A sept ans, j'eus la sensation précise que tout m'était déjà arrivé.
Je récapitulai, afin d'être certaine de n'avoir rien oublié du parcours humain : j'avais connu la divinité et son absolue satisfaction, j'avais connu la naissance, la colère, l'incompréhension, le plaisir, le langage, les accidents, les fleurs, les autres, les poissons, la pluie, le suicide, le salut, l'école, la destitution, l'arrachement, l'exil, le désert, la maladie, la croissance et le sentiment de perte qui lui était attaché, la guerre, la griserie d'avoir un ennemi, l'alcool - last but not least -, j'avais connu l'amour, cette flèche si bien lancée dans le vide.
A part la mort que j'avais frôlée plusieurs fois et qui remettrait le compteur à zéro, que pouvais-je encore découvrir ?
Si l'on cherchait bien dans les pages, on trouvait aussi le mal dont on souffrait. Le mien s'appelait manque du Japon, qui est la véritable définition du mot "nostalgie".
Toute nostalgie est nippone. Il n'y a pas plus japonais que de languir sur son passé et sur sa majesté révolue et que de vivre l'écoulement du temps comme une défaite tragique et grandiose. Un Sénégalais qui regrette le Sénégal d'antan est un Nippon qui s'ignore. Une fillette belge pleurant au souvenir du pays du Soleil-Levant mérite doublement la nationalité japonaise.
Le moment fatidique survint : il fallut monter dans la voiture qui partait pour l'aéroport. Devant la maison, Nishio-san s'agenouilla à même la rue. Elle me prit dans ses bras et me serra autant que l'on peut serrer son enfant.
Ne suffit-il pas d'avoir en bouche du très bon chocolat non seulement pour croire en Dieu, mais aussi pour se sentir en sa présence ? Dieu n'est pas le chocolat, c'est la rencontre entre le chocolat et un palais capable de l'apprécier.
"Trop sucré" : l'expression me paraît aussi absurde que "trop beau" ou "trop amoureux". Il n'existe pas de choses trop belles : il n'existe que des perceptions dont la faim de beauté est médiocre. Et qu'on ne vienne pas me parler non plus de baroque opposé au classique : ceux qui ne voient pas la surabondance qui éclate au coeur même du sens de la mesure ont de pauvres perceptions.
Surhomme, je ne le suis pas; suraffamée, je le suis plus que quiconque.
La faim, c'est vouloir. C'est un désir plus large que le désir. Ce n'est pas la volonté, qui est force. Ce n'est pas non plus une faiblesse, car la faim ne connaît pas la passivité. L'affamé est quelqu'un qui cherche.
L'absence de faim est un drame sur lequel nul ne s'est penché.
A l'exemple de ces maladies orphelines auxquelles la recherche ne s'intéresse pas, la non-faim ne risque pas de susciter la curiosité : à part la population du Vanuatu, personne n'en est atteint.
On m'aimait parce-que j'étais la première de la classe alors que j'aurais tant voulu être aimée pour moi.
Le fond de moi reste seul et a faim même si maintenant je n'ai plus faim du tout car je suis nourrie de milles manières et je ne parle pas d'aliments, je parle d'affection et d'amour, maintenant j'ai ça en abondance et en quantité. J'ai eu faim d'être humain dans la vie et je reste dans la situation d'une affamée.