Émission "Une vie une oeuvre" diffusée sur France Culture le 05 avril 2014. Par Tiphaine de Rocquigny. Réalisation : Marie-Laure Ciboulet. Lou Andreas-Salomé (1861-1937), l'esprit libre. Tour à tour muse, romancière, psychanalyste et interlocuteur privilégié des plus grands penseurs de son temps, Lou Andreas-Salomé fut la disciple de Nietzsche, lamante de Rilke et la confidente de Freud. Objet de fantasmes et de légendes, on la présenta comme une mangeuse dhommes, véritable Messaline pour certains, Reine Vierge pour dautres, et cette image a longtemps dissimulé celle de lécrivain, célébré à Paris, Vienne et Berlin, bercé par la philosophie de Spinoza et de Kant, la femme libre, voyageuse, profondément spirituelle.
La petite Liola von Salomé naît à Saint-Pétersbourg en 1861, l'année où le servage est aboli en Russie. Elle grandit au sein d'une société brillante et bénéficie d'une formation d'exception auprès du pasteur hollandais Hendrik Gillot. Ce prédicateur adulé tombe fou amoureux d'elle et la demande en mariage. Premier amour, premier refus. La jeune femme de 19 ans tient à sa liberté et part poursuivre ses études en Suisse. À Rome, elle rencontre le moraliste Paul Rée puis le philosophe Friedrich Nietzsche. Tous deux demandent sa main. En vain. Lou a d'autres projets : elle leur propose de former une « Trinité » intellectuelle, véritable communauté d'esprits qui ne verra jamais tout à fait le jour. A l'aube du 20ème siècle, elle rencontre celui qui deviendra son amant et l'un des plus grands poètes de son temps, René Maria Rilke. Leur passion durera trois ans, leur amitié plus de vingt. La dernière grande rencontre de la vie de Lou a lieu en 1911 au Congrès de psychanalyse de Weimar. Lou fait la connaissance de Freud et se plonge à corps perdu dans l'exploration de l'inconscient et de la psyché féminine. Le père de la psychanalyse accueille en Lou l'écrivain consacré : il sera le grand confident et le soutien indéfectible de ses dernières années.
La postérité a fait de Lou une figure de légérie, la muse par excellence, mais elle a oublié ses écrits. Une uvre riche, complexe, restée dans lombre dune vie dense et intense. On connaît la relation passionnée que Lou a entretenu avec Rilke, de quatorze ans son cadet. On connait moins linfluence profonde, déterminante, quelle a eue sur sa poésie. On en a fait la seule femme jamais aimée par Nietzsche et on a mis de côté ses réflexions, novatrices, sur le narcissisme et la sexualité féminine. Sainte ou femme fatale, mystique ou demi-mondaine, Lou Andreas-Salomé demeure une énigme que seuls ses écrits et son immense correspondance semblent en mesure déclaircir.
Avec :
- Stéphane MICHAUD, spécialiste de l'histoire des femmes, auteur de Lou Andreas-Salomé, lalliée de la vie (Le Seuil, 2000).
- Élisabeth BARILLE, écrivain.
- Isabelle MONS, docteur en littérature comparée, auteur de Lou Andreas-Salomé (Éditions Perrin, 2012)
- Dorian ASTOR, biographe de Nietzsche et de Lou Andreas-Salomé.
- Élisabeth ROUDINESCO, historienne de la psychanalyse.
Thèmes : Arts & Spectacles| Littérature Etrangère| Psychanalyse| Lou Andreas-Salomé
Source : France Culture
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Le monde ne te fera pas de cadeau, crois-moi. Si tu veux avoir une vie, vole-la.
Comme l’ami aime l’ami,
Ainsi je t’aime, vie surprenante !
Que je jubile ou pleure en toi,
Que tu me donnes souffrance ou joie,
Je t’aime avec ton bonheur et ta peine.
Et si tu dois m’anéantir,
En te quittant je souffrirai.
Comme l’ami qui s’attache au bras de l’ami,
Je t’étreins avec toute ma force :
Si tu n’as plus aucun bonheur pour moi
Soit ! Il me reste –La souffrance
C'est toujours une étoile inaccessible que nous aimons, et chaque amour est toujours, en son essence intime, une tragédie, - mais qui ne peut produire qu'en cette qualité ses effets immenses et féconds. On ne peut descendre si profondément en soi-même, on ne peut puiser au tréfonds de la vie, là où toutes les forces reposent encore enlacées, tous les contraires encore indifférenciés, sans ressentir aussi en soi-même le bonheur et les tourments, dans leur connexion mystérieuse.

À la douleur (An den Schmerz)
Qui peut te fuir une fois saisi par toi,
Quand tu le fixes de ton regard ténébreux?
Je ne m’enfuirai pas quand tu m’auras saisie.
Je ne croirai jamais que tu ne fais que détruire.
Je le sais, toute vie est par toi traversée.
Rien n’existe ici-bas qu’un jour tu ne le touches.
La vie sans toi, certes, elle serait belle,
Mais toi aussi, douleur, mérites qu’on te vive.
Non, tu n’es pas un fantôme de la nuit,
Tu viens rappeler à l’âme qu’elle est forte,
C’est le combat qui a rendu grand les plus grands,
– Le combat vers un but, par de durs chemins.
Si donc, douleur, au lieu de bonheur et de plaisir
Tu peux me donner l’Unique, la vraie grandeur,
Alors, viens et laisse-nous lutter corps à corps,
Oui, viens, notre lutte fût-elle mortelle.
Pénètre au plus profond de mon cœur
Et creuse au plus profond de ma vie,
Ôte-moi le rêve de l’illusion et du bonheur,
Ôte-moi tout ce qui ne valait pas les aspirations infinies.
Tu ne remportes pas sur l’homme la dernière victoire,
Même s’il offre sa poitrine à tes coups,
Même s’il tombe mortellement blessé –
– Tu es le socle où repose la grandeur de l’esprit.
Je suis éternellement fidèle aux souvenirs ; je ne le serai jamais aux hommes.
La psychanalyse n'a rien créé - au sens d'inventer quelque chose qui n'existait pas -, elle n'a fait qu'exhumer, découvrir, dévoiler, jusqu'au moment où - comme une eau souterraine que l'on entend à nouveau couler, comme le sang comprimé que l'on sent à nouveau pulser - la totalité vivante peut se manifester à nos yeux. La psychanalyse n'est rien d'autre qu'une mise à nu, opération que l'homme encore malade évite parce qu'elle lui arrache son masque, mais que l'homme guéri accueille comme une libération ; quand bien même, revenu à la réalité extérieure, laquelle entre-temps est demeurée inchangée, il se trouve assailli de difficultés : car, pour la première fois, c'est la réalité qui vient rejoindre la réalité, et non un spectre un autre spectre.
... guérir est un acte d'amour. Rentrer en soi, c'est tout d'abord retourner chez soi avec le sentiment d'être accueilli, comblé dans la totalité de notre être ; c'est ensuite y trouver une force qui vient de nous et nous pousse à agir, au lieu de rester remplié sur nous-mêmes et d'avancer sans but.
... on ne peut effectivement rien dire d'autre de nos émotions que : au commencement régnait l'ambivalence.

Ainsi, à l'intérieur de l'alliance de vie, tout semble se rattacher – comme dans une récapitulation – à une valeur égale aussi inestimable que celle qui caractérise le problème amoureux lui-même dans son ensemble. Et semblable au plus primitif Processus sexuel déjà, - l'unification totale de deux cellules, - dans une certaine mesure comme une image pourrait anticiper pour les rêves d'amour les plus fougueux, alors une image semble s'imposer ici, - une description de la communauté de vie, aussi comme un pur symbole d'abord, sans contenu encore : dans ses formes extérieures, sanction que mariage. Et si cet événement sexuel le plus simple se poursuit selon ses propres lois vers des connexions toujours plus riches, dont l'évaluation intérieure nous échappe de plus en plus, alors là aussi les valeurs entre la forme vide et le contenu de l'expérience intérieure ne peuvent nulle part être mesuré, seules les conjectures peuvent être lues à partir des signes extérieurs fermés. Mais comme la vie sexuelle ne devient pas seulement accessible par ses manifestations supérieures et garde partout son terrain sous elle-même, de la même manière, la communauté socialement reconnue est ouverte à tout couple et à son enfant, si peu qu'il aille de cet extérieur à l'intérieur de la relation l'un à l'autre. Dans les deux domaines, physique comme spirituel, affectif comme social, la richesse illimitée des choses ne peut être pleinement appréhendée que par quelques-uns, et en amour, comme en toute chose, le plus élevé reste l'œuvre rare de personnes exceptionnelles nées pour il. Cependant, ce qui incarne leur génie en elle doit représenter encore et toujours le pionnier, l'aide et l'espoir pour tous ceux qui parcourent les mille chemins d'en bas et de l'extérieur vers le royaume de l'union des sexes. Car ce n'est pas ce qu'il y a de plus haut et de plus rare : trouver l'inédit, annoncer l'inouï, mais ce qui est devenu quotidien, ce qui est donné à chacun, ouvert à la plénitude de ses possibilités dans l'esprit humain. Tout comme nous pensons toujours dans le brouillard du matin que nous errons le long du plat pays jusqu'à ce que le soleil le touche et y laisse briller les sommets des montagnes, souvent séparés de notre sol par le brouillard de telle manière qu'ils sont les mêmes Les fantasmagories travaillent – toujours plus haut, toujours plus loin – et pourtant même les plus inaccessibles sont encore nôtres , appartenant à nos vies : notre paysage.
Mais le courage d'aimer et de vivre, qui s'élève en nous vers de nouveaux rêves à travers la vue de tels sommets et inspire notre démarche, ne peut plus être poursuivi plus avant dans le domaine spécialisé et dans la parole ; en dehors d'une certaine exposition grossière et diurne (également banale-piquante) des choses, elles ne peuvent être interprétées par nous que dans des généralités aussi floues, tant sans se diviser et se séparer en spécifiques, qu'on ne voit que des ailes brillantes sur un troupeau d'anges et de visions distinguaient, et ne connaissaient aucun de leurs noms. Si même ce travail intérieur le plus secret et le plus énergivore est aussi devenu une expérience à deux, alors c'est déjà comme une religion à deux : la tentative de se relier soi-même et l'autre au plus haut que l'on puisse encore atteindre avec le regard, pour en faire une expérience quotidienne. En même temps, cependant, il est également devenu une œuvre de création complète, et uniquement accessible en tant que telle : et se tenant ainsi dans un secret beaucoup plus profond, bien plus solidement éloigné des regards non autorisés que même les secrets les plus secrets de l'amour. Car si celui-ci soit se cache délibérément, c'est-à-dire doit se tenir derrière ce qui est étranger, soit doit s'exprimer haut et fort, c'est-à-dire pathétiquement, conformément à son abondance émotionnelle excessive, ici, pour ainsi dire, aucun sentiment n'est laissé seul, mais incarné dans ses propres actions et pensées : rien de plus que sentir sur le chemin, mais abritant toutes choses en soi - oui, dans tout complètement, et aussi présent dans la plus petite partie, comme le dieu entier encore à travers le buisson ardent 1 : Exode 3 : 2. parle.
Aussi sûrement que les formes vides, les coquilles et les sanctions de la communauté peuvent se vanter d'un contenu qui n'y est peut-être pas du tout entré, tout aussi certainement, à l'inverse, il est constamment symbolisé dans des résultats de vie auxquels on ne le donne pas parce que de leur caractère quotidien peut voir. Et mille fois nous nous promenons ainsi parmi les plus grossièrement visibles, banalement "les plus réels" ainsi que parmi les symboles extérieurs des rêves qui y sommeillent, intériorités enchantées, sans se douter que nous sommes en compagnie de personnes illustres et les plus directement proche de la plus pleine de vie. Car toute vie n'est que comme le miracle qui continue à accomplir son miracle.
Ces mots eux-mêmes, avec leur emprise superficielle inévitable, ne peuvent que tâtonner un processus intérieur comme s'il s'agissait d'une chose extérieure très grossière, espérant que quelque chose de ce qu'il contient résonnera néanmoins, symboliquement, en dessous.

Même là où c'est l'amour le plus résolument érotique qui a fondé le lien de la vie, il apprend encore à se comporter d'une manière qui correspond à son caractère intermittent dans un sens supérieur : à savoir, donner de l' espace. Car l'esprit, qui l'avait élevée d'une simple pulsion sexuelle à une fête et splendeur de l'âme, reste pour elle même là où il l'assigne à sa journée de travail, son activité la plus évitée, mais le seul épanouissement possible pour elle. Et protecteur aussi : en ce que la loyauté envers elle, non plus l'unicité surestimée, apparaît comme liée à tous les fidèles dans leur comportement dans la vie, et en ce que leur rupture d'un simple mal d'amour se transforme en un toucher du vivant, que deux ont créé ensemble, en une sorte d'offense à la vie en germination. Donc, si l'ivresse de l'amour avait déjà été tout un arbre fleuri avant la conclusion de l'alliance, qui fleurit bien avant de se faner, il aurait été planté dans ce sol tout nouveau pour une pousse toute nouvelle. De ce qui a déterminé sa floraison, la sensation S'habituer , s'implanter : parce que l'élément provocateur et entraînant dans le va-et-vient des sensations n'est plus décisif pour la vivacité de toute la communauté qui est également active en tout. Réside dans de tels hauts et bas des fonctions physiologiques, et d'eux des affects conditionnés, exprimaient directement une de leurs valeurs de vie - Dasein semble nous interpeller : « Ne vous attardez pas comme à un but final ! Il faut passer par ici ! « ainsi l'esprit, parce qu'il a atteint son but, exige que ce qui est transitoire devienne asservi, persistance.Ainsi, là où l'érotique se présente de manière si concentrée, comme s'il fallait se sauver dans cette éternité de l'instant, pour l'emporter néanmoins sur la fugacité à laquelle il est enchaîné - là l'esprit le redistribue dans le temporel, dans la succession des choses, où il devient action. Car tandis que dans la perfection grossièrement résumée, l'affectif mime encore le physique - bien qu'avec des airs et des grâces spirituelles, pour ainsi dire - dont les choses individuelles apparaissent une fois pour toutes à nos yeux dans leur vérité plus grossière, les processus spirituels s'avèrent contraires : seuls comme un continu Se renouveler dans l'action, qui semble conçu pour un temps infini et un matériau inépuisable. Le spirituel, en tant qu'accroissement le plus vif, ne peut plus représenter son intégralité autrement que indirectement , symboliquement, comme une initiative, comme une analyse féconde des détails donnés.