Au lac des bois, Tim O'Brien, Gallmeister, 2019, roman
traduction de l'américain par
Rémy Lambrechts
Tim O'Brien est né en 1946, à Austin, dans le Minnesota. Il a fait la guerre au Vietnam, trois ans durant.
Au lac des bois, quand tout s'effondre, emmène au coeur du mystère. de toute façon, la vérité est inaccessible, dit
Freud.
Ce livre est rudement bien construit.
C'est l'histoire d'un Sorcier. Sorcier est le surnom d'un homme qui enfant, parce qu'il voulait être aimé, et de son père particulièrement, trouve l'oubli, lui le solitaire, le frustré, le honteux des remarques paternelles sur son poids, « jelly Jim », dans une cave où il s'exerce à des tours de magie.
Son père se pend, qui avait des problèmes d'alcool et que rien ne satisfaisait jamais. Pour que son père- mort-soit fier de lui, Sorcier, alias
John Wade, s'enrôle dans les combattants au Vietnam. Perdu, comme déjà petit il l'était, il commet deux meurtres dont il ne se remet pas. A son retour du Vietnam, il s'inscrit en politique, parce que la politique, c'est aussi des tours de passe-passe. Mais c'est encore le moyen de venir sincèrement en aide aux gens, et de racheter un peu ses tueries de soldat. Ce qu'il a fait au Vietnam, le massacre atroce d'un village de vieillards, de femmes, d'enfants et de bébés, ressort, et le scandale éclate dans les journaux. Il est défait complètement aux élections qui lui ouvraient le Sénat fédéral. Avec sa femme, il s'éloigne dans le Nord, à la frontière du Canada, là où les habitations sont rares, où les bois et les eaux prennent toute la place et ressemblent aux miroirs dans lesquels
John Wade effaçait tout. Sa femme disparaît, lui aussi quelque temps après. Où ? Comment ?
La construction donc. On est en 83, après l'échec cuisant, comme un point de non-retour, aux élections, dans un petit cottage au pied du lac. le couple forme des projets d'avenir heureux. Elle, est tout pour lui, et de son côté, elle ne peut quitter son mari, amour, fidélité, protection ? L'homme présente des signes de folie, la femme, de dépression, mais ils sont résolus à être heureux. Ils le méritent. L'intérêt de John pour la magie le pousse à croire ou à faire semblant de croire à un bonheur possible. Des flash-back, des retours en arrière, expliquent la situation du couple, l'enfance de John, sa guerre du Vietnam, ses rapports avec son père ; pour elle, son comportement au boulot, son aventure avec le dentiste.
Les flash-back sont récurrents, et à chaque fois qu'ils reviennent, un élément est ajouté, un autre éclairage est donné. le lecteur a droit à un puissant suspense, et il arrive un moment où il croit deviner ce qui a pu arriver, mais ce ne peut être qu'une hypothèse.
Au même titre que les hypothèses qui sont proposées. le narrateur est extérieur, et le focus est placé sur le personnage principal. Si bien que ce qui a trait au personnage féminin rend perplexe. Qui parle véritablement quand il est question de sa promenade en bateau ?
Des éléments sont ajoutés à l'enquête : on entend des voix multiples, des voix aimantes ou accusatrices, des avis de psychiatres, on lit des consignations de procès pour crimes de guerre, on a des paroles d'écrivains, des notes en bas de page de l'auteur lui-même.
En outre, il y a cette image qui parcourt tout le roman, celle de deux serpents qui par amour s'avalent l'un l'autre. Que se serait-il passé s'ils s'étaient avalés totalement ?
le lecteur participe à une véritable enquête. Que cachait ce couple ? S'aimait-il ? La disparition de la femme était-elle préméditée ? L'intérêt de la lecture s'étend au-delà du couple. Qu'en est-il de l'amour ? du besoin d'être aimé ? Peut-on vivre avec un secret ? Et quel secret ? Peut-on vivre encore une fois que le secret a été divulgué ? Et à l'être le plus cher qui soit ? Qu'est-ce que la guerre fait des hommes ? Qu'est-ce que le manque d'amour fait d'eux ? Peut-on se racheter après avoir commis des actes que la raison ne peut expliquer ? Est-on condamné à être un mort-vivant ?
L'auteur s'interroge sur les atrocités perpétrées au Vietnam par les Américains ; sur ce que sont devenus les vétérans de cette guerre une fois revenus au pays, sur l'ingratitude de l'Etat à leur égard : certains en effet deviennent des clochards et vivent sous les ponts. L'auteur s'interroge aussi sur les massacres des Indiens.
La lecture de ce livre est passionnante. L'auteur écrit pour se donner à lui-même des réponses sans doute. de réponse, il n'y en a pas. A moins qu'elles ne se trouvent au fond du fond du lac, ou dans la tête de qui sait d'avance et donc ne sait pas, ou dans le coeur d'une personne aimante et dont l'objectif est de profiter de la vie qu'on a.