Une jeune fille et sa grand-mère sont assises devant une tasse de thé. La jeune fille parle du garçon qu'elle aime. Elle demande à sa grand-mère si elle a été amoureuse et celle-ci ouvre la boîte à souvenirs et replonge dans son histoire à Paris en 1942, pendant l'occupation allemande.
Les deux autrices nous décrivent avec précision les habitants d'un immeuble parisien. On croit connaître les gens, mais en fait ce ne sont que des façades. Il faut passer derrière pour découvrir qui ils sont réellement. Ce sont essentiellement des portraits de femmes, puisque les hommes sont partis à la guerre, prisonniers ou ont été "engagés" dans le Service de travail Obligatoire (STO).
Les vies s'organisent autour de l'occupation allemande, avec ces temps de restriction à tout point de vue, restriction alimentaire, restriction de liberté.
Rose est infirmière et travaille au dispensaire. Joséphine est chanteuse de cabaret. Madame Flament est une vieille acariâtre qui râle tout le temps. Judith vit avec Léon, qui est policier. Léon se charge de protéger et surveiller Rose dont l'amoureux est loin. Simone est la fille des concierges : elle adore dessiner, s'habille et coupe ses cheveux comme un garçon. Une mère juive vit dans l'immeuble avec ses enfants.
Toutes ces vies se croisent et ont des interférences entre elles. Celle de Rose va basculer quand un officier allemand se présente à la recherche de la famille juive. Rose va protéger ses voisins en indiquant leur départ mais elle tombe sous le charme du bel officier et c'est réciproque.
Navie et carole Maurel nous décrivent des vies de femmes sous l'occupation et comment elles font pour continuer à vivre, à avoir une vie. Elles décrivent la tragédie de ces femmes privées de leur mari, de leur fiancé, de leur amoureux. Ces femmes vivent dans l'incertitude du lendemain et sont parfois de longues périodes sans nouvelle de l'être cher. Ces femmes doivent vivre et travailler sous l'occupation.
Quand on est une femme seule dans un pays occupé a-t'on le droit d'être heureuse ? A-t'on le droit d'aimer et d'être aimée ? A-t'on le droit d'avoir des sentiments amoureux pour un ennemi ? Est-ce qu'aimer en temps de guerre est un crime ?
Navie et
Carole Maurel nous présentent avec beaucoup de tendresse et de délicatesse la relation entre Rose et son amoureux. On sent une réelle sincérité dans les sentiments éprouvés. Elles décrivent aussi la descente aux enfers de Joséphine qui cherche à survivre. Elles nous font entrer dans l'intimité de ces femmes courageuses et parfois démunies. Les autres habitants de l'immeuble ne voient que la face apparente que ces femmes donnent à regarder. Nous sommes bien dans le temps des amours, le temps des secrets.
Navie et
Carole Maurel reviennent sur une partie sombre de notre histoire. Au moment de la libération de la France, il y a eu la période de l'épuration, celle où les collaborateurs étaient recherchés pour être jugés et condamnés. Les femmes ayant eu des relations avec des allemands étaient considérées comme des prostituées et elles étaient humiliées en public, placées sous la fureur de la foule déchaînée.
J'ai à nouveau apprécié le graphisme de
Carole Maurel (Écumes, En attendant Bojangles). Il est centré sur les visages, les expressions et les attitudes du corps. Les décors sont réduits au minima, étant remplacés par des aplats de couleurs. J'ai aimé ces couleurs rappelant celles des vieux albums photos que l'on feuillette avec les grands-parents. J'ai aimé la variété proposer dans l'univers graphique : un graphisme différent en fonction des situations. Bel exercice de style, bel exercice de création.
J'ai aussi beaucoup aimé le scénario proposé par Navie : les histoires se recoupent, se superposent, se complètent car Navie raconte plusieurs histoires qu'elle détaille ou qu'elle survole, laissant l'esprit du lecteur inventer une suite.
Belle surprise de lecture sur un thème difficile mais quand il est abordé par des femmes, c'est plus léger, plus sentimental comme le prouve la conclusion.