Une littérature ne peut s’épanouir que dans un solide système de conventions sociales. Et la seule convention que connaisse l’Antillais est son implication dans le monde blanc. Cela prive son travail de toute propriété universelle. La situation est trop particulière. (…) On ne peut reprocher à aucun écrivain de refléter sa société. Si l’écrivain antillais encourt ce reproche, c’est que, en acceptant et promouvant les pâles valeurs de race et de couleur de son groupe, il n’a pas seulement échoué à diagnostiquer la maladie de sa société, mais il l’a aggravée.
Quand je descendis dîner, le trio anglais était en train de parler du problème racial aux Antilles. Ils exprimaient bruyamment leur vues libérales; leur libéralisme avait réduit la situation raciale antillaise complexe à la question simple et sans importance, bien que plus satisfaisante, des préjugés blancs. (…) «Eh bien moi, j‘ai des amis de toutes les couleurs.» La conversation dévia sur la chasse à courre et à tir, et j‘appris que le taux d‘accidents était plus élevé en Amérique qu‘en Angleterre.
… un autre Américain avait encore acheté un morceau de l’île de Tobago. (…) Ces îles étaient petites, pauvres et surpeuplées. Jadis, à cause de leur richesse, un peuple avait été réduit en esclavage; aujourd’hui, à cause de leur beauté, un peuple était dépossédé. (…) Tout pays pauvre accepte le tourisme comme une dégradation inévitable. Aucun n’a été aussi loin que certaines de ces îles des Antilles qui, au nom du tourisme, se vendent elles-mêmes en un esclavage d’un nouveau type
Cependant, huit ans après que ces lignes furent écrites, des émeutes raciales éclatèrent à la Martinique au cours desquelles trois personnes furent tuées; et ces troubles se répétèrent en 1961, juste quinze jours après que j’eus quitté l’île. Les Martiniquais sont peut-être tous français, mais la plupart ne peuvent être de simples Français qu’hors de la Martinique. A la Martinique, ce sont des Français noirs, ou des Français bruns ou des Français blancs.
Que la Martinique soit la France, et plus qu’en apparence, que la France ait réussi là, comme peut-être nulle part ailleurs, sa «mission civilisatrice», ne peut être mis en doute.
Discours de V. S. Naipaul à l'occassion de l'obtention du prix Nobel de littérature en 2001.