Zitrance, tome 1

Enfin reçu. 40 euros, plus les frais de port, mais je n'en regrette pas un centime. Zitrance, tome 1, ou la folle aventure d'une bande d'étudiants en arpla choisissant de faire un livre du projet BD que j'évoquais dans un article de blog début juin. C'est donc un recueil de 200 pages que je reçois, assorti d'un ex-libris, d'un sachet de cartes postales, d'une superbe affiche, d'un stand-alone et de pas moins de QUATRE marque-pages dont un dédicacé. C'est la plus belle surprise qui me soit arrivée depuis pas mal de temps ; j'en arriverais presque à aimer les parisiens. Enfin…
Si j'adore le psychédélisme en général (en musique tout particulièrement), je n'ai jamais été un grand client de la BD à la Métal hurlant, qui, malgré son aspect monumental et tenant en haleine, m'a souvent eu l'air perdue dans sa symbolique et son univers visuel riches au point d'en oublier parfois un scénario qui se suffise à lui-même. C'est une reproche qu'on pourrait faire notamment à L'Incal, qui malgré tout reste une des grandes claques de mon adolescence ; mais je n'ai guère poussé l'exploration plus loin. À présent que j'y replonge, force est de me dire : OK, Sylvain, va falloir que tu te bouges le train.

Tereza Do Nascimiento & Raphaël Serres — Dans un rêve

Un vieillard est recherché sur une planète pour recommencer un métier qu'il tente d'oublier. Mafieux ? Non… artiste ! (En même temps, c'est un intermittent du spectacle, donc c'est compréhensi… SBLAF)
On notera que c'est sans doute cette histoire qui est le plus intéressante dans son cadrage : en effet, outre un retournement de situation détournant un plan devenu un poncif d'un certain type de cinéma (ce qui, je dois le dire, m'a bien grugé), la mise en page opte pour un format manga, les cases s'adaptant aux personnages et non l'inverse, provoquant ainsi une proximité avec le héros. le fait que la police soit cursive plutôt que scripte vient renforcer cette impression d'intimité partagée. Tout tourne finalement autour de la sensibilité ; et le choix d'insérer le récit dans un space opera n'a finalement pas d'autre but que de lui donner des hauteurs cosmiques.
Dans un rêve est une science-fiction où la fiction l'emporte allègrement sur la science ; l'attirail futuriste n'est qu'un prétexte à livrer une histoire intemporelle. Qu'importe, car c'est ce que Tarkovski se proposait déjà de faire avec son Solaris ! Tout ça nous mène à une dernière case d'une beauté particulièrement émouvante.

Poitevin — le boucher des Bels-Arts

Horreur et carabistouille ! de terribles meurtres en série ont lieu à l'école la plus moderne de tout le Moyen Âge. le Commissoire et son fidèle serviteur Jean-Foutre décident d'aller fourrer leur truffe aux Bels-Arts. Une satire très drôle et très caustique d'une police de plus en plus incompétente et d'un milieu scolaire bien connu de tous les lycéens qui ont fait l'! Encore un établissement gangréné par le sarrasino-senestrisme….

Teo Stern — CosmoZone

Nous retrouvons donc nos deux contrebandiers de l'espace où nous les avions laissés. Bini et Lazzara se retrouvent donc à arpenter une planète inconnue et dangereuse, mais belle et menacée. Quand on pourrait s'attendre à ce qu'il s'agisse de la traditionnelle entreprise capitaliste venue exploiter les pauvres aborigènes locaux, l'histoire fait un virage à 180° et nous nous apercevons que la menace pour la nature n'est pas toujours celle qu'on croit. Seulement l'auteur n'offre pas de réelle solution au conflit d'intérêts qu'il présente, quitte à faire s'arracher ses derniers cheveux au capitaine Picard ; d'autant plus que j'ai formé ma propre théorie sur comment l'histoire aurait pu bien se terminer pour tout le monde… Bref, paradoxalement, la plus longue histoire du recueil aurait mérité une bonne dizaine de planches en plus.
Tout ça pourrait laisser penser que je n'ai pas pris mon pied sur ces 80 pages ; en vérité, j'ai quand même été scotché par les décors, l'intérêt de l'auteur pour la botanique bizarroïde, ainsi que son désir de ne mettre quasiment que des personnages extraterrestres, bien que tous anthropomorphes. Quand les trois quarts des héros Star Wars sont des humains dans une galaxie qui compte des milliers d'autres races, on se dit que les scénaristes ont dû se planter quelque part…

Bakonet Jackonet — La prophétie de Kalibrelourd

Kalibrelourd, déesse de la bagarre, vient annoncer à un ermite une terrible prophétie : son île va se retrouver détruite par un raz-de-marée. Reste à prévenir les habitants de fuir…
Disons-le : c'est une fable écologique extrêmement classique, laissant une morale qu'on avait devinée dès les premières pages. Et pourtant, ça fonctionne : d'une part grâce au don de l'auteur pour la caricature, d'une autre grâce au narrateur qui est un perroquet à la langue bien pendue.

Félix Cobo — Codex Libris

Un bibliophile un brin vieille école vient de faire l'acquisition de sa vie. Mais un accident improbable va le transporter à l'intérieur de ce mystérieux grimoire…
Scénario « en zigzag » oblige, les péripéties s'enchaînent sans forcément être liées les unes aux autres ; mais derrière cet aspect légèrement décousu, Félix Cobo nous livre une réinterprétation originale de la figure du livre magique. Autrement dit, vous pouvez vivre dans les illustrations, mais aussi marcher sur les caractères de texte, escalader les enluminures, sentir une variation de l'air quand le papier change de qualité… Je sens que j'aurais adoré cette histoire gamin, et adulte c'est toujours un plaisir !
Du reste, on notera qu'il s'agit de la troisième histoire mettant en scène l'art : la première montrait un génie, la deuxième un public inculte et des artistes ratés, celle-ci montre un connaisseur. Sachant qu'un autre récit s'axe autour de la botanique et que le précédent mettait en scène un religieux, on change énormément des registres militaires ou politiques auxquels nous a habitués la SFFF de ces dernières décennies.

Bérénice Motais de Narbonne — Les Ectoplasmes Égarés Anonymes

La nuit, une sorcière (l'auteure ?) convoque autour d'elle des esprits et des créatures surnaturelles… mais plutôt que de leur demander des services, elle s'affaire à les soigner. Chacune d'entre elles va donc raconter son histoire ; on en arrive à une espèce de mini-Décaméron fascinant par sa densité. On notera là aussi une imagination florissante… mais bien moins destinée aux enfants !
La poésie omniprésente n'empêche pas ce recueil dans le recueil de prendre toutes les directions : drame exotique, récit érotique, urban fantasy… le tout pour un fond solidement engagé : multiculturalisme, anticolonialisme, reconnaissance des personnes intersexes… La particularité du trait, presque sfarien, vient renforcer l'ambiance bizarre et onirique. Par contre, les dialogues m'ont beaucoup moins convaincu : si le familier ultracontemporain se mariait tout à fait à certaines histoires, ici l'autrice aurait gagné à faire comme pour Dans un rêve, soit ne jamais y recourir…

Histoire bonus : Lucas Bardoux — Retour au bercail

J'ai eu la chance, en tant que mécène, de bénéficier de cette histoire en stand-alone. Kroko Gooddeal est donc de retour, mais ça ne va pas fort : il a perdu son flow et ne sait plus faire que du rap de rue… Comment commencer un nouveau parcours initiatique quand on n'est plus un jeune scarabée ?
La réponse se trouve sans doute chez sa mentor, Mamie Kamé, experte en drogues et en chamanisme ; mais attention, elle passe à tabac tout autant qu'elle en deale. le grand sage redevient un disciple martyrisé, et c'est très drôle. En parallèle de ça, Lucas Bardoux élargit son univers d'oriental fantasy décalé et dépaysant. le tout avec un solide sense of wonder d'un psychédélisme fou sans jamais tomber dans le cliché ! On lèvera juste le sourcil sur certains détails : un crocodile peut rester deux ans sans manger, d'accord ; mais une semaine sans boire ?

Conclusion

Alliant des thèmes universels à des diégèses pour le moins originales, Zitrance est une belle réussite qui parvient à concilier une grande cohérence et une grande diversité. L'auto-édition y laisse quelques défauts comme une orthographe fluctuante, mais on reste sur de la belle ouvrage. J'attends avec impatience de leur donner toute mon oseille pour le tome 2 ; car après tout, ć'ęš̤Ŧ ꝕõÜr̀ ᴟⱭ́ c̄ỮʟꜨʋ́R̥̄Ə. . .
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