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Critique de PatrickCasimir


Dans ce dernier opus, je me suis un peu réconcilié avec Michel Onfray.
Je m'était fâché avec lui, en raison de son obsession de la disparition du judéo-christianisme, de la civilisation qu'elle a contribué à créer depuis deux millénaires.
Bon, nul n'étant parfait, il porte toujours haut son "nietzschéisme". Nietzsche n'est pas mon philosophe, notamment depuis que j'ai lu son Antéchrist. Il est vrai qu'on peut lire Ainsi parlait Zarathoustra ou le gai savoir. En tout cas, Michel Onfray m'enseigne sur les fausses analyses auxquelles a donné lieu l'oeuvre du philosophe allemand.

Le propre d'un philosophe est d'enseigner et de se faire comprendre de son auditoire. Jadis on aurait parlé de ses disciples.
C'est ce que fait Michel Onfray de façon excellente, selon moi. Chaque fois que je l'ai lu, j'ai tiré profit de son érudition. Il m'apprend beaucoup de choses et m'invite à pas mal de lectures. Il me plaît de voir qu'il fait souvent référence à des auteurs qui figurent en bonne place dans ma bibliothèque et que j'ai lus ou que je dois lire.

J'ai vu que certains babéliens lui reprochent, dans ce dernier livre, de se répéter. Comme je n'ai pas lu tous ses derniers ouvrages, je ne peux prendre parti, même si la répétition en matière d'enseignement ne constitue pas en soi un défaut, bien au contraire.
Elle permet de cristalliser des notions, des analyses, ou de les préciser dans l'esprit des lecteurs. Cela dit, j'ai reconnu nombre de ses idées déjà exprimées dans certains de ses ouvrages que j'ai lus. Il y a bien redite, mais je n'y trouve rien à redire.

En tant que philosophe (non obscur - ce n'est ni Dérida, ni Deleuze, ni Foucault... ni plein d'autres), il s'attache à nous rappeler "L'art d'être français". Pour cela, dans la forme, il se veut un Sénèque moderne qui adresserait, non pas 124 lettres à Lucilius mais 12 lettres sur les sujets les plus divers de notre époque à un groupe d'étudiants bon chic bon genre : pas de boucles d'oreilles, pas de tatouages, pas de dreadlocks, pas de piercing... comme il l'écrit lui-même ; étudiants rencontrés lors d'une conférence à un institut catholique et qui ont noué la conversation avec notre philosophe.

Pour nous expliquer et expliquer à ces étudiants ce que c'est qu'être Français, il convoque dans une synthèse de bon aloi, Montaigne, Descartes, Voltaire, Marivaux, et Victor Hugo, parce que leur pensée, leur geste (il parle de geste hugolienne) résument assez bien l'esprit français (expression que l'on va retrouver dans un autre de ses livres.
A partir de ses préliminaires si je puis dire, M. O va s'attacher, comme il sait si bien le faire, à déboulonner, mettre à bas des idoles intellectuelles et des icônes consacrées par une certaine intelligentsia essentiellement de gauche.
Ainsi Freud dont il a effectivement, dans un autre ouvrage, montré l'inanité des concepts et leurs conséquences sur l'esprit et les pratiques de ceux qui sont chargés de l'enseignement et de l'éducation des enfants et des jeunes.
Il est vrai que Vladimir Nabokov nommait Freud, "le charlatan viennois".

M. O s'en prend aussi à ces philosophes existentialistes que sont Sartre et Beauvoir et dont il révèle au fond, ce que je soupçonnais être une grande imposture intellectuelle, car leurs idées prétendument révolutionnaires, anticolonialistes, de gauche, ne cadraient pas du tout avec la légèreté de leur attitude durant la guerre.
Il suffit pour s'en convaincre, de lire les mesquineries, sexuelles en particulier, qui émaillent les Lettres au Castor. Ce qui n'a rien à voir, par exemple avec l'attitude d'une autre philosophe de leur génération, morte trop tôt, je veux parler de Simone Weil. Rien à voir donc.
Cela étant, mon constat n'enlève rien au talent d'écrivain de Simone de Beauvoir et de Sartre - par exemple, le deuxième sexe et Les chemins de la liberté demeurent des lectures à conseiller...

Et c'est à partir de ce que l'auteur appelle la généalogie, qu'il met au jour les origines intellectuelles de la pensée de gauche puis de la pensée islamo-gauchiste qui font tant de mal à la société française et européenne par le renversement des valeurs qu'elles produisent et qui entraînent la détestation de la France chez nombre de nos concitoyens issus de l'immigration. Ce qui rapproche ses constats de ceux faits par Sonia Mabrouk dans Une insoumission française.

Cette généalogie permet d'ailleurs de retrouver le lien que la pensée de gauche s'est évertué à gommer, entre les fascismes de gauche et de droite et le socialisme ; le pacte germano-soviétique devient éclairant à cet égard.

L'auteur, au fil de ses lettres, va passer en revue d'autres sujets de débats contemporains, pour nous aider à penser, à bien juger, à réfléchir...
- néoféminisme, décolonialisme, déresponsabilisation, écologisme, antispécisme, créolisation, etc.

Bien sûr, dans ses démonstrations, Michel Onfray, en bon maître de la synthèse qu'il est, prend des raccourcis avec, comme toujours, un petit risque d'imprécision.

Par ailleurs, et cela tombe bien ! Puisqu'il nous invite à réfléchir, je ne suis pas obligé de le suivre dans toutes ses analyses.

Sur l'art contemporain, par exemple ! Si son point de repère, oserais-je dire son modèle c'est Marcel Duchamp, j'ai tendance à voir dans cette évolution de l'art une imposture et un snobisme. Ma subjectivité, à cet égard, est aussi légitime que toutes les analyses sur l'apprentissage des codes, des raisons, du sens de l'art contemporain, etc.

Certaines oeuvres n'ont aucun sens ; elles correspondent à la volonté du prétendu artiste de "se foutre du monde" ou des snobs qui le suivent et qui croient trouver un sens à n'importe quelle production médiocre parée du vocable Art. Je n'adhère donc pas. L'oeuvre d'art est ce qui provoque chez moi une émotion, ou une approbation intellectuelle en raison de sa pertinence symbolique, toujours liée à ma subjectivité. C'est ainsi que je ne suis pas un thuriféraire de Picasso, mais je reconnais que la symbolique de la guerre d'Espagne, de toute guerre d'ailleurs, de toute idéologie fasciste, est remarquable avec Guernica.
M.O lui-même, alors qu'il fait l'apologie d'un art contemporain qui ferait sens si on accepte de se laisser former à l'esthétique qu'il élabore, dénonce lui aussi l'évolution à la fois des artistes sans imagination et des collectionneurs qui en tirent un profit financier colossal sur le marché de l'art. Il est finalement d'accord avec moi : l'art contemporain est une supercherie dans bien de ses manifestations. Grâce à Michel Onfray, je sais qui est Milo Moiré "performeuse" appartenant à ce mouvement esthétique ; je connais Jeff Koons et ses absurdités monumentales ; il ne m'aura pas non plus.

Si je trouve juste, sa démonstration de l'écologisme et de l'antispécisme en tant que nouveaux continents de l'intolérance intellectuelle, de toutes les absurdités, de toutes les violences potentielles (et dont les partisans seraient bien inspirés de s'intéresser justement à la généalogie de leurs idées), je suis plutôt réservé sur l'analyse qu'il fait du concept de créolisation cher à Glissant.

Bien que Glissant soit assez difficile à lire, il me semble qu'il ne fait que constater la créolisation du monde, la relation, la confrontation des êtres, des cultures, des diversités depuis que le monde est monde. Confrontation souvent historiquement violente certes, mais de nos jours, non nécessairement. Un monde nouveau peut résulter de ce métissage qui se fait par delà les cultures nationales, les Etats, les frontières...
Michel Onfray y voit une démarche cosmopolite, complice, dirais-je, d'un capitalisme mondial qui veut plier la planète entière à ses intérêts. Mais la mondialisation du capitalisme n'est pas une invention du XXème S. La route de la soie et les explorations des marins génois en constituaient déjà les prémices. Et la créolisation n'est pas non plus une invention caribéenne !
Mais constater qu'elle s'affirme de plus en plus grâce à la "réduction" de la planète qu'autorise le formidable développement de la technologie, permet d'espérer retrouver (même si ce n'est pas assuré) l'unité du genre humain, une certaine fraternité, bref, un humanisme.

Bon, M. O en doute, et comme le capitalisme est paré de tous les vices, il craint le pire avec le développement discret d'expériences "transhumanistes" dues à des apprentis sorciers qui veulent parvenir au surhomme (c'est moi qui souligne) grâce à la technologie.

En conclusion : un essai érudit dont j'approuve certaines des démonstrations. Je reste, cependant, réservé sur bien des points. Mais ce que l'on attend du philosophe, c'est qu'il forme notre jugement par ses connaissances, par ses analyses, par ses généalogies ; c'est qu'il ACCROISSE NOTRE LUCIDITE.

C'est réussi !

Pat

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