Même s'il a assez peu publié, Ion Mureșan écrit de la poésie depuis son enfance «libre» dans un village de Transylvanie. Cela l'aide à vivre tout simplement. «Le mouvement sans coeur de l'image» est la traduction du deuxième recueil de Ion Mureșan, paru en 1993 et intitulé « Poemul care nu poate fi ințeles » (le poème qui ne peut être compris).
En somme, l'équation poétique semble simple à comprendre : appréhender la réalité ne se peut qu'à travers une poésie fatalement incompréhensible (cf. le poème «La vie détruite par la poésie», p. 40).
La quatrième de couverture de cette traduction indique : «S'il est possible de le considérer comme l'héritier du «groupe onirique» roumain qui marqua les années soixante par la recherche, dans le verbal de l'image, d'une règle intérieure, Ion Mureșan s'en détache aussitôt par le caractère à la fois énigmatique et transparent de ses poèmes. Sa vision du monde est cruelle, presque fantomatique, hantée de légendes universelles au proprement transylvaines, cependant qu'une aspiration à la pureté toujours la traverse comme, dans un rêve, un éclair soudain vient dissiper la brume inquiétante.»
Ainsi, on comprend mieux cet amer constat :
«Maintenant plus question de la poésie, d'une
harmonisation relative des erreurs,
mais seulement des pleurs et de la manière d'enlever
les sacrées griffes accrochées aux tempes.
Le bon Dieu a descendu brusquement les chaînes sur les fenêtres.» (p. 42)
Je partage aussi ce point de vue exprimé par
Olivier Apert dans son émouvante postface :
« La tradition rapporte que «tout Roumain naît poète» : retenons-en au moins, tout en nous méfiant extrêmement de ce genre de généralités, qu'un goût natif pour l'irrationnel narratif (que l'on retrouverait dans l'histoire politique du siècle ?) traverse la poésie roumaine, laquelle parie davantage sur le mouvement vernaculaire du fond que sur le jeu gratuit de la forme. Chez Ion Mureșan, cet irrationnel narratif s'impose comme l'association implicitement évidente, la mise-ensemble, le recueil-recueillement de scènes intimes et extimes par lesquelles sans cesse la transaction de l'être et du monde se réalise, par lesquelles le transvasement réciproque du dedans au dehors s'effectue sous perfusion :
[…] c'est ainsi que je vois
serré comme je suis la cagoule de la folie...
une herbe blanche et bruissante remplit ma mémoire,
par-ci par-là un rocher, un bloc
de sang glacé […]»(p. 73).