Quand la mémoire doit remonter des dizaines d'années en arrière, elle a de grandes chances d'être imprécise, à la manière d'un filet déchiré, jeté au hasard, pouvant ramener le négligeable aussi bien que manquer l'essentiel.
Je me rappelle que, en dépit des relations de voisinage cordiales que nous avions toujours eues avec nos voisins afro-américains de Sherbourne Road, leurs deux jeunes fils se mirent à nous injurier et même à renverser notre poubelle sur le trottoir dans les mois qui suivirent l'émeute; un jour, à notre stupéfaction, alors que nous rentrions chez nous en voiture, ils nous crièrent : Vous nous prenez pour des animaux ! Vous nous prenez pour des animaux!
Ils étaient si furieux! Des garçons qui devaient avoir dix ou douze ans. Ils nous semblaient beaucoup trop jeunes pour cette fureur, cette haine, et sans doute répétaient-ils ce que leurs parents disaient devant eux de leurs voisins, de nous, les Smith.
Nous étions trop abasourdis pour protester. Dans nos peaux blanches, peut-être aussi étions-nous paralysés par les regrets, la culpabilité. Et par la peur que la violence n'éclate très vite, comme elle éclatait très vite à Detroit, changeant à jamais les vies les mieux intentionnées.
Le jour, les obsessions de l'insomniaque s'estompent comme les images sur un écran quand les lumières s'allument.
Mais la nuit, on entend, on sent battre tout près les ailes de la folie...
(Lorsque j'ai terminé un roman, exigeant une énorme concentration et une focalisation sur cet autre monde, je suis aussitôt submergée par un flot d'idées nouvelles, ou plutôt par ce déferlement de visions oniriques, qui exercent un charme puissant et rendent le sommeil quasiment impossible.)
Au Bon Pasteur, les fidèles ressemblaient à des zombies : le regard vitreux, indifférents, abrutis d'ennui. Sans nul doute, comme ma mère l'avait insinué un jour, la messe du dimanche matin offrait un moment de repos aux épouses et aux mères. Un peu comme si elles avaient dormi les yeux ouverts, en s'arrangeant pour rester droites sur les durs bancs de bois.
Mon empressement enfantin à dire oui venait de ma crainte que dire non ne fût une terrible erreur.
Parfois, quand ce que j'écris m'absorbe et me fascine jusqu'à l'angoisse, je me surprends à imaginer que ce que j'invente est en quelque sorte "réel"; si je parviens à résoudre le mystère de la fiction, j'aurai résolu un mystère de ma vie.
« Pieds nus osant
marcher
parmi
le scintillement mouvant
de ce qui reste
quand la mer
se retire
nous nous demandons
pourquoi il importait
autant
d’avoir le dernier
mot ?. »
La vie de l'esprit est essentiellement une vie de contrôle ; si vous êtes écrivain, vous exercez ce contrôle par le choix de la langue, l'organisation des "scènes", la progression vers une " fin"... Mais la vie tend à être ce qui échappe à notre contrôle et demeure impénétrable.
Longtemps inoccupée et condamnée l'école de district no 7 fut finalement rasée à la fin des années 1970...Bientôt le souvenir de ces écoles à classe unique ne survivra plus, au mieux, que sur des photographies : associées à un passé mythopoétique de la Frontière, qui, quand il était vécu, était, pour nous qui le vivions, tout simplement la vie.