famille paternelle, un contexte qui m'a immédiatement replongé dans des souvenirs d'enfance lorsqu' expatriés dans le département voisin, nous visitions les membres exotiques de la famille restée au village natal de mon père.
Et c'est là qu'intervient le talent du chef !
Une écriture fabuleuse qui transforme l'ordinaire en extraordinaire.
En trois façons, car il y a trois parties, trois points de vue, on découvre ce qui se cache derrière Odette, cette grand-mère que rien ne distingue de la masse des êtres apparemment sans histoire. Et là, peu à peu, au fil de cette écriture d'un grande finesse et j'oserais dire d'une grande intelligence, nos yeux se décillent et on est embarqué dans son histoire imbriquée dans L Histoire.

J'ai a-do-ré ! le Michelin ne dépasse pas trois macarons, le Gault et Millau cinq toques et Babelio 5 étoiles. Encore sous le charme de ce magnifique roman, pudique, introspectif, subtil, écrit de main de maître, je lui décerne le maximum de chaque!

NB : Merci au libraire Gérard Collard, qui dans l'extrait vidéo associé au livre sur Babelio, m'a convaincu d'ouvrir cette pépite que j'aurais ignorée sans son enthousiasme communicatif et dont on peut regretter et s'étonner qu'elle n'ait pas davantage brillé dans les médias.
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« Elle était morte depuis plus de trente ans lorsqu'elle réapparut soudain dans ma vie. Avant cela, elle avait été une défunte tout ce qu'il y a de plus calme, fidèle à la femme que nous avions connue, laissant en paix ceux qu'elle avait quittés au terme d'une vie dont ils se disaient volontiers qu'elle avait été sans histoire. »

On en connaît tous des personnes semblables à la grand-mère de l'autrice. Discrets, voire invisibles, souvent efficaces. Des gens transparents qu'on oublie autant de leur vivant, qu'après leur décès.

A l'aube de ses 50 ans, en pleine phase dépressive, Isabelle Monnin questionne la personnalité, l'histoire de sa grand-mère qu'elle a côtoyée durant les 20 premières années de sa vie. « Existe-t-il des vies qui ne valent rien ? »
Que savons-nous finalement de nos ascendants décédés ? Même si nous les avons connus, que savons-nous vraiment d'eux à part cette image figée, voire fossilisée que nous conservons en mémoire ?

Dans la première partie du roman, elle explore ses souvenirs, ceux de ses proches. Excepté le séjour pendant 7 ans d'Odette et d'une partie de la fratrie dans un orphelinat maçonnique, elle ne récolte que des images figées et convenues.
Une personne discrète, effacée, femme au foyer et intendante de l'internat de son mari : « sa place était à la fois essentielle et dévalorisée : elle régnait sans partage sur la vie domestique. »
Une personnalité sans relief, à l'image des phrases clefs qu'elle égrène souvent : « Oh ben, y a rien à dire, (…) Motus et bouche cousue, (…) Allez, allez on n'en parle pas ».
A part la lecture, seule chose qu'elle fait sans contraintes, Odette apparait comme une femme de devoir, bien stricte dans une vie où « Labeur et routine semblaient ainsi la définir toute entière. »
Quelques pièces du puzzle insuffisantes pour cerner le sujet principal. Trop de vide...

Dans la seconde partie, elle poursuit son enquête en utilisant la loupe du généalogiste. Fouiller les archives, c'est tirer un fil, et quelquefois, il nous entraîne bien plus loin que prévu. Avec beaucoup de talent, elle ranime les données administratives brutes en êtres de chair et de sang. Des ascendants, des proches qui, sous la plume de l'autrice, ont repris vie.
Comme les frères Pinette, contemporains d'Odette à l'orphelinat et morts à Auschwitz.

Le lecteur participe à ses recherches, à ses coups de coups ou à ses déceptions. Comme le grand-père d'Odette…
J'ai adoré les passages le concernant. L'autrice l'a complètement idéalisé, physiquement et moralement, avant de constater qu'il n'était qu'un sale type. « J'étais abasourdie, tant par ma déception que par ma naïveté. J'avais cru en Eugène, je lui avais accordé ma confiance, et je découvrais que l'avoué était un ivrogne qui avait humilié et insulté sa femme, un pleutre qui ne se défendait même pas et avait abandonné sa famille. »
Quand on fait de la généalogie, il y a toujours des personnages qui nous aimantent, qu'on revêt de toutes les qualités. A tort ou à raison, on ne sait pas...

Une fresque sensible, historique, bouleversante par les vides qui demeurent, même si la dernière partie m'a déçue : faute d'éléments nouveaux, la narratrice invente un passé, un amour, une jeunesse à sa grand-mère.
C'est bien écrit, c'est émouvant, mais la fin m'a laissée sur ma faim. Terminer sur un récit d'amour inventé de toutes pièces sans reprendre la main, sans donner sa propre conclusion, m'a infiniment gênée.
D'autant plus que la 3ème « façon » m'a semblé un délire, et c'était passionnant par rapport au mal-être de la narratrice, à son cheminement dans le passé. Combler absolument les trous, le vide, avec la fiction et le mensonge : « C'était ce trou noir qui m'habitait. Je souhaitais tellement le combler que j'étais prête inconsciemment à tordre les faits. »

Peut-être pour se chercher de nouveaux repères et polariser son attention sur quelqu'un d'autre.
Dommage...

Lu dans le cadre du Prix Orange 2024. Je remercie lecteurs.com et les éditions Gallimard de m'avoir permis de découvrir ce roman sensible.
https://commelaplume.blogspot.com/


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