On ne devrait jamais manger quand on a le vague à l'âme. Cela suscite des vertiges romantiques, des élans macabres, de lyriques désespoirs. Celui qui se sent sur le point de sombrer dans l'élégie devrait jeûner pour conserver son esprit sec et austère. Avant d'écrire Les Souffrances du jeune Werther, combien de choucroutes garnies Goethe avait-il dû avaler ?
On n'est jamais si heureux que quand on a trouvé le moyen de se perdre.
L'odorat a ceci de merveilleux qu'il n'implique aucune possession. On peut être poignardé de plaisir, dans la rue, par un parfum porté par une personne non identifiée. C'est le sens idéal, autrement efficace que l'oreille toujours bouchée, autrement discret que l'oeil qui a des manières de propriétaire, autrement subtil que le goût qui ne jouit que s'il y a consommation. Si nous vivions à ses ordres, le nez ferait de nous des aristocrates.
L'oreille est un point faible. Son absence de paupière se double d'une déficience : on entend toujours ce que l'on voudrait éviter d'entendre, mais on n'entend pas ce que l'on a besoin d'entendre. Tout le monde est dur d'oreille, même ceux qui l'ont absolue. La musique a aussi pour fonction de se donner l'illusion de maîtriser le plus mal fichu des sens.
La victoire était au bout de mon fusil, sauf que je n'avais pas de fusil et n'avais rien à vaincre. Je souffrais de ce génie inutile, comme un commentateur sportif qui aurait la main verte, ou un moine tibétain au pied désespérément marin.
Rien n'est vierge comme de tuer. Cette sensation ne s'apparente à aucune autre. On tressaille de plaisir en des régions difficiles à situer. Un tel exotisme libère.
C'est une histoire d'amour dont les épisodes ont été mélangés par un fou.
Un bizarre concours de circonstances a voulu que je la rencontre après l'avoir assassinée. Normalement, les choses ne se déroulent pas dans cet ordre-là
C'est une forme de connaissance biblique : celui qui est assassiné se donne. On découvre de quelqu'un cette intimité absolue : sa mort.
Il y a des musiques qui obsèdent au point d'empêcher de dormir et même de vivre. Le cerveau les reprogramme en boucle, à l'exclusion de n'importe quelle autre forme de pensée.