Alice parle, elle aime parler, entretenir la conversation, d'ailleurs c'est son boulot, puisqu'elle est assistante sociale, de faire parler les paysans en fin de course sur le causse. Mais son mari travaille beaucoup, et lorsqu'elle essaie d'aider un éleveur de brebis, lui aussi est mutique, et même va jusqu'à la chasser un jour de chez lui « va-t'en, je ne peux plus te voir. »
Elle qui aime tellement converser, est obligée de se taire. Quand advient, le 19 janvier, la disparition d'une autre femme, Alice ne pense qu'au fait qu'elle vient de se faire larguer sans rien comprendre, car l'éleveur est devenu son amant. Elle s'en veut de ne pas prêter attention aux ragots : « Parait qu'elle aime pas que les hommes, si vous voyez ce que je veux dire, » mais c'est plus fort qu'elle, elle ne pense qu'à son amour perdu.
Elle qui aime parler, ne peut se confier à personne. Et nous, qui aimons lire, nous ne pouvons que noter, sans en apercevoir l'importance, les petits détails que
Colin Niel sème mine de rien, en donnant la parole à Alice, puis en la donnant à Joseph, l'amant, pas seulement muet, mais aussi pas très intéressé par elle, ni par aucune femme, finalement, parce qu'il ne sait pas parler aux gens. Aux brebis, oui, quand il le faut,
seules les bêtes le motivent, il est comme ça, même s'il se le reproche.
Deux solitudes, deux personnes incapables malgré leur bonne volonté de comprendre ce qui leur arrive.
Une troisième solitude intervient, éperdue, d'une jeune femme hippie, avec drealocks, catapultée par amour dans ce village des causse, recouvert de neige, transi de froid. La seule peur qu'elle ait, c'est de se retrouver seule, putain.
Quand on dit roman choral, je croyais que les protagonistes intervenaient l'un après l'autre, en communiquant entre eux, comme dans un choeur. Dans le livre de
Colin Niel, chacun vit seul, se raconte avec son vocabulaire, sa manière à lui ou elle de voir les choses, sans jamais, même entre les amants, se parler.
Trois solitudes, deux largages, une mort, une disparition, les suppositions de chacun et nous qui nous dépatouillons avec bonheur.
Et puis l'Afrique, dont rêvent Alice et le mari...
Bien entendu je ne peux pas en dire plus, moi non plus, sauf pour vous engager vivement à lire ce chant venu d'une terre aride, désolée et les solitudes conjuguées de ces agriculteurs assez perdus.