Thomas More, philosophe et homme politique anglais, est né en 1478. Il a 24 ans lorsque Gutenberg met au point la technique de l'imprimerie et diffuse le premier livre imprimé, la fameuse bible à 42 lignes. C'est une révolution comparable à celle de l'internet (on est passé de 1000 ordinateurs connectés en 1984 à 5 milliards aujourd'hui). le changement est de même nature, il permet une accélération de la diffusion de l'information et de la connaissance dans tous les domaines et sur toute la planète. Son livre «
L'Utopie » est imprimé en 1516, il s'agit d'un pamphlet contre les moeurs de son temps dominé par la tyrannie exercée par les gouvernants et par la l'égoïsme des plus riches qui exploite les plus démunis.
Thomas More est un humaniste en parfaite communion intellectuelle avec Érasme. Son projet est d'essayer de montrer comment on peut construire une société sur des fondements rationnels qui met le bonheur des hommes au centre des préoccupations en faisant reposer les structures de l'État sur des lois justes et morales.
Il invente le concept d'Utopie, mot construit à partir du grec ancien et qui veut dire « Qui n'existe pas ». Dans le sens courant, une utopie décrit un idéal, un projet d'organisation politique qui semble illusoire ou chimérique. le personnage central du livre, Raphaël Hythloday fait le récit des cinq ans qu'il vient de passer dans l'île d'Utopie. Un pays où tous les habitants jouissent d'une paix garantit par leur organisation politique ou règne la plus grande justice, car « l'indigence et la misère dégradent le courage, abrutissent les âmes, les façonnent à la souffrance et à l'esclavage et les compriment au point de leur ôter l'énergie nécessaire pour secouer le joug » (page 42).
Les idées exprimées dans ce livre sont toutes aussi valables pour notre temps. le maintien d'un prolétariat dans la précarité, dernier maillon de la chaîne sociale, impuissant à répercuter les pressions qu'il subit et menacé de chômage s'il revendique une amélioration de son sort hôte à celui-ci la capacité à se mobiliser pour contester le pouvoir en place.
Dans la bouche de Raphaël,
Thomas More décrit une société ou la propriété est abolie. C'est pour lui l'unique moyen de distribuer des biens avec égalité, avec justice et de constituer le bonheur du genre humain. « Tant que le droit de propriété sera le fondement de l'édifice social, la classe la plus nombreuse et la plus estimable n'aura en partage que disette, tourments et désespoirs » (Page 49).
Sur Utopie la journée de travail est de 6 h. Il n'y a pas d'arts vains et frivoles qui s'exercent au service du luxe (un enfer pour LVMH). Les Utopiens s'habillent de cuir ou de peau. Ce vêtement peut durer 7 ans (La sobriété est au rendez-vous). Lorsqu'il y a abondance de produit, un décret autorise une diminution du temps de travail (pas de croissance à tout va). « Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres. C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur » (Page 66).
Sur Utopie l'or et l'argent n'ont pas plus de valeur que le fer, chaque matériau est valorisé en fonction de son intérêt pratique. Les Utopiens interdisent la chasse et les jeux de hasard. On ne doit tuer les animaux que par nécessité tandis que le chasseur cherche dans le sang et le meurtre une stérile jouissance. Les Utopiens pratiquent l'euthanasie pour les malades incurables qui le souhaitent. Ils considèrent que la guerre est une chose brutalement animale et que l'homme commet plus fréquemment qu'aucune espèce de bêtes féroces. Ils ne font la guerre que pour se défendre d'une invasion ou pour porter secours à un peuple sous le joug d'un tyran.
En matière de religion les Utopiens sont libres, mais la plus grande partie des habitants ne reconnaît qu'un seul Dieu (
Thomas More est vénéré comme saint pas l'Église catholique). Les prêtes peuvent se marier et les femmes ne sont pas exclues du sacerdoce.
La dissimulation est proscrite en Utopie et le mensonge y est en horreur.
Toutefois, à côté de cet éloge d'une société réputée faire le bonheur des hommes il y a encore une certaine dureté propre aux moeurs du temps. Ainsi, l'esclavage est encore pratiqué (mais seuls les prisonniers de guerre pris les armes à la main sont livrés à l'esclavage). La peine de mort est requise pour les récidivistes de l'adultère. Ce mélange de douceur et d'intransigeance surprend un peu le lecteur d'autant plus que malgré tous les avantages présentés par cette civilisation Utopienne,
Thomas More ne semble pas en accepter tous les principes. À la fin de l'ouvrage l'auteur précise qu'au terme du récit de Raphaël il lui revint à l'esprit qu'un grand nombre de choses lui paraissent absurdes dans les lois et les moeurs des Utopiens. Ce qui surtout renversait ses idées, c'était le fondement sur lequel s'est édifiée cette république étrange, cette communauté de vie et de biens, sans commerce d'argent. Ces considérations laissent penser que l'auteur n'est pas complètement convaincu par le récit de Raphaël. Il conclut en effet par ces mots « Car si, d'un côté, je ne puis consentir à tout ce qui a été dit par cet homme, d'un autre côté, je confesse aisément qu'il y a chez les Utopiens une foule de choses que je souhaite voir établies dans nos cités. Je le souhaite plus que je ne l'espère. » Cette conclusion semble avoir été construite pour éviter que ne s'abattent sur lui les foudres des princes gouvernants qui verraient d'un très mauvais oeil une révolution politique de cette ampleur. Il se comporte un peu comme Copernic qui conserva secrète ses découvertes scientifiques avant de les publier seulement au seuil de la mort afin de ne pas avoir à subir de répression de la part de l'Église.
Toutefois
Thomas More n'échappa pas à la barbarie de son époque (dont on perçoit encore quelques échos de nos jours) puisqu'il fut décapité sur l'ordre de son roi Henri VIII en 1535 pour « divergence d'opinions ».
Un livre étonnant pour l'époque et qui témoigne de la capacité visionnaire d'un homme exceptionnel qui tente de répondre à des questions de sociétes qui sont encore les notres aujourd'hui : le pouvoir des gouvernants et ses dérives, les buts que doivent se fixer les organisations politiques, l'économie, les conditions et le temps de travail, le partage des richesses, la protection des plus faibles, la guerre, la justice, la liberté de religion, la culture et bien d'autres thèmes d'actualité.
— «
L'Utopie »,
Thomas More, Librio (2018) 126 pages.