D’habitude, c’est le défunt qui semble rajeuni sur son lit de mort. Ce n’est pas mon cas. En effet, après une crucifixion, on prend un coup de vieux. Tout se passe comme si c’était ma mère qui bénéficiait de la fameuse bouffée de jeunesse post-mortem. J’aime cette manière dont nos corps sont reliés.
Sur la Pietà de l’entrée de la basilique Saint-Pierre, Marie a l’air d’avoir seize ans. Je pourrais être son père. Le rapport est à ce point inversé que ma mère devient mon orpheline.
Quoiqu’il en soit, les représentations de mater dolorosa sont toujours des hymnes à l’amour. La mère reçoit le corps de son enfant avec d’autant plus d’ivresse que c’est la dernière fois.
Elle pourra se recueillir sur sa tombe chaque jour, elle sait que rien ne vaut l’étreinte : oui, même avec un corps mort, tout l’amour du monde ne s’exprime jamais aussi bien que par l’embrassement.
En quittant l’enfance, on apprend à ne plus contenter sa faim dès qu’elle apparaît. Personne n’apprend à différer le moment d’étancher sa soif. Quand celle-ci surgit, on l’invoque comme l’urgence indiscutable.
Madeleine avait connu beaucoup d’hommes et je n’avais connu aucune femme. Néanmoins, notre absence d’expérience nous mettait à égalité. Face à ce qui nous arrivait, nous avions l’ignorance des nouveau-nés. Tout l’art consiste à accepter cet état convulsif avec enthousiasme. J’ose dire que j’y excelle et Madeleine aussi. Son cas est plus admirable : les hommes l’avaient habituée au pire sans qu’elle soit devenue méfiante. Elle a du mérite.
Cette noce était ordinaire : une fête où les gens montraient plus de joie qu'ils n'en avaient.
L'aventure commence. Je ne dis pas : "Père pourquoi m'as-tu abandonné ?" Je l'ai pensé beaucoup plus tôt, mais làje ne le pense pas, je ne pense rien, j'ai mieux à faire. Mes dernières paroles auront été : "J'ai soif."
C'est une question de souffle.
En français, ce mot est trop facile. En grec ancien, souffle se traduit par pneuma : admirablement trouvé pour exprimer que respirer ne va pas de soi. Le français, langue de l'humour, n'en conservera , dans la vie courante que le mot pneu.
L’énigme du mal n’est rien comparée à celle de la médiocrité. Pendant leur témoignage, je sentais leur plaisir. Ils jouissaient de se conduire comme des misérables devant moi.
J'aime le matin. Il y a une force inexorable en cette heure du jour. Même si le pire a eu lieu la veille, il y a une pureté matinale.
L’amour concentre la certitude et le doute : on est sûr d’être aimé autant qu’on en doute, non pas tour à tour, mais en une simultanéité déconcertante.
Avant l'incarnation je n'avais pas de poids.
Le paradoxe, c'est qu'il faut peser pour connaître la légèreté. page 27.