Ce serait faire preuve d'ingratitude envers
Arnaud Montebourg que de résumer ce livre à l'expression d'un retour d'expérience gouvernementale, aussi exceptionnel soit-il.
Si bien sûr l'ancien ministre du redressement productif ne se prive pas de distiller des missives et des diatribes, d'abord contre la technocratie qui fait la loi au plus sommet de l'État, ensuite contre la lâcheté élyséenne qui a conduit
François Hollande sur l'échafaud politico- médiatique, cet ouvrage doit avant tout être lu comme une puissante réhabilitation du volontarisme politique.
Volonté politique au moment de l'incroyable imbroglio de la vente d'Alstom, dont nous découvrons à cette occasion les plus funestes détails. Il faut alors toute l'abnégation du ministre et de ses équipes pour obtenir, aux forceps, un décret octroyant au gouvernement le droit de refuser des investissements étrangers dans des secteurs stratégiques — de façon analogue à ce qui est autorisé par la législation américaine — permettant ainsi de s'opposer à cette vente contraire aux intérêts industriels du pays. Hélas, ce décret ne fut qu'un entracte dans la terrible comédie mettant en scène Patrick Kron, PDG corrompu d'Alstom, General Electric et le gouvernement américain d'un côté,
François Hollande,
Manuel Valls et
Emmanuel Macron de l'autre, tous les trois fidèles promoteurs de l'impérialisme américain et du libéralisme.
Volonté politique aussi en ce qui concerne l'indispensable redéfinition de notre politique économique. En voyage diplomatique aux États-Unis après le scandale des écoutes de la NSA dénoncé par
Edward Snowden,
Arnaud Montebourg insiste sur l'ardente volonté du Président
Obama de voir la France s'opposer à l'austérité budgétaire qui règne en Europe. Ne se contentant pas de fuir comme il en a l'habitude,
François Hollande rétorque alors au Président américain que celui-ci « ne doit pas connaître Madame Merkel », justifiant ainsi son immobilisme. Pour l'ancien député de Saône-et-Loire, ce propos est emblématique de la trahison du PS vis-à-vis de ses idéaux socialistes et de façon plus forte encore, du renoncement à la parole donnée d'un candidat qui avait promis de renégocier les traités européens et de sortir de cette logique austéritaire qui partout conduit au malheur des peuples. C'est le drame d'un quinquennat qui a vu la gauche détricoter ce qu'elle avait historiquement construit, libéraliser à tous crins et devenir l'allié objectif d'un capitalisme financiarisé qui n'en demandait pas tant.
Volonté politique enfin à l'occasion du très médiatique dossier Florange. Mittal, pris en étau par une dette financière et fiscale colossale, souhaite dépecer l'outil industriel de la vallée des anges sans pour autant laisser la moindre possibilité de reprise par un autre industriel. Travaillant d'arrachepied pour tordre le cou à cette fatalité, le ministre, ses mohicans et ses hussards (c'est ainsi qu'il appelle ses collaborateurs) trouvent un repreneur à ce site qui n'est pas condamné, loin s'en faut, puisque des expertises indépendantes confirment que Florange à un avenir. Or pour garantir une cession en bonne et due forme à Bernard Serin, entrepreneur mosellan, l'État doit rependre dans les mains de Mittal ce que celui-ci s'apprête à détruire. Juridiquement possible, cette solution devient politiquement soutenue par un arc républicain — allant d'
Henri Guaino,
Thierry Breton à
Jean-Luc Mélenchon — favorable à la nationalisation temporaire. Mais là encore, la désillusion pointe le bout de son nez.
Emmitouflés dans le libéralisme qui est leur,
François Hollande,
Emmanuel Macron et à plus forte raison,
Jean Marc Ayrault, refusent de s'engager dans la voie de la nationalisation temporaire et se cachent derrière le projet fantôme Ulco. En agissant de la sorte, les locataires de l'Élysée et de Matignon entérinent de manière officielle la promesse de la camionnette faite aux salariés des hauts fourneaux de Florange et signent l'acte définitif du renoncement — amorcé en 1983 — du parti socialiste à défendre la classe ouvrière.
C'est à l'endroit de cette dernière qu'
Arnaud Montebourg écrit les plus belles pages du livre. C'est elle qui est à l'origine de son engagement politique. Il ne l'a pas oubliée. Ministre, il entend toujours représenter les sans grades, les ouvriers et les agriculteurs désemparés qui poussaient autrefois la porte de sa permanence en circonscription. Mais la tâche est rude. Dans un champ politique complètement professionnalisé, où les idées n'ont plus vraiment leur place, à l'exception notable du libéralisme économique et du new public management appris à l'ENA, il est prisonnier d'un gouvernement qui n'est rien d'autre que le porte-voix de la Commission européenne. Pourquoi reste-t-il ? Il reste pour les gens ordinaires dont parle
Christophe Guilluy, victimes d'une mondialisation sauvage, alors que depuis plus de 10 ans, lui défend l'idée que notre salut collectif réside au contraire dans la démondialisation. Il reste, car il perçoit derrière l'abandon des classes populaires l'explication du déclin industriel, historique et philosophique d'une nation qui en 1789 a proclamé, par la voix de ses citoyens et de ses représentants, son désir absolu de souveraineté.
Et puis vient le temps du dernier coup de poignard qui l'amène à quitter définitivement les rives empruntées par le parti socialiste. Ce départ du gouvernement est une aubaine. Il lui permet de tourner le dos aux vieilles lunes de la rue de Solférino pour mieux épouser un républicanisme aux accents gaulliens et chevènementistes, dont on a au fond l'impression qu'il a toujours été le sien. L'ancien ministre de l'Économie n'entend plus incarner la gauche, il souhaite défendre la nation française. C'est un enseignement à retenir, car n'en doutons pas,
Arnaud Montebourg n'a pas fini de s'engager.