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Citations sur Petit précis de mondialisation, tome 1 : Voyages au pay.. (64)

Pour nourrir la planète, faut-il l'asphyxier ?
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Quand cette ritournelle monte vers le ciel, les amateurs de football se réjouissent. Ils savent qu’ils vont assister au plus beau des spectacles, puisque c’est l’équipe brésilienne qui joue. Le drapeau jaune et vert, « ordre de progrès », descend lentement, enroulée autour d’une main. On dirait qu’un oiseau s’est mêlé à la chorale. Il ne se fatigue pas, il pousse un sifflet rauque et continu. Après vérification, ce n’est que la poulie de la drisse qui grince.
Que vaut l’équipe de la Santista dans cette compétition féroce, la coupe mondiale du textile ?
Quelles seront ses chances, au final, contre la Chine ?
Pour être franc, les deux jeunes filles exceptées, celle du blaster et celle du pavillon, le reste des choristes ne chantent que du bout des lèvres, et sur le visage, on lit plus de fatigue que d’exaltation. Mais ils tiennent le garde-à-vous et personne ne ricane. Chacun sait qu’un homme fier de son travail lui donne plus. La fierté est mère de l’énergie.
Bientôt, leurs instruments de mesure s’affinant, les contrôleurs de gestion connaîtront le taux de fierté présent dans le sang de chaque travailleur. Et malheur à celui qui sera déficitaire.
Les nations qu’on pouvait croire dépassées dans notre monde sans frontières ont de beaux jours devant elles : c’est le bon espace pour cultiver la fierté.
Et le stade est une maquette de la nation.
Le lendemain, 23 mai, le Brésil, ce chevalier du marché, grand donneur de leçons libérales au reste du monde, à commencer par les États-Unis, décidait d’élever vertigineusement ses barrières douanières. Son industrie textile – « qui ne craignait personne et surtout pas la Chine » – risquait de mourir à très court terme si on ne la protégeait pas. En quatre mois, les importations de produits textiles chinois s’étaient accrues de cent soixante-dix pour cent.
Ces mesures suffiront-elles ? La plupart des importations chinoises au Brésil sont soit. clandestines, soit sous-facturées. La différence entre l’économie et le football, c’est l’arbitre. Imaginez un match sans arbitre, se déroulant dans l’obscurité, avec un enjeu de vie ou de mort. Qui respecterait les règles ?
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L’œil, jusqu’à l’horizon, ne voit que du blanc. C’est le premier jour de la récolte (lundi 16 mai). Sans doute le premier jour de la récolte dans le Mato Grosso. Quelques taches vertes, au loin s’agitent. Encore plus loin, la forêt fait barrière au blanc. Combien de temps résistera-t-elle ? Une mer blanche a pris possession du cœur du Brésil. La blancheur, pour nous, c’est la neige ou la glace. Le blanc c’est le pur, et le pur c’est le froid. Quel est donc ce grand blanc tropical ? Quels pièges cache-t-il ?
De plus près, les taches vertes se révèlent : des bêtes assez sauvages, des insectes, pour être plus précis, des prédateurs, même, énormes par la taille (trois mètres de haut) et terrifiants par leur voracité : six ogres verts dont les doigts noirs et crochus se saisissent des malheureux cotonniers et les plongent dans un gouffre qui doit être leur bouche. Si l’on peut appeler bouche une cavité où, en lieu et place des dents, tournent sans fin des disques d’acier. Bref, six machines John Deere en ligne. D’autres insectes mécaniques les accompagnent : des fourmis jaunes, elles aussi géantes, qui se chargent de transporter le coton. Et des sortes de libellules grises et rouges : leurs pattes, normalement repliées, soudain se déploient, interminables. Quelle est cette brume dont elles arrosent les champs à peine récoltés ? Des pattes poreuses et même pisseuses… La physiologie de ses drôles de libellules brésiliennes a de quoi surprendre.
Pendant ce temps là, le coton a été versé dans des bennes où une presse, longuement l’écrase. Des camions attendent: ils sont venus chercher ces gros lingots gris. Nouveau vertige après celui de la couleur blanche. Ces gros insectes mécaniques ont des conducteurs, bien sûr. Mais ils ne mettent jamais pied à terre. Les champs sont vides de présence humaine. Je revois l’Afrique. J’imagine la récolte aux anciens temps des plantations. Combien aurais-je vu d’esclaves, il y a deux siècles, peinant sur ces dix mille hectares ?
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Lépange-sur-Vologne, mille deux cent cinquante habitants.
Patrick Decouvelaere, scientifique de formation, dirige depuis vingt-cinq ans une entreprise de textile qui porte son nom. Il habite sur place. Outre sa société (tissage et teinture, quatre-vingt-cinq employés), il préside le syndicat du textile de l’Est et le pôle de compétitivité « fibre naturelle ». Patrick, la soixantaine chaleureuse, des épaules de rugbyman qu’il balance en marchant (vite), se définit comme un « Israélien» : « Pour moi, la guerre est un état normal. » Dès les années 1970, il faut affronter la rive sud de la Méditerranée et ses bas salaires : Maroc et Tunisie. Certains entrepreneurs choisissent d’y délocaliser leurs productions. Les autres mécanisent et robotisent. L’emploi diminue, mais le niveau de production demeure. Tant bien que mal, on réussit à faire face.
La deuxième guerre débute avec le XXIe siècle. Son ampleur et sa violence ne ressemblent à rien de connu. Cette fois la concurrence vient d’Asie, à commencer par la Chine. Le coût de la main-d’œuvre n’est pas l’essentiel : le textile vosgien s’est modernisé en conséquence, contrairement à la légende qui parle d’installations dépassées. Mais comment se battre contre un yuan sous-évalué ; contre un système bancaire chinois qui «oublie », sur ordre des autorités, de demander le remboursement des prêts ; contre ces mêmes autorités qui font payer presque rien l’énergie ; contre des normes beaucoup plus laxistes en matière de santé ou de protection de l’environnement ; contre les violations manifestes du droit de propriété intellectuelle ; contre les disparités effectives des droits de douane… ?
Résultat : l’emploi continue de baisser. Et la production, à son tour s’effondre. Elle a chuté de quarante pour cent en quatre ans.
Patrick Decouvelaere n’est pas du genre à refuser la compétition. À condition que claires et semblables pour tous soient les règles du jeu.
Gronder n’est pas agir. Que faire?
D’abord « ennoblir », c’est-à-dire donner aux tissus une qualité inconnue des concurrents. Par exemple, en brossant la surface, on va parvenir à des « touchers » délicats : le « peau de pêche », le «pétale de rose »…
Mais le grand espoir de Patrick est le brevet qu’il vient de déposer. KIS : keep it stretch. Une technique secrète qui donne aux tissus des propriétés révolutionnaires. Ainsi traités, le lin et le coton gardent la mémoire de leurs formes antérieures. On a beau les étirer, les chiffonner, ils reviennent à leur état premier. Chacun sait qu’il suffit de regarder le lin pour qu’il se froisse. C’est dire si tous les amoureux de cette matière - dont je suis – attendent avec impatience l’arrivée de vêtements KIS.

Docelles, mille quarante-deux habitants.
Autre petite ville sur la même rivière Vologne.
Son usine à elle est une papeterie créée en… 1478 et aujourd’hui propriété du groupe finlandais UPM.
Spécialité : les enveloppes.
Michel Chakaï, le directeur, chante les louanges de la grande idée nouvelle.
– Le bois, le papier, le textile (principalement le coton) : telles sont les trois activités principales de notre département. Nous nous sommes enfin rendu compte que nous travaillions une même matière, la cellulose. Ainsi est né le pôle de compétitivité fibre naturelle Grand Est. Avec un premier projet : créer avec l’université de Nancy un centre de recherche commun. Les Vosgiens sont gens de vallées, vous savez : nous aimons les compartiments, nous suffire à nous-mêmes. Grâce au pôle, on fait connaissance, on se parle, on échange, on projette. Puisque derrière il y a, les forces, enfin, s’unissent.
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Les matières premières sont les cadeaux que nous fait la terre.
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Comme l'aide alimentaire qui concurrençant les paysanneries, porte si souvent en elle les germes des famines futures, le don ruine la production locale. En une étrange complicité, l'industrie chinoise s'alliait à la charité du Nord pour détruire dans l’œuf toute velléité de textile malien.
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Un despote albanais très éclairé; une graine venue on ne sait comment des Barbades; un delta d'Afrique; un botaniste français; un conflit interne à l'Amérique; une industrie du Lancashire ... Qui peut encore croire que la mondialisation est une réalité neuve ? (p.158)
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- Connaissez-vous les araignées ?
...
- Les fils que fabriquent les araignées sont remarquables par leur finesse, leur flexibilité et leur solidité. Toutes qualités que nous souhaitons accroitre dans notre coton pour en faire le meilleur du monde. La solution est simple. Parmi toutes nos araignées, choisir les meilleures ouvrières. En prélever le gène et l'introduire dans le plus doué de nos cotonniers.
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Que celui qui ne supporte pas d'attendre n'entreprenne jamais aucun voyage. Tout voyage explore les pays du temps aussi bien que ceux de l'espace.
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Que celui qui ne supporte pas d'attendre n'entreprenne jamais aucun voyage. Tout voyage explores les pays du temps aussi bien que ceux de l'espace.
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