« Si les migrations n'existaient pas, comment un oiseau pourrait-il voyager du nord au sud, pour charmer un petit poisson rouge de la mélodie de son chant ? »
Vous êtes-vous déjà interrogé sur ce que vous seriez si vous deviez fuir votre pays ?
Cette question me taraude, je ne parle que le français et si je devais vivre ailleurs comment ferais-je ?
La question va au-delà de la langue, il y a les us et coutumes d'un pays, du regard de ses habitants…
Mahmud Nasimi a fui Kaboul en 2013 et il est arrivé en France en 2017.
De ces quatre années, des pays traversés, des conditions et des dangers encourus, vous ne saurez rien, quelques impressions fugaces, auréolés de pudeur, il ne cherche pas la pitié ni à faire du sensationnel, juste un peu d'humanité.
A Paris, des nuits sur un banc, de foyers
en familles d'accueil, pareillement vous ne saurez que les belles rencontres, pas la misère. Vous devinerez la solitude, l'absence criante de communication qui crève le coeur et écorche les yeux et les oreilles.
Sur son enfance, vous découvrirez une mère et une grand-mère aimantes pour ce petit diable qui pense plus à jouer qu'à étudier.
De cette époque il ne retient que la douceur des êtres et son inappétence pour les paysages et les livres.
A Paris, c'est l'inverse, il ressent les lieux, les observe, il engrange.
Les jours et les nuits s'enchaînent, le coeur est souvent lourd, les larmes cachées, pour offrir un sourire.
Il pénètre ce lieu magique « le cimetière du Père Lachaise » où chaque tombe porte un nom qui est un univers.
Cet univers il va l'effeuiller, se l'approprier pour en faire une matière, une sauce qui relèvera les cours de français qui
lui sont dispensés dans le cadre de son intégration.
Maupassant, Hugo,
Balzac et toute la cohorte de ce que notre littérature a de plus cher, lèveront le voile pour
lui.
« La littérature qui n'existait pas dans ma vie, est venue rompre ma solitude, elle me prend par la main pour m'accompagner chaque jour jusqu'à la fin du voyage. Elle me fait plonger dans son univers et je la dévore par les yeux, par les oreilles et même par l'air que je respire. Elle est une fenêtre ouverte sur un paysage magnifique, elle me fait entendre le matin le chant des tourterelles, sentir à midi la caresse du soleil, voir le soir le scintillement des étoiles. Parfois même, je voyage au-dessus des nuages, je traverse les frontières…en tournant les pages. »
Il y a en filigrane, le parcours du combattant pour les demandeurs d'asile, mais jamais il ne s'appesantit sur son sort.
Ce sont pourtant des peurs, des blessures qui jalonnent et hantent ses nuits. Mais il veut, de tout son coeur, ne retenir que le positif, la possibilité d'
une vie.
L'invisibilité infligée à tous ceux qui n'entrent pas dans les cases de la mouvance consumériste, est là et nous interroge sur un choix de société.
Comme l'auteur je ne m'appesantirai pas sur ce vaste sujet.
Mahmud Nasimi a fait sienne notre langue, il a écrit ce livre en français, c'est une prouesse, car il fait chanter et vibrer cette langue, pour nous cueillir dans nos émotions, nous qui lisons parce que les mots nous sont importants, essentiels et que les livres sont autant de fenêtres ouvertes sur un ailleurs salutaire.
Quel plus bel hommage que celui-ci ?
Surtout lorsqu'il est enveloppé d'une telle étole :
« S'il est un être à qui vous voulez dire que vous l'aimez, à qui vous voulez pardonner, que vous voulez revoir ou que vous voulez aider, n'attendez plus car demain n'est pas une promesse ! »
Toute traversée du désert a besoin d'une étoile,
Mahmud Nasimi en est une !
Bravo.
©Chantal Lafon
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