Travail de recherche salutaire que ce documentaire. Les deux journalistes du Nouvel Observateur nous racontent le long chemin que doivent suivre celles et ceux, qui n'étant pas nés français, ont choisi de le devenir. Pour mener à bien leur enquête,
Isabelle Monnin et
Doan Bui se sont plongées dans la série BB11 des Archives nationales où sont conservés des centaines de milliers de dossiers individuels de naturalisation. Ces documents, pas spécialement prestigieux, un peu effacés, souvent abimés, constituent un petit trésor car ils racontent ce moment fragile et précieux d'une vie qui bascule, lorsqu'une main appose la mention « approuvée » ou « rejetée » sur un formulaire.
Sur une période de plus d'un siècle, les auteures ont délibérément choisi de s'arrêter sur une cinquantaine de destins illustres (de
Jacques Offenbach en 1860 à Marx Ernest en 1959), ou devenus célèbres par leur descendance, car la naturalisation est aussi question de transmission, d'héritage, d'histoire familiale partagée ou dissimulée. On découvre ainsi qu'
Emile Zola devient français à l'âge de 22 ans, que la peur du médecin roumain d'hier (à l'instar de la situation du père de
Michel Drucker) équivaut à celle du plombier polonais d'aujourd'hui. Et si l'on peut sourire à la mention « afin de créer une famille française » sous la plume de Benedict Mallah, grand-père de
Nicolas Sarkozy, comme justification de sa sollicitation, on tremble sérieusement aux côtés de la famille Ginsburg et de son petit Lucien, lors du retrait général des naturalisations par le gouvernement de Vichy.
Au-delà de ces parcours particuliers et d'un aspect un peu people,
Isabelle Monnin et
Doan Bui retracent une histoire intemporelle, qui résonne en écho avec l'actualité, pleine de revirements, d'ouvertures et de fermetures selon le vent politique et les besoins démographiques de la France.
C'est l'occasion de se rappeler, ou d'apprendre, que le code civil de 1803 définit la nationalité par le droit du sang pour la transformer en droit du sol en 1889. Si pendant les années 1920, la France devient une terre d'asile pour des populations fuyant leurs pays pour des raisons tant politiques qu'économiques, les lois de Vichy referment cette parenthèse généreuse. J'ai cru tomber de ma chaise en découvrant que, tout au long du XIXème siècle, les françaises se mariant avec un étranger perdaient leur nationalité au profit de celle de son époux !
Ce documentaire à faire lire et connaître au plus grand nombre retrace notre histoire, bien mieux que nombres discours, celle qui s'enrichie par l'arrivée de vagues russes, d'Europe centrale, puis italiennes (ah les Colucci ou Ritals de Cavanna) ou espagnoles, en attendant celles venant d'Afrique ou d'Asie. Un nouvel ouvrage nous les racontera à n'en pas douter lorsque les délais de communication des archives permettront l'accès d'autres destins individuels.