Je ne sais encore comment je vais aborder cette note. Il me semble inutile et fastidieux de tenter un résumé ou une vulgarisation de la totalité des idées développées. Et je trouve assez déplacé et même cocasse de juger
Nietzsche, par ailleurs.
Il faudra bien que je trouve une manière de parler de cette oeuvre d'une nouvelle manière, en optant pour une sélection des idées, selon mes choix. C'est un terrain nouveau que j'explore.
Alors, c'est poétique et métaphorique, certes. Je préfère pourtant, moi, des idées bien nettes, tranchantes, irréfutables et péremptoires à des images, même belles. J'ai le sentiment, lorsque je lis une métaphore, que l'on s'imagine qu'elle me fera mieux réfléchir, qu'elle m'aidera à comprendre une théorie qui me donnerait trop de mal si elle était « brute ». Je me sens infantilisée. Comme on fait comprendre les choses à un enfant par les fables et les contes. J'en suis offensée, d'une certaine manière.
Voilà ma première impression :
Nietzsche prend son lecteur pour un enfant qu'il doit tenir par la main pour le mener à la sagesse. Par une suite de paraboles.
Et puis ça a quelque chose de très impatientant, même d'irritant à la longue.
Alors, bien sûr, j'entends le principe. Un nouvel évangile, mettant en scène un nouveau prophète, remplaçant l'ancien puisque dieu est mort. Une sorte de contre-évangiles en somme. Pastiche déroutant et fort habile même si la lecture peut en être parfois pénible.
Je suppose que cela avait plus d'impact sur les contemporains de
Nietzsche. Aujourd'hui, sa force est moindre car enfin, un évangile n'évoque plus rien à personne ou si peu, et à si peu de gens.
J'ai élu quelques images selon mon goût. Je ne détaillerai que celles-ci. En précisant bien que ce n'est pas du tout un résumé de l'oeuvre. J'interprète uniquement quelques images en y mêlant mes propres idées et réflexions parfois. Seulement cela.
Dès le prologue, je retiens une chose qui me plaît infiniment. L'homme serait quelque chose qui doit être surmonté. Et je le comprends de la manière suivante: nous devons nous élever. Notre qualité d'homme est bien loin d'être suffisante. Nous devons évoluer pour devenir des êtres supérieurs, au delà de nous-mêmes. Et je songe à
Julien Green, qui écrit que écrire, c'est monter sur ses propres épaules. L'homme doit se surpasser lui-même. Devenir le surhomme. Pour cela, l'homme doit d'abord passer par une étape bien pénible. Il doit se mépriser tel qu'il est. C'est à dire ne pas se contenter de ce qu'il a déjà bâti et de la petite évolution à laquelle il est parvenu, mais surtout en être insatisfait. Et alors me vient une autre référence, « du feu aux Poudres » de
Henry War. Et toute cette partie terrible intitulée « Ton vil portrait ». Ce « vil portrait », regard lucide sur soi-même m, ne doit pourtant pas effrayer ni indigner. Il nous est un mal nécessaire, une vérité à regarder en face, afin de se corriger et d'entamer la construction d'un « soi » suprême, évolué.
Cet état d'homme méprisable me conduit logiquement au sage du sommeil. Comment trouver le repos? le sage dresse quarante conditions pour bien dormir. Et ce paradoxe est terrible: bien dormir apparaît comme un but dans la vie. Il serait une fin. Tant pis si les moyens sont discutables, le seul but est le bon sommeil. « Honneur et obéissance à l'autorité, et même à l'autorité boiteuse ! Ainsi le veut le bon sommeil ». Ce sage aspirait à une vie endormie, à une existence paisible, quitte à ne rien faire, et à s'éloigner de tout se qui gâcherait ce repos sans remous. Des gens déjà morts, donc, s'assurent de leur bon sommeil. Éloignés volontaires de toute vitalité, de toute puissance, de la vérité et de tout ce qui feraient d'eux des individus.
L'homme qui dort bien est donc chameau. Une bête de somme qui porte sur son dos toutes les valeurs qui lui permettent de bien dormir. Il obéit donc à la parole du sage, ou aux commandements du dragon.
Le chameau, pour s'élever, doit d'abord devenir un lion. le lion féroce refuse les dogmes. Enfin, le lion devient enfant. L'enfant est vierge de morale et d'ordre établi. C'est un recommencement, un nouveau départ de zéro, un effacement de toutes les fausses données apprises, amassées par le chameau, qui ont disparu. L'enfant ne porte plus les vertus sur son dos, il est libéré de ce qu'on lui a appris, et peut refaire le chemin de lui-même. Choisir ses propres lois, penser par lui-même et inventer ses propres codes. L'enfant n'est pas moral, pas encore. Il ne sait comment bien dormir. Il est plein d'une saine vitalité, d'une soif d'apprendre et de découvrir. Et je connais très bien ce chemin, ces transitions du chameau à l'enfant. Et puis de l'enfant à l'élévation de soi, enfin rendue possible par la décharge des fardeaux.
La solitude, dont se pare constamment Zarathoustra, paraît une condition indispensable à l'élévation. Mais cette solitude n'est pas celle d'un ermite qui se terre et se cache, bien au contraire. La solitude de Zarathoustra est une solitude de sommet, « à six milles lieux au dessus des hommes et du temps ». Il est tant élevé qu'il est seul en haut, si haut. L'abîme est trop important qu'il ne peut communiquer avec les hommes. Il est monté si haut qu'ils ne peuvent l'entendre, et le chassent. Parce qu'ils ne peuvent comprendre sa grande supériorité. La populace est grégaire, elle parle d'une seule voix, quand l'individu lui, parle en son nom parce qu'il a réfléchi. Il ne peut être solidaire ni se ranger à l'avis général. Voilà pourquoi il est seul. Il ne se présente pas en poète maudit pour paraître. Il est seul parce que personne n'a accès à sa pensée.
Néanmoins, Zarathoustra a quelques disciples. Qu'il chasse par cohérence. Lui qui enseigne de faire son propre chemin et de ne suivre aucune pensée aveuglément ne peut souffrir logiquement d'avoir des disciples. Il les incite ainsi à continuer la route seuls eux aussi.
Cette solitude doit-elle se passer d'amitié ? Non. Cependant l'amitié ne doit pas être une façon de ne pas se retrouver seul avec soi, et ne pas entraver les conversations que l'on tient avec soi-même et intérieurement. Jamais l'ami ne doit être une façon de s'oublier, et ainsi de ne pas penser. L'amitié doit être un dépassement commun, une admiration mutuelle. L'amitié doit être aussi la haine des failles de
l'autre, et non pas ce lieu commun d'accepter
l'autre tel qu'il est. Les amis doivent se diriger communément vers un idéal d'élévation, autrement l'amitié n'a aucun intérêt. L'amitié doit être un dépassement de soi constant, afin de continuer de mériter son ami. L'amitié n'a pas besoin de bonté ou de bienveillance, d'indulgence feinte et commune, qui ne sont pas des valeurs essentielles. Elle ne peut pas être paisible, et peut-être pas durable non plus. Elle n'exclut pas de mépriser les faiblesses de ses amis. Et ce pour leur bien. On aide bien
l'autre à dépasser ses faiblesses en les lui montrant durement.
C'est une alliance détachée d'affects infondés, et basée sur l'élection d'une supériorité chez
l'autre.
L'amitié est exigeante, et supérieure à l'amour au sens où l'on entend l'amour. L'amour devrait être une amitié, selon moi, de celle dont rêve
Nietzsche. Et pas cette bête promesse faite trop tôt, alors que que l'homme et la femme sont à la fois ignorants d'eux-mêmes et emplis de proverbes mensongers qu'on leur a rabâchés au sujet de l'amour. Je pense que jamais le but premier devrait être de trouver l'amour et d'en espérer ainsi être complété. Non, l'amour ne complète rien. Au contraire, il gêne une progression, car l'amour est exigent en temps et en abnégation sotte. L'amour ne devrait se rechercher qu'une fois que la personne est devenue un individu accompli.
Nietzsche est misogyne, sans aucun doute. La femme serait le jouet le plus dangereux de l'homme. Je souligne à l'occasion un paradoxe à ce sujet: J'ai eu l'occasion de lire un peu
Lou Andreas-Salomé, par bribes. Elle décrit un
Nietzsche très gentil et plein d'égards envers elle.
Nietzsche ne décrit que la femme dans le couple, c'est à dire par contraste avec l'homme dans le même genre de relation.
« Je voudrais que la terre fut saisie de convulsions quand je vois un saint s'accoupler à une oie ». Cette phrase m'a énormément plu tant elle est juste et éloquente.
La femme, selon
Nietzsche, ne peut accéder à l'amitié telle qu'il la décrit et elle se vautre plutôt dans l'amour, que
Nietzsche hiérarchise en dessous de l'amitié. Cette sorte d'amour sans fondements rationnels, et qui ne s'explique pas (!).
D'ailleurs,
Nietzsche nomme le mariage ce « misérable contentement à deux », cette « longue sottise » et cela m'a fait sourire. Tant c'est une vérité terrifiante.
J'ai aimé aussi « le petit mensonge paré que l'homme appelle son mariage ». Très réjouissant. J'ai aimé la description de l'homme qui cherchait une servante et qui finalement est le servant de la femme. Bête et soumis, empêché de s'élever par une contrainte matrimoniale et domestique toute stupide. Ainsi la femme est un jouet dangereux. Et le mariage un contrat odieux auquel il ne faut pas consentir.
De même, le droit de désirer un enfant ne devrait pas être accordé à tous et à tout moment. Il faudrait, pour faire un enfant - toit comme pour goûter l'amour - être construit soi-même, s'être élevé avant. Ainsi, on peut construire un individu qui deviendra plus haut que soi-même. Vouloir un enfant pour en faire la réplique d'un être aussi vil que ses parents non élevés est inutile.
Je n'ai traité ici que quelques images et développé seulement une petite poignée d'idées.
L'ensemble des prophéties de Zarathoustra décrivent le surhomme. le surhomme est un individu libre, amoral et détaché du fardeau de la religion. L'homme n'est qu'une corde, un passage allant de la bête au surhomme. L'homme doit être surmonté, par ce passage difficile. L'homme doit être méprisé par le surhomme à la façon dont celui-ci méprise le singe. L'humanité n'est rien, rien de quoi l'on puisse être fier. L'homme se satisfait de sa condition alors qu'elle est médiocre, et si depassable!
La naissance du surhomme doit passer pas la mort de dieu, logiquement. Aucune croyance fausse ne peut perdurer. « le blasphème contre dieu était le blasphème le plus grand, mais Dieu mourut et alors ces blasphèmes moururent eux aussi ». L'existence de Dieu attache l'homme, le tient avec de lourdes chaînes à sa médiocrité, et l'empêche de s'élever en surhomme.
Débarrassée de morale, de pensées grégaires, l'individualité intellectuelle s'épanouit et le surhommes peut ainsi accéder à la vérité, à sa grande vitalité et à sa toute puissance.
Je le permets une dernière remarque, toute personnelle. Aujourd'hui, Dieu est mort. Et pourtant, pourtant le surhomme n'est pas là. La morale, les proverbes, les préceptes de bonté et de solidarité (gregarité) sont restés. L'homme ne s'est pas libéré. Peut-on espérer encore l'émergence du surhomme ?
Pour conclure, je dirai que les impatiences que provoquent parfois ces discours imagés sont vite pardonnés. le fond, lui, est si riche et excellent d'intelligence et de finesse que ça ne peut laisser le lecteur qu'admiratif.