Un grand écrivain qui fut aussi un critique d'art très pénétrant, Baudelaire, écrivait, à propos du Salon de 1846, ces paroles plus justifiées aujourd'hui qu'alors :
« Il y avait encore des écoles sous Louis XV, il y en avait une sous l'Empire, — une école, c'est-à-dire une foi, c'est-à-dire l'impossibilité du doute. Il y avait des élèves unis par des principes communs, obéissant à la règle d'un chef puissant.... Peu d'hommes ont le droit de régner, car peu d'hommes ont une grande passion. Et comme aujourd'hui chacun veut régner, personne ne sait se gouverner.... Dans les écoles qui ne sont pas autre chose que la force d'invention organisée, les individus vraiment dignes de ce nom absorbent les. faibles ; et c'est justice, car une large production n'est qu'une pensée à mille bras.
Cette glorification de l'individu a nécessité la division infinie du territoire de l'art. L'individualité, cette petite propriété, a mangé l'originalité collective....C'est le peintre qui a tué la peinture.
Les Égyptiens se vantaient d'avoir employé des couleurs six mille ans avant les Grecs.
La peinture égyptienne patine des statues et des monuments. Le statuaire se confond avec le peintre pour colorier ses personnages.
Il obéit à une technique précise et use de procédés perfectionnés. Ses couleurs, au nombre de sept, le rouge, le bleu, le jaune, le vert, le brun, le blanc et le noir, se divisent en variétés assez nombreuses pour permettre de penser que l'artiste égyptien disposait d'une quinzaine de couleurs, la plupart d'origine minérale.
La photographie révèle d'une manière surprenante les repeints avant qu'ils aient tourné en repentirs.
La maison Hachette voulut photographier la Nymphe couchée de Henner (Luxembourg) pour la reproduire dans les Chefs-d'oeuvre des Grands Maîtres. Le cliché photographique fit paraître un repeint tel qu'on dut renoncer à graver le tableau. Une seconde silhouette de nymphe doublait entièrement la première. A l'œil, rien ne se voit, mais on peut prédire qu'un jour un repentir dégradera complètement ce charmant tableau.
Après cela on peut croire que tout a été tenté en peinture et que notre époque s'érige en Tour de Babel du métier de peindre. La foule des artistes pratique les formules de tous les temps, de toutes les écoles ; elle parle toutes les langues, les mortes et les vivantes ; elle use des argots et des patois ; elle pérore et elle bégaie ; elle s'essaie dans l'espéranto et dans le babil des enfants au biberon.
Un tableau demande à être surveillé. C'est une erreur de croire qu'il se porte bien dès qu'il n'est pas crevé. Mille dangers le menacent, la lumière, la poussière, le gaz d'éclairage, les admirateurs étourdis et maladroits, le chaud, le froid, l'humidité, l'obscurité, les mouches et même les nettoyages, car la manière dont on nettoie un tableau est bien souvent l'origine d'altérations et de dégâts.