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sur 674 notes
Ce texte majeur de l'histoire politique a été écrit en 1516, par Thomas More, conseiller du roi d'Angleterre Henri VIII.
Critiquant les abus de la société anglaise et des classes dominantes, More dresse le portrait d'une société idéale, inventant au passage le mot d'utopie qui aura une longue carrière devant lui.
Le texte est profondément moderne par certains aspects : tolérance religieuse, partage du travail entrainant une réduction du temps de travail, euthanasie, service agricole obligatoire qui n'est pas sans rappeler la Chine de Mao… La société imaginée par Thomas More demeure nationaliste et assez cynique dans son approche des relations extérieures. Sur ce dernier point, il annonce des siècles de politique britannique.
Pourtant, de l'utopie à la dystopie, il n'y a qu'un pas, qui semble facile à franchir dès qu'on imagine la réalité pratique de cette ile d'Utopie, où la place laissée à la liberté individuelle est laissé à sa portion congrue. Esclavage, puritanisme, collectivisme forcé, châtiments corporels. Il y a peu de place pour les esprits rebelles, ou simplement libres et indépendants, dans cette île.
Le texte, relativement court se lit assez facilement. Montesquieu s'annonce déjà, avec deux cents ans d'avance.
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Ce livre est un ouvrage unique en son genre que je voudrais presque qualifier de "feelgood philosophique" ou/et de "premier roman d'anticipation". Évidemment, pas d'anticipation technologique dans ce récit, mais des anticipations démocratique, écologique, ou encore organisationnelle.
La modernité de pensée qui innerve ce récit est tout simplement ahurissante, surtout quand on pense à l'époque où il a été rédigé (1516!!!). More y décrit une société propre, raisonnable, bien organisée, non cupide. L'auteur met d'ailleurs en parallèle (en se couvrant bien sûr), la société cupide et futile dans laquelle il vit, où l'or domine, et la société utopique dont il rêve, où l'or et les choses brillantes ne valent rien.
Autre particularité de cet ouvrage: il y a des passages très drôles, notamment quand More se rit des vices futiles de sa société contemporaine.
Le tout début du récit est un peu laborieux (comme beaucoup d'auteurs de cette époque, il fallait prendre "beaucoup de pincettes" afin d'éviter la censure).
On trouvera évidemment des choses à redire concernant cette utopie, mais il est difficile de ne pas être admiratif devant le bond intellectuel et humaniste que représente cet ouvrage.
Autre qualité de cet ouvrage selon moi: son côté positif/optimiste, car il est rare de trouver des romans d'anticipation optimistes/positifs. Certes, "Nous autres", "1984", ou encore "Le Meilleur des Mondes" sont aussi hors normes/excellents, mais ils sont pessimistes/négatifs. Aussi, autant qu'avec "Noël 2041", j'ai trouvé très réconfortant dans "Utopie" que l'auteur présente/oppose deux modèles de civilisation, développe des idées et des solutions pour sinon atteindre, du moins tendre vers une organisation sociale qui respecte les individus. Voilà, pour sortir du mantra TINA (There Is No Alternative), il faudrait sans doute plus d'ouvrages "philosophiques réconfortants" comme "Utopie".
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Cet ouvrage du XVIe siècle, à l'origine d'un nouveau genre littéraire, est composé de deux parties bien distinctes : le livre premier, qui est — en gros — une critique assez juste et assez justifiée du régime monarchique anglais et, partant, européen, puis d'un livre second, qui constitue la véritable innovation littéraire, en proposant, par le biais de la fiction, ce qui est, en réalité, un projet de réforme politique.

Thomas More était un érudit, humaniste, conseiller du roi, etc. et tous les autres titres ronflants que l'on peut ou veut y accoler, mais c'était aussi et surtout un juriste et un fervent pratiquant du christianisme catholique, qui a longuement hésité à entrer dans les ordres (la question du protestantisme ne se posait pas encore à son époque car il était contemporain de Luther).

Cette double influence — juriste et ferveur religieuse — transparaît à peu près partout dans L'Utopie, pour le meilleur et... pour le pire (notamment la longue et ennuyeuse partie religieuse à la fin du livre second). Sous couvert de prétendre être le récit d'un voyageur ayant vécu un certain temps sur cette lointaine île en forme de croissant de lune qu'est Utopie, Thomas More explicite ses propres aspirations sociales dans ce qui n'est, ni plus ni moins, qu'un manifeste politique.

Je le suis à 100 % lorsqu'il fustige la conduite vénale et malhonnête de l'état par les monarques en place (il avait personnellement côtoyé Henri VII et écrit son livre sous Henri VIII, qui le fera mettre à mort par la suite, mais pour des raisons autres, notamment matrimoniales). Globalement, si l'on les recontextualise, je suis à peu près d'accord avec lui sur les critiques, c'est-à-dire sur le livre premier.

En revanche, dès lors que Thomas More se met en peine de chercher des solutions, j'ai parfois le sentiment de lire le programme politique version ultra hard core d'un bon vieux dictateur à la Staline, d'une pétromonarchie ou d'une république bananière des plus féroces. Prenons un exemple. Voyons, voyons... deux adultères consécutifs ? Bing ! peine de mort, rien que ça ! (Et ce n'est qu'un exemple prélevé parmi beaucoup d'autres.)

En gros, ce qu'il nous propose, c'est une vie communautaire et monacale où tout, absolument tout, est réglementé, où la liberté n'existe plus, où l'on vit dans une sorte d'open space permanent, où toute déviance est sanctionnée d'exil, d'esclavage ou de peine de mort, où l'état ne s'interdit pas de faire de l'ingérence à l'étranger, et tout ça, à chaque fois « pour la bonne cause ».

Vous naissez, vous vous éduquez d'une certaine façon (décidée par une autorité supérieure), vous apprenez un métier, vous bossez sans créer de problème, vous vous mariez, vous procréez juste ce qu'il faut, vous êtes loyal(e) en tout, vous avez les loisirs autorisés, c'est-à-dire, juste la possibilité de lire sur votre temps libre, pour toute chose, vous vous en référez à ceux qui auront été désignés comme « sages » et, bien entendu, vous avez une pratique religieuse irréprochable.

Je ne sais pas pour vous, mais en ce qui me concerne, ce projet de société ne me fait pas plus saliver que ça, c'est même plutôt l'inverse. Au prétexte d'éradiquer le vice, on éradique à peu près tout ce qui fait le sel de la vie à mes yeux (tuez-les tous et Dieu reconnaîtra les siens), d'où mon appréciation assez mitigée (voire un peu en-dessous).

Bien entendu, d'un point de vue historique et des idées, c'est une lecture intéressante, mais, selon moi, cette utopie est déjà, en soi, une sorte de dystopie à la 1984, à laquelle, je ne me sens aucune volonté de souscrire, sauf quand elle dénonce les excès d'un système monarchique inique, tel qu'il pouvait l'être en Angleterre et en Europe au début du XVIe siècle. Nonobstant, gardez à l'esprit que cet avis — cette utopie — n'étant que mien, il ne signifie manifestement pas grand-chose.
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Thomas More fait partie de ces auteurs humanistes que nous connaissons tous.

D'après mon édition (Librio) l'île d'Utopie pourrait signifier soit « l'île de nulle part » ou « l'île heureuse ». More aurait donné auparavant le nom de « Nusquama » (nulle part) à l'île dans une lettre adressée à Erasme (un autre humaniste connu pour son Eloge de la folie) ce qui confirmerait la première hypothèse.

More début son livre avec une partie qui sert finalement d'introduction, un voyageur raconte à More ses tribulations et parle de peuple lointain. Comme souvent, la situation géopolitique de l'époque est abordée, on y parle des guerres d'Italie (cela nous rappelle le Prince) et de la situation en Angleterre. Mais la partie la plus intéressante est la seconde, car il y décrit le fonctionnement de l'île d'Utopie.

Ce qui frappe dès le départ c'est que nous observons une sorte de société protocommuniste, Babeuf est encore loin, mais déjà More nous propose une société sans propriété privée. Les Utopiens se voient attitrer une maison pour une durée limitée, ils ne possèdent pas les champs qu'ils exploitent, car tout appartient à l'Etat. Ce même Etat qui distribue des terres aux villes. On ne reste pas paysans à vie, à moins de le vouloir, mais seulement 2 ans puis on retourne à la ville. La production est déterminée selon les nécessités de la consommation, et s'il y a de la surproduction on le met en réserve pour les pays voisins. Les Utopiens n'utilisent pas d'argent, comme chaque personne remplit son rôle dans la société et est utile, ils n'ont pas besoin de monnaie d'échange. Ils travaillent pour que la société et leur nation se pérennisent dans le temps même si leurs projets n'aboutissent que plusieurs siècles après. C'est une société qui a réussi à instituer une sorte de culte de l'Etat, n'allons pas trop loin à dire que c'est un préfascisme qu'il nous propose. Je constate juste que les Utopiens travaillent pour leur nation, leur communauté et demandent en échange à ce que leur voisin fasse de même.

On peut comprendre que certains communistes veulent reprendre l'Utopie comme un livre protocommuniste, on a sous les yeux une société qui fonctionne sans argent. Mais voilà si Thomas More renie l'argent et le luxe, abolie la propriété privée c'est parce qu'il est témoin des ravages et de l'abus de celle-ci. A son époque, en Angleterre, comme il est dit dans la première partie, les communautés paysannes qui utilisaient les espaces communs pour cultiver (un équivalent juridique de nos forêts domaniales qui appartiennent à tous les citoyens français) se voient déposséder pour permettre la création d'un système de propriété privée. Cette propriété privée ne servant plus à l'agriculture de subsistance, mais aux pâturages pour moutons et à la production de laine, très demandée à l'époque. Voilà un extrait sur l'argent qui est assez perturbant en sachant qu'il vient d'une personne du XVIe siècle :

 "Considérez aussi combien peu de ceux qui travaillent sont employés
en choses vraiment nécessaires. Car, dans ce siècle d'argent, où
l'argent est le dieu et la mesure universelle, une foule d'arts vains
et frivoles s'exercent uniquement au service du luxe et du
dérèglement… "

More nous propose une République où le dirigeant est nommé par vote indirect. Chaque famille a un droit de vote pour élire leur représentant tous ces magistrats vont choisir parmi eux un Prince qui sera nommé à vie sauf en cas de tyrannie. On a donc un système de vote indirect, un peu à la manière dont nous élisons nos Sénateurs. Les décisions sont organisées dans un Sénat et il y a même des gardes fous censés éviter que les dirigeants conspirent contre le peuple et fassent acte de tyrannie. Il nous propose son gouvernement idéal qui à cette époque semble bien lointain (les guerres civiles anglaises se dérouleront au siècle suivant).

More imagine une société où les personnes ne travaille que 6 heures par jour, car travail n'a pas pour but de s'enrichir mais seulement d'être pérenne. Mais il y a aussi le fait que chaque métier est utile au sens où il n'existe pas de métier superflu que permet la division du travail porté à outrance. Par exemple la mode n'existe pas, car tout le monde porte peu ou prou la même chose sauf les clercs pendant la messe. Les articles de luxe n'existent pas, c'est une société utilitariste, chaque chose qui existe doit être utile. Un passage m'a d'ailleurs fait penser à un extrait d'un écrit de Saint Simon (le socialiste pas le mémorialiste), qui est un peu trop long pour que je le poste ici. Je vous conseille d'aller lire sa parabole mais avant cela lisez ce passage de l'Utopie :

"Vous le comprendrez facilement, si vous réfléchissez au grand nombre de gens oisifs chez les autres nations. D'abord, presque toutes les femmes, qui composent la moitié de la population, et la plupart des hommes, là où les femmes travaillent. Ensuite cette foule immense de prêtres et de religieux fainéants. Ajoutez-y tous ces riches propriétaires qu'on appelle vulgairement nobles et seigneurs ; ajoutez-y encore leurs nuées de valets, autant de fripons en livrée ; et ce déluge de mendiants robustes et valides qui cachent leur paresse sous de feintes infirmités. Et, en somme, vous trouverez que le nombre de ceux qui, par leur travail, fournissent aux besoins du genre humain est bien moindre que vous ne l'imaginiez. "

Les Utopiens ont aussi conscience qu'ils sont les héritiers d'un patrimoine, ils en prennent soin, le patrimoine commun est entretenu de sorte qu'il traverse les âges. Et se sentant appartenir à une même nation, chaque cité aidera volontiers sa voisine si elle a des vivres en superflues, car « Toute l'île de la sorte forme une seule famille. »

Le livre fait aussi l'évocation d'esclaves qui sont soit des citoyens ayant commis des crimes graves soit des étrangers. Ces esclaves font toutes les basses besognes dont les travaux d'abattoirs et de boucherie.

Les Utopiens peuvent après leur journée de travail s'adonner à des loisirs et à des cours afin de se perfectionner. On retrouve là l'idée d'un corps sain dans un esprit sain.

En conclusion, c'est un livre appréciable grâce aux axes de réflexion qu'il apporte, pour un livre du XVIe siècle, mais cela reste simple. Communiste/marxiste passes ton chemin si tu penses lire un précurseur de ton idéologie. Il fustige un épiphénomène du Capitalisme et pas le Capitalisme en lui-même. Néanmoins la manière dont il décrit le fonctionnement sa société est intéressante, notamment le rapport à l'argent et aux possessions matériel.
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Classique assez indépassable, et référence pour parler des villes idéales, telles qu'on les découvre dans "Les 500 Millions de la Bégum" de Jules Verne, ou dans des essais historiques sur les phalanstères socialistes ou les villes-usines du 19e. Bien sûr, avec un parfum d'ancien ! Cette utopie qui se veut égoïste, ne se défend et combat que grâce à des mercenaires, ne s'occupe que d'elle sans chercher à rayonner, nie la famille, impose le travail et le repas en commun, tout ça est assez bof à nos yeux. Cela reste un essai original qui a porté de beaux fruits.
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Je vais me fendre d'un petit commentaire pour signaler que je viens enfin de lire complètement cet essai qui a laissé une trace dans l'histoire de l'humanité.
On pourrait tirer de cet ouvrage mille et une citations qui résonneraient tellement aujourd'hui encore...
Sa société qui porte le nom devenu universel est tellement impossible à réaliser qu'il n'a certainement jamais pensé qu'elle fût même souhaitable. Cet ami d'Erasme a imaginé un contre-monde destiné à dénoncer le notre (je le mets au présent car peu de choses ont changé réellement en profondeur).
Avec l'humour d'un intellectuel se permettant au pied de l'échafaud de dire, je cite : « Je vous en prie, Monsieur le lieutenant, aidez-moi à monter ; pour la descente, je me débrouillerai… » il dénonce, par un jeu exagéré de lumière, la noirceur des gouvernements des hommes.
De ce fait, il trahit les puissants et donc est mis à mort. Décapité.
Je retiendrai à titre personnel de ma lecture que, même si nos maîtres cherchent à nous en convaincre, nous ne vivons pas dans une république.
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Thomas More, philosophe et homme politique anglais, est né en 1478. Il a 24 ans lorsque Gutenberg met au point la technique de l'imprimerie et diffuse le premier livre imprimé, la fameuse bible à 42 lignes. C'est une révolution comparable à celle de l'internet (on est passé de 1000 ordinateurs connectés en 1984 à 5 milliards aujourd'hui). le changement est de même nature, il permet une accélération de la diffusion de l'information et de la connaissance dans tous les domaines et sur toute la planète. Son livre « L'Utopie » est imprimé en 1516, il s'agit d'un pamphlet contre les moeurs de son temps dominé par la tyrannie exercée par les gouvernants et par la l'égoïsme des plus riches qui exploite les plus démunis. Thomas More est un humaniste en parfaite communion intellectuelle avec Érasme. Son projet est d'essayer de montrer comment on peut construire une société sur des fondements rationnels qui met le bonheur des hommes au centre des préoccupations en faisant reposer les structures de l'État sur des lois justes et morales.

Il invente le concept d'Utopie, mot construit à partir du grec ancien et qui veut dire « Qui n'existe pas ». Dans le sens courant, une utopie décrit un idéal, un projet d'organisation politique qui semble illusoire ou chimérique. le personnage central du livre, Raphaël Hythloday fait le récit des cinq ans qu'il vient de passer dans l'île d'Utopie. Un pays où tous les habitants jouissent d'une paix garantit par leur organisation politique ou règne la plus grande justice, car « l'indigence et la misère dégradent le courage, abrutissent les âmes, les façonnent à la souffrance et à l'esclavage et les compriment au point de leur ôter l'énergie nécessaire pour secouer le joug » (page 42).

Les idées exprimées dans ce livre sont toutes aussi valables pour notre temps. le maintien d'un prolétariat dans la précarité, dernier maillon de la chaîne sociale, impuissant à répercuter les pressions qu'il subit et menacé de chômage s'il revendique une amélioration de son sort hôte à celui-ci la capacité à se mobiliser pour contester le pouvoir en place.

Dans la bouche de Raphaël, Thomas More décrit une société ou la propriété est abolie. C'est pour lui l'unique moyen de distribuer des biens avec égalité, avec justice et de constituer le bonheur du genre humain. « Tant que le droit de propriété sera le fondement de l'édifice social, la classe la plus nombreuse et la plus estimable n'aura en partage que disette, tourments et désespoirs » (Page 49).

Sur Utopie la journée de travail est de 6 h. Il n'y a pas d'arts vains et frivoles qui s'exercent au service du luxe (un enfer pour LVMH). Les Utopiens s'habillent de cuir ou de peau. Ce vêtement peut durer 7 ans (La sobriété est au rendez-vous). Lorsqu'il y a abondance de produit, un décret autorise une diminution du temps de travail (pas de croissance à tout va). « Le but des institutions sociales en Utopie est de fournir d'abord aux besoins de la consommation publique et individuelle, puis de laisser à chacun le plus de temps possible pour s'affranchir de la servitude du corps, cultiver librement son esprit, développer ses facultés intellectuelles par l'étude des sciences et des lettres. C'est dans ce développement complet qu'ils font consister le vrai bonheur » (Page 66).

Sur Utopie l'or et l'argent n'ont pas plus de valeur que le fer, chaque matériau est valorisé en fonction de son intérêt pratique. Les Utopiens interdisent la chasse et les jeux de hasard. On ne doit tuer les animaux que par nécessité tandis que le chasseur cherche dans le sang et le meurtre une stérile jouissance. Les Utopiens pratiquent l'euthanasie pour les malades incurables qui le souhaitent. Ils considèrent que la guerre est une chose brutalement animale et que l'homme commet plus fréquemment qu'aucune espèce de bêtes féroces. Ils ne font la guerre que pour se défendre d'une invasion ou pour porter secours à un peuple sous le joug d'un tyran.

En matière de religion les Utopiens sont libres, mais la plus grande partie des habitants ne reconnaît qu'un seul Dieu (Thomas More est vénéré comme saint pas l'Église catholique). Les prêtes peuvent se marier et les femmes ne sont pas exclues du sacerdoce.

La dissimulation est proscrite en Utopie et le mensonge y est en horreur.

Toutefois, à côté de cet éloge d'une société réputée faire le bonheur des hommes il y a encore une certaine dureté propre aux moeurs du temps. Ainsi, l'esclavage est encore pratiqué (mais seuls les prisonniers de guerre pris les armes à la main sont livrés à l'esclavage). La peine de mort est requise pour les récidivistes de l'adultère. Ce mélange de douceur et d'intransigeance surprend un peu le lecteur d'autant plus que malgré tous les avantages présentés par cette civilisation Utopienne, Thomas More ne semble pas en accepter tous les principes. À la fin de l'ouvrage l'auteur précise qu'au terme du récit de Raphaël il lui revint à l'esprit qu'un grand nombre de choses lui paraissent absurdes dans les lois et les moeurs des Utopiens. Ce qui surtout renversait ses idées, c'était le fondement sur lequel s'est édifiée cette république étrange, cette communauté de vie et de biens, sans commerce d'argent. Ces considérations laissent penser que l'auteur n'est pas complètement convaincu par le récit de Raphaël. Il conclut en effet par ces mots « Car si, d'un côté, je ne puis consentir à tout ce qui a été dit par cet homme, d'un autre côté, je confesse aisément qu'il y a chez les Utopiens une foule de choses que je souhaite voir établies dans nos cités. Je le souhaite plus que je ne l'espère. » Cette conclusion semble avoir été construite pour éviter que ne s'abattent sur lui les foudres des princes gouvernants qui verraient d'un très mauvais oeil une révolution politique de cette ampleur. Il se comporte un peu comme Copernic qui conserva secrète ses découvertes scientifiques avant de les publier seulement au seuil de la mort afin de ne pas avoir à subir de répression de la part de l'Église.

Toutefois Thomas More n'échappa pas à la barbarie de son époque (dont on perçoit encore quelques échos de nos jours) puisqu'il fut décapité sur l'ordre de son roi Henri VIII en 1535 pour « divergence d'opinions ».

Un livre étonnant pour l'époque et qui témoigne de la capacité visionnaire d'un homme exceptionnel qui tente de répondre à des questions de sociétes qui sont encore les notres aujourd'hui : le pouvoir des gouvernants et ses dérives, les buts que doivent se fixer les organisations politiques, l'économie, les conditions et le temps de travail, le partage des richesses, la protection des plus faibles, la guerre, la justice, la liberté de religion, la culture et bien d'autres thèmes d'actualité.

— « L'Utopie », Thomas More, Librio (2018) 126 pages.
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J'avais envie de lire cet essai depuis… la fabuleuse série Les Tudors ? Peut-être avant. J'ai lu une biographie de Thomas More depuis. Avouons-le : ma mémoire a effacé la plupart de ce que j'ai lu, snif !

Qu'est-ce que j'en ai pensé, au global ? Eh bien que cette Utopie ne correspond pas complètement à l'idée que je me fais d'une utopie.
Ma vision – qui est assez vague, soyons honnête – associe l'idée d'utopie à une sorte de bien absolu, ultime. Une limite inatteignable, dont on peut cependant espérer se rapprocher. Thomas More a carrément créé le concept. Cependant ce qu'il décrit, si cela possède de nombreuses caractéristiques qu'on pourrait donner à une société idéale, n'est pas exempt d'écueils. Je l'imagine en train de galérer pour apporter une maximum cohérence à son concept et enrager de ne pas pouvoir supprimer des « incohérences ». Mais on sait depuis Gödel que même les systèmes de logique mathématique contiennent nécessairement des « écueils ». Alors devait-on demander à l'auteur d'atteindre la « perfection » ?

A mon humble avis, l'effort mérite un A+ si on compare sa création aux sociétés de son temps, de tous les temps même. Thomas More n'est pas qualifié d'humaniste en vain. La société de l'île d'Utopie, découverte du côté du Nouveau Monde et décrite par le navigateur Raphaël Hythlodée, cherche à tendre vers une égalité optimale. Pour cela, il est nécessaire de renoncer à la propriété, à l'argent, à l'orgueil personnel. de nombreux éléments font penser au communisme. Les habitants ne sont pas présentés comme des Bisounours toujours heureux et aimant leur prochain. Ils ont des failles humaines mais dont l'éducation et la loi parvient à limiter la plupart des effets néfastes. Ces failles, d'ailleurs, paraissent bien faibles lorsqu'elles sont comparées à celles des hommes de ce début du XVIe siècle. L'attaque est violente contre les nobles accapareurs et esclavagistes, contre les prêtres oisifs, contre les courtisans mielleux et contre les orgueilleux de tout poil. More imagine que les Utopiens vivent selon des préceptes à la fois stoïciens, pour la raison qui les guide, et épicuriens (pour le plaisir et la volupté qui doit faire partie de l'existence. C'est très fort.

Mais c'est peut-être à cause de ce plat pays d'égalité que les aspérités m'ont sauté aux yeux comme si elles étaient des montagnes (et là j'imagine que chacun y verra les aspérités qu'il veut).
L'esclavage existe en Utopie, même s'il est réservé aux criminels. Tiens, le crime existe en Utopie. Il faut donc des lois qui restreignent un minimum. Donc la « liberté personnelle » en tant qu'absolu n'est pas au menu. Les guerres existent en Utopie, même si les Utopiens essaient d'y mettre le plus d'humanité possible et d'éviter les tueries. Certains passages montrent tout de même par moment une volonté de mise à mort sans appel. Les Utopiens sont colonialistes, même si les peuples qu'ils rencontrent se satisfont le plus souvent du système politique proposé (sinon : carnage).
L'adultère est puni très brutalement. L'athéisme est une horreur absolue. Les classes existent (les lettrés parmi lesquels on choisit les gouvernants. Cependant pour être choisi, il ne faut pas penser au pouvoir tous les matins en se rasant). L'esprit de compétition existe.
La femme n'est pas beaucoup plus libre qu'ailleurs, soumise à son mari. Les jeunes gens qui veulent se marier doivent se dénuder entièrement l'un devant l'autre car on ne saurait négliger le plaisir des sens. Et pourtant More dit ailleurs qu'un époux apprécie son épouse surtout pour son esprit.
Les Utopiens sont tolérants envers les religions. Mais dès qu'ils sont informés de la religion catholique, ils sont fascinés. Pouvait-on les imaginer différemment ? Thomas More est un homme de son temps. Certaines choses qu'on a remis en question ici et maintenant lui sont tout naturel.

J'ai apprécié qu'à la fin Thomas More, qui écoute patiemment les descriptions de Raphaël, dise qu'il ne peut consentir à tout ce qu'il a entendu, mais qu'il y a là une foule de choses qu'il aimerait voir établies en Occident. Cela résume ce que j'ai pensé du texte : une proposition d'amélioration de l'existant mais dont l'auteur lui-même n'est pas entièrement convaincu. More a conscience de l'aspect imparfait de sa construction. La perfection n'appartient qu'à Dieu, aurait-il probablement dit.
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On a peut-être du mal à le croire mais ce texte fête ses 500 ans cette année. Base de toute réflexion philosophique concernant la société dite idéale, le livre de More reste incontournable par sa modernité, un demi millénaire après sa parution. Il n'y cache pas du reste ses propres références, notamment la République de Platon.
Ce bref essai (traité?) s'articule en deux parties. La première, très courte, met en scène l'auteur lui-même, à peine déguisé sous le patronyme de Morus, et Raphael Hythlodée, compagnon du célèbre Amerigo Vespucci (qui donnera au final son nom au continent découvert par Colomb), rapportant les résultats de ses découvertes sur l'ile d'Utopie et qui fait l'objet de toute la deuxième partie.
Le livre premier m'a laissé comme un goût de glose indigeste, renforcée par l'usage de ce français de la renaissance et de ses tournures qui, pour quelqu'un n'ayant pas le bagage universitaire requis, est un chemin de croix, d'autant plus qu'il est question ici de débattre sur l' (imparfaite) société anglaise d'alors, notamment en ce qui concerne la justice et le fait de condamner à mort tout voleur.
Le lecteur profane peut aisément débuter sa lecture au livre second qui est une description sans faille de la société des utopiens. Je martèle systématiquement que le meilleur portrait que l'on peut faire d'un pays, d'une institution, d'une société idéale (ou pas) reste le roman de fiction. Une bonne intrigue, un brin de suspens, un héros (ou héroïne) auquel s'identifier servent idéalement de prétexte à montrer (et démontrer, selon) tous les rouages et détails d'une société ou d'une communauté. Sans ce subterfuge, l'ensemble reste trop scolaire à mes yeux et ce sera la seule et unique réserve que j'aurai à faire à ce texte fondateur. On demeure juste un observateur lointain comme lorsqu'on déambule dans un zoo ou qu'on ose, par paresse, partager un voyage organisé : on distingue une vitrine plus ou moins authentique mais on ne s'y immerge nullement.
Dissertons un brin sur cette utopie.
D'abord, il est clair que pour More, le double fléau qui menace l'homme est 1/ l'oisiveté 2/ la propriété privée. Partant de là, le parallèle avec le système soviétique est flagrant. Empreint d'humanisme, l'auteur ne remet pas en cause la colonisation ni la prolifération démographique (certes les utopiens régulent leurs naissances : pas plus de seize enfants par famille mais pas moins de dix!) induisant le problème non posé de la pollution « il y a des lieux appropriés, en dehors de la ville, où l'on nettoie et lave les chairs dans le ruisseau, où le sang et les ordures s'en vont à vau-l'eau ». de fait, les animaux sont inférieurs à l'homme, trait symptomatique des humanistes qui placent l'homme sur un piédestal où l'idée de Dieu n'est pas loin : seule créature à posséder une âme, une conscience et la notion de bien et de mal. On aboutit naturellement à l'idée de justice. La grande force des utopiens est que leurs lois sont simples et peu nombreuses, compréhensibles par tous, le juge aidant même les plus malhabiles à s'exprimer, ce qui implique la disparition des avocats (More était juriste de formation). Autre conception radicale : la volonté égale les faits et on est autant condamnable en pensée qu'en actes aux yeux de la loi. Ca se défend.
On a tort de croire qu'en Utopie chacun fait ce qu'il veut, qu'il mène sa vie comme bon lui semble. Les déplacements, s'ils ne sont pas interdits, sont étroitement encadrés (autre point commun avec les dérives communistes). Tous les utopiens travaillent, mais bien peu (environ 7h par jour à une époque où l'on trimait de l'aube à la tombée de la nuit) et se réservent la possibilité d'étudier constamment, de parfaire leur culture. Ils aiment tellement les jeux de l'esprit.
Les utopiens ne font pas la guerre mais s'emploient par ruse et malice à influer sur leurs ennemis. Lorsque les tractations n'aboutissent pas, ils se résignent bien malgré eux à prendre les armes mais le font la plupart du temps par mercenaires interposés qu'ils rémunèrent bien plus que l'armée adverse.
Seulement cette société parfaite reste bien ambigüe.
On ne chasse ni n'asservit les animaux mais ceux-ci sont considérés comme inférieurs à l'homme. La place de l'enfant n'est pas reconnue, c'est un petit d'homme, pas un être à part entière. Les prêtres, sous prétexte qu'ils sont choisi parmi les meilleurs hommes et qu'ils sont si peu nombreux, jouissent d'un passe-droit en matière de justice, quelque soit le crime commis (More a donc une curieuse idée de la justice pour tous). Enfin le rôle de la femme, même s'il apparait égal à l'homme (aucune tache ne lui est interdite, même celle de soldat), reste empreint d'un machisme latent (n'oublions pas que nous sortons tout juste du moyen-âge).
More était-il méthodiste? le passage sur la répression du sexe avant et en dehors du mariage est cinglant. Si les utopiens sont des hédonistes convaincus, ils ne sont pas le moins du monde libertins.
Bien entendu, cette utopie réserve de belles avancées, on n'en attendait pas moins. Ainsi la nourriture est la première médecine, l'euthanasie est tolérée, les repas sont pris en commun (mais nul n'y est obligé) : pourquoi cuisiner pour soi alors que des gens plus doués le font à notre place? D'ailleurs la chose publique (res publica en latin, la République) est la règle et la propriété privée, de fait, abolie. La grande avancée des utopiens est bien la disparition de l'argent. Chacun oeuvre pour la société et la chose commune profite à tous. Pourtant, il existe de l'or et des pierres précieuses en Utopie, mais ceux-ci sont considéré comme de la pacotille et cette ostensible quincaillerie de bijoux n'est portée que par les enfants non pubères et les criminels quand elle ne sert pas à payer les mercenaires et prêter aux pays voisins. Voilà sans doute la solution. Un monde sans monnaie. le rêve. Une utopie.
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L'Utopie, avec une majuscule, désigne un pays imaginaire, et non pas la doctrine ou courant de pensée que cette oeuvre va inspirer dans les siècles qui vont suivre. de la même façon que les « Lettres persanes » de Montesquieu, ce n'est pas un roman ni un conte, mais plutôt, sur un mode narratif, comme une thèse philosophique, sociologique ou politique.

Thomas More écrit ce livre, en latin, au XVIième siècle.

Le narrateur entreprend une conversation avec un personnage, dont le monologue va finalement occuper la presque totalité du livre. Ce dernier est donc un « narrateur de seconde main », en quelque sorte.

Je dis ceci afin d'éviter de dire « Thomas More pense que … », puisqu'il s'agit en principe d'un personnage, fût-il pratiquement le seul, le « vrai narrateur », celui qui parle à la première personne, parlant très peu.

Pour simplifier je vais quand même dire « Thomas pense que... », car nous ne sommes pas « dupes », en quelque sorte, et je ne vais pas passer mon temps à expliquer la raison de ce double « je », courant dans les écrits à la première personne. C'est de la technique littéraire, ce n'est pas primordiale.

Thomas More pense que si, dans la société, nous disposions en abondance des choses de première nécessité, il n'y aurait pas de vol, les gens ne seraient pas tentés de voler.

Pour accéder à cette abondance, ou plutôt pour éviter ce manque des choses vitales, il est nécessaire, sinon suffisant, d'abolir la propriété privée, en tout cas que personne ne puisse être propriétaire des choses vitales, devenant ainsi le seul fournisseur, détenant ainsi un pouvoir sur les gens, qui n'a pas lieu d'être.

Cette pensée sera résumée, pour ne pas dire réduite, par la phrase de Karl Marx : « la propriété c'est le vol », que je ne comprends vraiment qu'en lisant Thomas More.

Mais c'est oublier la cupidité de gens. Au cours du XXième siècle, nous avons eu cette abondance, et cela n'a pas empêché une petite partie de l'humanité de voler l'autre. Cette abondance, au profit d'une minorité, s'est faite au dépends de la majorité de l'humanité. Pour aboutir au XXIième siècle à l'épuisement des ressources vitales.

Ce livre est un pilier de la pensée politique, ou des courants politiques, qui vont suivre.

Évidemment il faut faire abstraction des « nécessités » de l'époque de l'auteur, comme celle d'avoir des esclaves, ou encore de punir de mort tel écart aux lois du système.
Lien : https://perso.cm63.fr/node/373
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