Dans ce premier roman, Roukiata partage les moments marquants de son enfance dans un village du Burkina Faso. L'auteure nous fait découvrir son village et l'histoire de la famille à travers le regard du bébé qu'elle a été, ce qui lui permet de mettre un peu de fantaisie et de romanesque au récit. Ce regard permet à l'auteure de raconter aussi ce qu'elle n'a pas vécu ou ce dont elle ne se souvient pas, rendant la lecture plus fluide.
Roukiata Ouedraogo, ou Yasmine Sankaké dans le texte, fait preuve d'une grande douceur et de beaucoup de tendresse pour sa famille et le parcours douloureux de celle-ci. le père est fonctionnaire et la mère s'occupe de sa famille, sans pour autant sacrifier ses ambitions. Elle saura faire preuve de beaucoup d'énergie et de débrouillardise pour faire vivre son commerce, traversant les frontières pour aller chercher les tissus et tapis qu'elle revend dans son village. La famille n'est pas riche, mais s'en sort économiquement. Elle semble surtout unie et heureuse.
Quand le père se fait emprisonner sans réel motif, la vie de la famille devient plus difficile, révélant aussi les jalousies de voisins. L'auteure témoigne alors du courage et de l'énergie de sa mère, mobilisée pour élever ses 7 enfants et tout tenter pour faire sortir son époux de prison. C'est l'occasion pour
Roukiata Ouedraogo ne faire l'éloge du courage des femmes africaines qui, dans l'ombre de leur époux, mettent tout en oeuvre pour faire vivre la famille et la communauté. Elles mettent en place des systèmes de solidarité, la tontine, pour offrir à chaque famille les moyens de s'en sortir. Sur leurs épaules repose la survie d'un village. Ce roman autobiographique est un très bel hommage à ces femmes et à cette mère en particulier.
Le texte est aussi l'occasion de dénoncer les drames de l'Afrique, du Burkina Faso en l'occurrence, l'un des pays les plus pauvres au monde. A côté de cette population pleine d'énergie, évolue une classe dirigeante soucieuse surtout de faire fructifier ses propres richesses. Quand les fonctionnaires ne sont pas payés, les dirigeants et politiques s'enrichissent de jour en jour. L'auteure dénonce aussi la corruption qui a conduit le père de famille en prison. le parcours de sa mère pour l'en faire sortir s'apparente à un roman de Kafka, dans lequel elle déambule de bureaux en bureaux, prend le car pour se rendre à Ouagadoudou plusieurs fois de suite et tenter de rencontrer quelqu'un qui pourra l'aider.
L'auteure dépeint aussi l'organisation de la société burkinabé et de la famille, la place forcément en retrait des femmes, même quand la survie de la famille dépend d'elles, l'autorité dont doivent faire preuve les pères, même lorsqu'il ne s'agit que d'une façade comme chez Yasmine, la place des filles et l'excision, quand les femmes qui prônent une certaine indépendance et la joie de vivre sont aussi celles qui perpétuent cette barbarie, au nom d'une quelconque tradition. Cette manière de mêler l'histoire d'une famille vue par le regard d'un enfant, à celle d'un pays et d'une société d'hommes et de femmes prise par les traditions est très riche et la lecture plaisante. Ce récit faisait écho à une lecture que j'avais faite peu de temps avant,
Les Impatientes, de la camerounaise
Djaïli Amadou Amal. On retrouve une culture voisine, même si le sujet est ici très différent et le récit beaucoup plus léger.
Roukiata Ouedraogo a du talent pour raconter des histoires, avec énergie et allégresse.
L'auteure vit aujourd'hui en France où elle est arrivée il y a 20 ans. Elle est actrice, humoriste et chroniqueuse sur France Inter. Cette double culture lui donne du recul par rapport à son vécu et lui permet de faire des rapprochements souvent cocasses entre deux modes de vie.
J'ai beaucoup aimé le vent de fraicheur qui souffle entre ces pages, même quand l'histoire est difficile et douloureuse. J'ai lu depuis d'autres récits autobiographiques écrits par ce que l'on appelle des transfuges de classe et qui décrivent les difficultés économiques vécues au sein de familles nombreuses : jamais je n'y ai retrouvé cet espoir, cette énergie et cette lumière transmise par l'auteure et, surtout, par sa mère.
Ce récit est un bel hommage d'une fille à sa mère, à la féminité et aux femmes de manière générale.
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