Blonde

{Pendant le tournage à Reno des "Désaxés" (The Misfits) en 1962}

Lors de la projection des rushes, Roslyn était toute sensibilité frémissante. Ceux qui abhorraient l'Actrice blonde étaient séduits par Roslyn. Il serait reconnu que Roslyn était la plus subtile, la plus complexe, la plus brillante de toutes les interprétations de Marilyn Monroe à l'écran ; même pendant le tournage, alors que le désastre menaçait à chaque heure, ce fait était su. Roslyn ressemblait à un beau vase qui a été brisé mais qui, à force de patience, de métier et d'adresse, est si méticuleusement réparé, fragment par fragment, morceau par morceau, avec pince et colle, que l'on ne voit que le vase réparé sans se douter qu'il a été brisé, et encore moins de l'énergie monomaniaque dépensée à le réparer. L'illusion de l'intégrité, de la beauté. Une duperie ?

C'était un être que la société ne protégeait pas, pas de famille, pas d'"héritage". Un morceau de viande appétissante à commercialiser. Dans la fleur de son âge, et cette fleur ne durerait pas.

Comment ce type dans sa guimbarde bringuebalante (bien plus vieux qu’un lycéen, de l’avis d’Elsie, qui regardait à travers les stores) pouvait-il même savoir que Norma Jeane était restée à la maison ce matin-là? Est-ce qu’elle envoyait des signaux psychiques? Est-ce que c’était un genre de radar sexuel? Ou alors (Elsie préférait ne pas y penser) carrément une odeur comme un chien, une chienne en chaleur, et tous les satanés chiens mâles du quartier déboulent la langue pendante.

"Pourquoi faire souffrir quelqu'un d'autre ? Souffrir soi-même suffit. "

On était à l'automne 1943... Pilote ! Les femmes qualifiées pour piloter des bombardiers n'étaient pas autorisées à le faire. Les femmes qui mouraient en service commandé n'avaient pas droit aux honneurs militaires comme les hommes.

"Cette nana ne sait pas jouer. Elle ne joue que son propre rôle." Mais c'était une actrice née. Un génie, si on croit au génie. Parce que Norma Jean n'avait aucune idée de qui elle était, et qu'elle devait remplir ce vide en elle. Chaque fois, elle devait inventer son âme. Nous autres, on est tout aussi vides ; peut-être qu'en fait tout le monde a l'âme vide, mais Norma, elle, le savait.

Son problème, ce n'était pas qu'elle était une blonde idiote, c'était qu'elle n'était ni blonde ni idiote.

Car la folie est séduisante, sexy. La folie féminine.
Pourvu que la femme soit raisonnablement jeune et attirante.

La robe avait été cousue sur elle. Ce seul exploit avait nécessité plus d'une heure. C'était la robe de soie rose ardent de Lorelei Lee, sans bretelles, découvrant le haut de ses seins crémeux, et elle lui allait comme une camisole de force.

A la fin d'une scène dans laquelle elle avait joué, l'un de nous lui demanda à quoi elle avait pensé - parce que bon sang la regarder nous avait boulversés, et on n'aurait pas davantage pu rire de Norma Jeane qu'on ne pouvait le faire de ces photographies de Buchenwald de Margaret Bourke-White - et elle répondit de sa voix voilée de petite fille : Oh! Je ne p... pensais pas. Peut-être que je me souvenais?