Dix poètes roumains contemporains. Voilà une oeuvre qui m'a été gracieusement envoyée par la traductrice en personne
Gabrielle DANOUX. Merci Gabrielle et en retour je m'en vais vous en dire un mot.
Mon premier émoi :
Costel STANCU 42/p. 48
Un oiseau par la fenêtre s'est jeté
Plume après plume, lentement il est tombé,
En bas, je l'ai espéré, les mains tendues
Mais ce fut vraiment une peine perdue
Entre mes doigts, en goutte-à-goutte son corps :
fin comme le sable, brillant comme une étoile d'or
Pourquoi n'ai-je pas pu le rattraper
Après tout oiseleur j'étais.
Qu'il me chante je voulais, des germes j'avais préparé et
oh
et des graines de raisin au sang de taureau.
Comment aurais-je pu m'aviser
que pour lui seule une cage dorée je désirais ?
Derrière lui il a laissé un billet épistolaire
triste comme celui de tout être suicidaire :
à la fenêtre suspendu
un nid de petits mal défendus.
Désormais oiseleur je ne suis plus ! ai-je hurlé
Avec dans ma poitrine mon coeur dévasté.
À ma mort, dans mes mains, sainte bougie,
un frêle corps d'oiseau à cajoler. Liturgie.
Ici, c'est la ponctuation, majuscule, minuscule qui impulse le ton, le son et surtout la compréhension. Les mots sont adaptés à tout réceptacle émotionnel et je trouve formidable cet aspect de la poésie qui pour moi résonne ainsi :
Émotion, oh petit animal que je voudrais bien posséder, cet autre à moi différent auquel je promets une cage dorée, afin de toujours le garder. Mais, voilà qu'ils s'étiolent, animal ou être aimé, ils s'échappent l'un, l'autre, puis l'un et l'autre par mon incapacité d'aimer. Quand voilà que je trace ces mots, quelques lignes testamentaires, vers mon petit mal aimé, puis à ma mort, dans mes bras, enfin retrouvé, un frêle corps d'oiseau à cajoler. Rédemption.
p. 57
Ils se retrouvaient en ville pour un verre de vin.
Il apportait son chien, elle son parapluie.
Il détestait les étrangers, elle la pluie.
Ils étaient si démodés ! de vieux timbres
sur les coins desquels agonisaient
les yeux troubles de quelques tampons.
Personne ne savait s'ils s'étaient jamais aimés.
Il fumait une pipe en os. Elle avait les cheveux attachés
avec une griffe d'oiseau disparu.
Ils venaient ici depuis toujours.
Ils se taisaient, buvaient du vin et regardaient la rivière.
C'était comme si chacun d'entre eux avait, en secret,
choisi,
son propre poison pour le dernier voyage.
Ensuite il se mettait à pleuvoir. Elle ouvrait
son parapluie et se levait pour partir. Lui, réveillait
son chien et la suivait. Cela avait été un jour ordinaire.
Comme une dispute entre amoureux.
Une grande connivence de ces gens, liés par l'habitude et soudés dans la vie. Ils sont à l'évidence inséparables comme les oiseaux du même nom, et la dame attacha ses cheveux avec la griffe d'un oiseau disparu ; je trouve cette poésie très colorée et bien que renouvelée cette sortie en ville, immuable, est la promesse d'un lien sans cesse renouvelé.
Ionut CALOTÁ 130/p .145
Je pourrais
Bientôt je ne verrai plus,
aussi je me prépare :
chaque jour je mémorise ton sourire,
qui me tiendra lieu de lumière.
Je pourrais écrire des mots,
qui demain n'existeront plus,
fabriquer des falaises dissimulées par le vent
au bord du monde,
et ma chair désépaissir
jusqu'à l'ombre.
Je pourrais être la terre glaise que modèlent
tes mains craintives
et que d'elle surgissent de vieilles chansons
qui font revenir la nostalgie marine.
Oui, si j'avais un tant soit peu su
écrire de la poésie,
j'aurais dompté les mots pour qu'ils t'embrassent,
mais, là, ils explosent silencieusement en moi.
Maintenant, tu peux me prendre dans tes bras
car je suis partout
où tu me cherches.
Ta main dans la mienne,
silencieux l'amour chante.
Je te serre doucement dans mes bras,
comme un accordéon
et je te relâche tout aussi doucement,
tandis que tu chantes.
La lectrice : Oui, je pourrais ne pas t'oublier, de par le monde revoir ton sourire, être glaise que modèlent tes mains et la source marine de ta voix écouter. Si j'avais un tant soit peu su ton absence, j'aurais embrassé ces mots pour qu'ils te chantent mon amour.
Gabriel DINU p. 88
Le chien aux yeux bleus
Après avoir remercié
ceux qui t'avaient offensé
tu es sorti dans la rue.
Là t'attendait un chien
aux yeux bleus et purs.
Tu l'as caressé et tu l'as pris dans tes bras
convaincu que c'était Dieu.
Tu n'avais jamais vu encore, chez personne
de tels yeux.
Tu n'aurais pas pu en voir
à cause de toutes ces lunettes, de tous ces mouchoirs.
La lectrice : Dieu ici m'est un autre, le chien, le chien qu'il m'est donné de voir puisque les humains m'ont offensé ; c'est ainsi que je les remercie de m'avoir ouvert vers lui puisque, à cause de toutes ces lunettes, aveuglements et de tous ces mouchoirs, pleurs, de leurs yeux ils n'ont su me voir.
Lettre ouverte à Adrian Păunescu p. 99
Vieux, depuis que tu es parti,
je n'ai rien compris
même si je croyais
avoir tout compris.
C'est ce qui nous arrive
après chaque mort,
après chaque départ.
Probablement que tu nous observes
depuis un recoin d'étoile,
depuis un recoin de larme,
et n'aimes pas ce que tu vois.
Vieux, depuis que tu es parti,
le froid s'est installé dans toutes les saisons,
et pour nous réchauffer un tant soit peu
nous devrions battre au sens propre
tous les politiciens.
De gauche à droite,
de droite à gauche,
et même ceux qui se disent appartenir
au centre.
Mais en tant que nation laxiste
nous leur pardonnons à chaque fois.
Celle-ci est belle et tendre, adaptable et universelle bien que politisée.
Voilà une belle immersion en poésie roumaine. J'ai tenu à m'exprimer sur mes auteurs préférés à l'exclusion de créations qui m'ont semblées débordantes avec un aspect embrouillé, trop de sujets qui se heurtent les uns les autres en dysharmonie. Ce trait s'illustre avec justesse dans la poésie de Radu ULMEANU dont extrait :
Spectacle p. 151
Le spectacle de ceux qui tuent la poésie
Ils sont nombreux et fragiles
Ils mettent tant de grâce à éviter de dire la vérité.
Ils utilisent les signes des signes
parlent les paroles des paroles
hèlent avec les noms des noms
et élèvent à la puissance infinie
les significations du néant.
Ils disent : nommer c'est tuer
Et ils tuent en esquivant.
Ils soufflent le pappus du pissenlit dans nos yeux,
se promènent en somnambules sur les toits
et nous implorent de ne pas les appeler par leurs noms
pour qu'ils ne sombrent pas.
Lymphatiques et impuissants,
ils parlent une langue décousue,
et sont terrorisés par le sang, l'amour, la douleur.
Ils écrivent d'interminables ars poetica,
tous castrés et apolitiques
ou ars amandi
qui ne traitent pas d'amour…
Je suis heureuse aussi de citer George MIHALCEA 9/p. 24 pour ces :
Chevaux frappés à mort
mes chevaux frappés à mort
personne ne les pleure et ils ont tort
seuls les vieillards vêtus de brouillard épais
ressuscitent pour leur enseigner
comment fuir dans la dernière des forêts
pas encore par la hache touchée
mais le licol du temps les use
et d'en haut un ange noir tombe
en stoppant leurs hennissements hardis
vers les juments du paradis.