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Le coup de coeur de cette rentrée... ou plus exactement un "coup au coeur" total, bouleversant et dérangeant...

Que dire ?... cet ouvrage m'a littéralement chavirée.. et pourtant je pensais connaître le parcours de Vincent van Gogh. Une longue histoire avec cet artiste: en 1979, je me rendais à Amsterdam pour visiter le musée qui lui est consacré...j'avais découvert avec fascination ses dessins que l'on dit maladroits, alors que je les trouvais d'une force et d'une émotion incroyables, ainsi que ses toiles inspirées de son vif intérêt pour le Japonisme... Ensuite, j'ai lu comme tant d'autres le texte de qualité de Viviane Forrester " Van Gogh ou l'enterrement dans les blés"... et ironie du sort, je débutais mes fonctions de Libraire du secteur des "Musées Nationaux" au Musée d'Orsay, en 1988, par une manifestation autour de
ce peintre, manifestation qui virait à "la vangogmania" comme nous ironisions... chaque jour, commandant et vendant des "palettes du catalogue d'exposition"...Il s'agissait d'un angle de vue précis, choisi sur son oeuvre, "Van Gogh à Paris"...

Sans omettre une sorte de "pélérinage incontournable" au cimetière d'Auvers sur Oise, où les deux frères, Théo et Vincent sont inhumés côte à côte, dans des sépultures modestes, recouvertes de lierre...

Je reviens au travail de Frédéric Pajak que j'ai dévoré littéralement : un talentueux mélange de mots et d'images...rendant un hommage vibrant à Vincent van Gogh, l'artiste et l'homme en tourment.

Ce texte accompagné d'images, de dessins en noir et blanc, nous prennent littéralement aux tripes. Un long chemin de souffrances existentielles, de doutes sur le sens de sa vie et de son art... Long parcours âpre où le seul roc infaillible, vaillant est le frère cadet, Théo, mécène, marchand d'art, frère indulgent, protecteur, qui en dépit de toutes les moqueries, ainsi que les avis négatifs exprimés envers les tableaux de Vincent, croit durablement, et avec une belle ténacité plus que méritoire au talent original de son aîné...incompris

"Ce robuste et vrai artiste, très de race, aux mains brutales de géant, aux nervosités de femme hystérique, à l'âme d'illuminé, si original et si à part au milieu de notre piteux art d'aujourd'hui, connaîtra -t-il un jour- tout est possible- les joies de la réhabilitation, les câjoleries repenties de la vogue ? Peut-être. "
L'article se conclut par ces mots : "Vincent van Gogh est, à la fois, trop simple et trop subtil pour l'esprit bourgeois contemporain. Il ne sera jamais pleinement compris que de ses frères, les artistes très artistes... et des heureux du petit peuple... du tout petit peuple..." (p. 217-218) [ Critique d'art, Gabriel-Albert Aurier]

Les dessins en noir et blanc intensifient la narration de Frédéric Pajak, qui rend avec force et conviction la vie dramatique de cet artiste, parmi les plus incompris et mal-aimés, mort à 37 ans ! ... avec les oeuvres sublimes que l'on connaît, et qui se vendent aujourd'hui à des sommes astronomiques ... sans oublier toutes celles détruites par des personnes ignares... ou bradées pour quelques sous misérables ...


Il est question d'art, d'exigence artistique extrême, mais aussi d'une sublime histoire de fraternité...unique en son genre.
Un ouvrage authentique qui comme l'oeuvre de l'artiste honoré ne ressemble à aucune publication existante...qui nous retourne artistiquement, émotionnellement, et humainement.

Je ne peux qu'adhérer de tout coeur à la poignante déclaration de l'auteur vis à vis de ce créateur sur lequel on a tant écrit... et son appréhension toute personnelle, intime de l'oeuvre et de l'homme :

"A la relecture de ses -Lettres-, m'est revenue cette insistance qu'il [Vincent van Gogh] a à se décrire comme un "raté",à n'en pas démordre. Les ratés, les exclus, les laissés-pour compte, les chiffonniers, les glaneuses: tout ce malheureux monde que L Histoire rejette sur ses bas-côtés, il en hurle l'existence. Sa vie témoigne de cette vérité, de cette part blâmée de l'humanité. Qu'y a-t-il à ajouter ? Tout a été écrit sur Vincent.
Mais j'ai besoin de vivre un peu à ses côtés, non pas de lui prêter ma voix, mais de me perdre en lui pour mieux le retrouver, et pour ne plus l'oublier. Jamais. (p.10)"

Je suis à la fois euphorique de cette lecture, et "marquée" par la gravité de ce chemin exacerbé de douleurs, de mal-être intenable. Un très beau livre... où les images et les mots nous secouent à chaque page. J'avais déjà infiniment apprécié d'autres ouvrages de Frédéric Pajak, sur Nieztsche et Pavese à Turin, "penseurs "dans une période de mal-être et de doutes lancinants, "L'Immense solitude"..., "Le Chagrin d'amour", avec la destinée du poète d'Apollinaire...mais où on rencontre également Emily Dickinson, Catherine II, Stendhal, Picasso, Marcel Duchamp, Picabia et tant d'autres amoureux malheureux...

Je ne rentre pas plus dans les détails de cette narration, en dehors des éléments qui concernent les nombreux artistes qui ont marqué Vincent van Gogh, dont un autre peintre malmené et incompris, Monticelli...qu'il vénérait. Ce dont je ne me souvenais aucunement .!!..

Une lecture à ne pas manquer surtout ... pour tous les passionnés de van Gogh mais aussi par les beaux-arts, les réflexions, questionnements qu'entraînent certaines destinées créatrices, les parcours artistiques hors du commun, qui enrichissent notre humanité !!


[ ****Une petite précision sur ce Manifeste de l'Incertain dont ce 5ème tome met en avant le peintre , Van Gogh; dans les trois premiers, le lecteur croise Walter Benjamin, un écrivain allemand qui s'est suicidé en France, en 1940. le 4ème volume évoque trois penseurs: Nietzsche, E. Renan et A. de Gobineau.]
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Vincent van Gogh. Depuis des années, je lis, regarde, cours après tout ce qui parle de lui. Avec parfois de beaux coups de coeur et quelques déceptions. Et puis j'ai découvert le van Gogh de Frédéric Pajak… Là où d'autres nous offre leur érudition, lui nous prend par la main et nous donne à voir, à aimer, cet être saugrenu, un peu barré, un peu illuminé, qui deviendra, à force de passion et d'acharnement, le peintre que nous admirons. Ce n'est pas un critique qui parle, c'est avant tout un artiste, qui laisse le mythe de côté pour évoquer le peintre en devenir et sa fragile humanité. Peut-être est-ce ce qui fait la différence ? Pajak a en plus des mots, son trait d'encre noire pour nous livrer son Van Gogh. Il remet l'homme au centre de sa création. Cet homme hors norme, un peu fou, avec ce désir d'absolu et cette intransigeance qui va le conduire à ne jamais abandonner cette quête du trait, du rendu parfait, non de la réalité, mais de ce qui est vu !

"Il voudrait pouvoir dessiner en quelques traits ; il voudrait croquer les passants dans les rues et sur les boulevards, et explorer ainsi des motifs nouveaux".

"Toute oeuvre nouvelle balbutie longtemps avant d'exploser à la face de ses voyeurs. Vincent est en grand apprentissage ; jeté au milieu des peintres de la peinture nouvelle, il cherche sa propre éloquence."

C'est ce cheminement auquel nous invite Frédéric Pajak, des mineurs du Borinage aux paysans, en passant par la capitale de France, pour finir par l'explosion des couleurs du midi et l'accablement devant cette tâche immense !

Comme van Gogh qui peint sans se préoccuper de ce qui plaît, se vend, s'expose, Pajak suit son bonhomme de chemin avec son Manifeste Incertain en racontant et croquant ce qui lui importe et non ce qu'un éditeur attend de lui. L'histoire nous montre que c'est souvent le meilleur moyen de ne pas vivre de son art. Mais qu'importe… Ce n'est tout compte fait pas un choix, mais une nécessité !

Je me suis souvent demandée, si j'avais été une de ses contemporains, quel accueil j'aurai réservé à Van Gogh ? Aujourd'hui, tout le monde, à la quasi unanimité, s'extasie sur son travail d'artiste, ses oeuvres et connaît plus ou moins sa vie : de ses accès de folie, sa relation fraternelle indestructible avec Théo, à son oreille coupée et sa mort tragique.
Van Gogh, c'est un mythe : celui de l'artiste sans le sou, qui meurt dans un dénuement terrible alors que les ventes de ses peintures s'élèvent actuellement à des millions de dollars… Combien d'entre nous aurait donné 10 francs pour l'achat d'une de ses croûtes ? Combien d'entre nous s'attardent aujourd'hui dans les ateliers ou expo d'artistes et sortent quelques billets pour l'achat d'une oeuvre d'un(e) illustre inconnu(e) mais qui peut-être… ? Je crois que là on tient un début de réponse…

Bien sûr, tous ne seront pas Van Gogh, mais à combien donnons-nous la chance, les moyens de pouvoir continuer de créer ?
Lien : https://page39web.wordpress...
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Une biographie écrite et dessinée de Vincent van Gogh bien sympathique, qui nous donne une idée bien précise de la vie d'errance que fut celle de Vincent van Gogh, de l'évolution de sa peinture « Fini les gueules pitoyables, les dos courbés, les pommes de terre, les horizons vides : place à la lumière, aux couleurs, à la vibration de l'air. », des dures conditions de vie que furent les siennes, par choix parfois..., de la misère dans laquelle il a vécu une majeure partie de sa vie. « Ce n'est plus une peinture, c'est une blessure mal refermée. »
Une seule peinture vendue de son vivant, c'est quand même dingue ! Son frère a toujours cru en lui, en son talent. Il fut un des seuls êtres finalement à l'avoir aidé, accompagné, soutenu, avec bien sûr le Dr Gachet d'Auvers-sur-Oise.
Les dessins, tous en noir et blanc représentent les oeuvres de van Gogh et illustrent plus ou moins les propos de l'auteur.
Très intéressant, très fouillé, bien documenté.
Et pour moi, un complément appréciable après la savoureuse lecture que j'ai eu de la valse des arbres et du ciel, dans lequel Jean-Michel Guenassia imagine les dernières semaines de sa vie.
Si l'envie vous vient de marcher dans les pas de Vincent van Gogh, n'hésitez, ce livre vous tend les bras !
Lien : https://seriallectrice.blogs..
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Une incompréhension !

Le livre de l'écrivain Frédéric Pajak « Manifeste incertain 5Vincent van Gogh une biographie » publié en 2016 m'a surpris et contrarié.
Incontestablement il s'agit d'un beau livre. L'auteur associe le mot au dessin tout en n'étant nullement une BD dans laquelle les bulles graphiques expliquent les images. Ici, les dessins monochromes d'une belle qualité accompagnent le texte narratif.
Tout au long du livre, la vie de Vincent défile. Sur les dernier mois à Auvers-sur-Oise, quelques pages sont consacrées à la fin tragique de Vincent qui est un résumé des « Souvenirs sur Vincent van Gogh » publiés, âgées, par Adeline Ravoux, la fille de l'aubergiste Ravoux. La thèse sur la mort du peintre qui serait accidentelle selon le livre de Steven Naifeh et Gregory White Smith est évoquée. Pajak ne prend pas parti : il cite simplement.

Grâce à mes lectures, recherches et écrits, je connais bien la vie, le parcours artistique et les oeuvres de Vincent van Gogh. Ce livre ne m'a donc rien appris de nouveau sur l'artiste.
Par contre, certains passages du dernier chapitre intitulé « Vincent », m'ont interrogé. L'auteur donne son propre ressenti en forme de conclusion.

« Vincent n'a pas peint des tableaux : il a peint des « études ». Études, c'est-à-dire essais, tentatives de voir l'invisible. Car Vincent croyait en une réalité cachée dont le peintre serait le révélateur. Il se moquait d'être malhabile, d'être indigne des canons académiques que pourtant il admirait. Il ne savait pas dessiner, et peindre encore moins. (…) Pourquoi donc les foules se pressent-elles devant ses toiles, clouées au mur comme autant d'échecs ? (…) Peu leur importe la maladresse du peintre, ses défaites, la laideur manifeste de ses tableaux hollandais. (…) Vincent ne se contentait pas de dévoiler la laideur ; il la peignait affreusement. Non par volonté, par provocation, mais parce qu'il ne savait pas faire autrement. Peignant affreusement la laideur, il a rompu radicalement avec la tradition. »

Aurais-je mal compris les propos de Frédéric Pajak dont le livre est pourtant un hommage à l'artiste ? Ces quelques phrases du chapitre final m'ont laissé très mal à l'aise. Comment pouvait-on décrire ainsi la recherche artistique de Vincent van Gogh ?

Je vais tenter de donner ma propre impression sur la peinture de Vincent.
Ma première rencontre avec Van Gogh au musée d'Orsay n'avait pas été un franc succès. Etonnante « Eglise d'Auvers », difforme et grimaçante sous un ciel plombé ! Je ne détestais pas... Ce style me déroutait. Trop de couleurs. Des touches hachurées posées en pâte épaisse. Une peinture directe, sans fioritures. Je ne percevais pas sa singularité.
J'étais allé au Van Gogh Museum à Amsterdam pour tenter de trouver une explication, car l'essentiel de son oeuvre se trouvait dans ce musée : à peine dix années de peinture de 1880 à 1890 et un nombre étonnant de toiles peintes par ce forçat de travail.

Van Gogh m'avait bluffé ! Assis sur la balustrade faisant face au dernier tableau de la collection du musée : « Champ de blé aux corbeaux », je fixais, incrédule, les blés torturés de hachures orangées et ocre. Un chemin tortueux s'éclatait en trois branches agressives. le ciel sombre, orageux, terrifiant, écrasait les blés. Un vol de corbeaux noirs donnait un aspect hallucinant à ce paysage de désolation.
Les mains crispées sur la balustrade où j'étais assis, un visiteur, les yeux écarquillés rivés sur les blés, semblait atteint du même mal que moi.
- C'est d'une tristesse ! dis-je à voix basse.
- It's wonderful… Isn't it ?
- Je n'ai jamais aimé les corbeaux. Ce sont des oiseaux de malheur…
- What a worrying sky !
Noyés dans notre rêve personnel, nous conversions inconsciemment dans deux langues différentes et nous nous comprenions. le langage de l'art n'a pas de frontières…
Je quittai la balustrade. Mon voisin continuait à parler, seul… Ses doigts crispés sur la balustrade tremblaient légèrement.

Je n'avais rien compris à Paris... Je saisissais pourquoi les toiles de van Gogh me dérangeaient autant. Cette technique toute en force maîtrisée donnait l'impression qu'un fauve s'était jeté sur la toile pour y planter ses griffes ? Ce « Champ de blé aux corbeaux » peint en juillet 1890 à Auvers-sur-Oise était un des derniers tableaux de l'artiste avant son geste désespéré.
Mon opinion était faite. Plus de doute, ce peintre était de la race des meilleurs ! Deux siècles après l'âge d'or hollandais, avec une technique complètement différente, son oeuvre était du niveau d'un Rembrandt et même… pourquoi pas… de Vermeer.

Pas un instant je n'avais rencontré les peintures malhabiles ou laides dont parle Frédéric Pajak dans la conclusion de son livre…
Tout au long du parcours dans le musée, j'avais vu des toiles étonnantes de maitrise picturale, de fraîcheur (« Branches d'amandier en fleurs »), des coloris somptueux (« Bateaux de pêche sur la plage des Saintes-Maries »), de la poésie naïve (« Promenade au bord de la seine, près d'Asnières »), et puis des autoportraits étonnants (« en chapeau de paille », « en chapeau de feutre », « au chevalet »), des vases de fleurs aux vives tonalités (« Iris », « Tournesols »).
Une explosion de couleurs… En Arles, sous le soleil de Provence, le style si personnel de l'artiste s'était définitivement installé. le passage éclair de Gauguin et la fameuse scène de l'oreille coupée ne l'avaient pas empêché de continuer sa route, seul, incompris, mais lui-même… unique.
En quittant le musée, j'arborais le même regard ébloui que les autres visiteurs s'en allant à regret. Un très grand peintre… Un génie…

Je crois que si Frédéric Pajak avait été avec moi ce jour là, il aurait changé la fin de sa biographie…

« Je voudrais faire des portraits qui un siècle plus tard aux gens d'alors apparussent comme des apparitions. »

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Vincent van Gogh, bon, on se dit, on connaît, on connaît un peu trop même, en plus c'est un peintre que même les instituteurs ils nous en causent quand on est à l'école alors après, on n'a plus guère envie d'en savoir davantage. Mais bon, c'est Pajak, notre bon vieux Pajak, qui décide de se pencher sur le sujet. Avec cette couverture burinée tout en traits de crayons mordants, on commence à se souvenir qu'Antonin Artaud avait déjà écrit un truc dingue sur Van Gogh et on se dit que le sujet n'est peut-être pas si mal choisi qu'on le pensait. C'est vrai.


Pajak nous fait entrer dans la vie des personnages auxquels il dédie chacun de ses manifestes sans prétendre à lever le voile sur les motifs parfois incompréhensibles de leurs actes, de leurs pensées, de leurs paroles. Il ne fait pas de biographie en essayant de se mettre à la place de son objet d'étude : c'est à travers lui-même que Pajak aborde Van Gogh. Bien sûr, on découvre des choses, souvent des anecdotes qu'on ne connaissait pas encore, des petits trucs qui ne courent pas les rues, mais que Pajak parvient à amplifier dans une mise en résonance qui fait vibrer les cloisons de notre boîte crânienne.


Chaque page semble raconter une histoire à elle seule, mais toujours dans la continuité de la précédente et de la suivante. On reste suspendu, dans le pressentiment d'une catastrophe, c'est-à-dire d'une vie.
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Frédéric Pajak fait ici honneur aux mots de Flaubert qui dit que l'auteur, dans ses livres, doit être présent partout mais visible nulle part. de tous ses Manifeste incertain, Pajak n'a en effet jamais été aussi peu présent. Certes il vitupère contre la misère de la société moderne au début du livre, sur l'absence de beauté des centre-villes "ravagé par les boutiques", mais c'est pour mieux se consacrer à la biographie de Vincent van Gogh qu'il admire, on le sent bien, énormément. On découvre ainsi Vincent AVANT van Gogh. Car bien sûr, tout le monde sait pour l'oreille coupée, mais peu (j'en faisais partie avant de lire ce livre) connaissent à quel point la folie de van Gogh fut grande et dévastatrice, à quel point il fut possédé par l'art et la peinture, et ô combien cette possession fut dévoration. Et là où nous pourrions n'être plus que fasciné par la folie de l'artiste, Pajak sait nous rediriger avec soin vers la peinture, puisque il faut, comme disait Sénèque, toujours séparer les choses du bruit qu'elles font ; et en cela, Pajak est un guide formidable - sans oublier bien sûr ses dessins, ceux de Pajak donc, qui sont formidables et illustrent de manière souvent distante cette belle biographie dont on sort avec un regard neuf, comme lavé, sur Vincent van Gogh et son art - cet artiste qui ne vendit qu'une seule toile de son vivant et mourut dans des circonstances étranges...
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L'entreprise était une gageure puisque, à la différence des précédentes livraisons qui illustraient des poètes, des romanciers ou l'enfance même de Pajak, ce cinquième manifeste illustre par le dessin un adepte passionné de la touche et de la couleur. Il est vrai que Van Gogh s'est exercé au dessin avant la peinture et qu'il l'a pratiqué jusqu'au bout de sa courte carrière. Pajak utilise une technique bien différente de la sienne : le crayon fin ou la pointe sèche, sans plein ni délié, dans un format strictement cadré.

Et c'est une réussite. Pajak reprend au trait une dizaine de portraits peints, dont l'autoportrait de la couverture, c'est ce qu'on attendait de lui. Pour le reste, il évite toute paraphrase. Ses dessins sont secs et francs, à fond blanc ou noir (p 81 et 83), parfois quasi abstraits (113), ou au contraire d'une présence spectaculaire (149, 206). Ce sont des paysages, des vignettes humanistes (95, 227), et aussi bien une suspension dans le vide d'un réalisme photographique (un paysage de neige ? p 171). Voir aussi la belle image d'harmonie végétale de la page 159, page où l'on apprend que Jeanne Calment, la doyenne de l'humanité, a connu Van Gogh et disait de lui qu'il « il était vraiment la laideur personnifiée ».

Quant à la biographie, elle présente l'homme comme un dessinateur autodidacte issu d'une lignée d'amateurs d'art, qui commence par colorier les dessins de sa mère, et dont à 25 ans les dessins sont ceux d'un enfant de 10 ans. Sa préoccupation dominante est une compétition soumise puis haineuse avec son père pasteur. Il prêche sans succès, avec un zèle inquiétant, et s'inflige des macérations moyenâgeuses dans une pauvreté fanatique, sauvage, qui fait fuir les paroissiens. Méprisé par ses parents, « Il se considère comme un prédicateur raté, comme un raté tout court. Ce sentiment le rappelle à ses malheurs d'écolier, et, ressassant son échec, il se conduit en parfait rigoriste protestant : il boit sa honte à goulée pleine » (p 48). Sa vie amoureuse est un enfer. Épris de sa cousine qui le fuit, il rejoue Mucius Scaevola et n'en tire que des sarcasmes : « Vincent s'approche alors d'une lampe, pose la main sur la flamme — “Je laisserai le feu me brûler jusqu'à ce qu'elle vienne à moi !” Peu impressionné, l'oncle s'approche de lui, souffle sur la flamme et conclut : “tu ne la reverras jamais” » (p 86). Il déménage souvent, soutenu par son frère Théo, découvre la peinture avec les mangeurs de pommes de terre. « Ce tableau est hideux, sa maladresse criante jusqu'au malaise. Il écoeure, et fait appel au plus abject de la compassion. Mais soudain, Vincent est là » (p 124). Son père meurt après l'avoir maudit ; il est chassé par sa mère au printemps 1885, et au tournant de 1886 il découvre la couleur.

La suite est connue : Paris, Arles, Saint-Rémi, l'internement à Saint-Paul de Mausole, Auvers et le Docteur Gachet. Il faut lire les pages décisives (p 160 à 190) : « Devant les tableaux impressionnistes, il suffit de cligner les yeux pour que la représentation fragmentée devienne soudain réaliste. Vincent se moque de ce subterfuge. Il n'accepte sur sa toile aucun accommodement avec la réalité. La peinture, il en est certain, n'a rien à faire avec la réalité. Elle doit imposer sa propre réalité. Devant le paysage, il ne restitue pas ce qu'il voit : il revoit, il re-regarde, il défait tout ce qu'il a sous les yeux pour refaire un paysage à lui », l'arrivée de Gauguin qui vaut huit pages sans illustration, le travail prodigieux, la folle douleur des crises déclenchées par l'alcool, la mort. Vincent a écrit dans une lettre « J'aime beaucoup à croire que les maladies nous guérissent parfois » (p 207).

La narration de Pajak est rapide, personnelle, assurée, elle évite le pathos fréquent dans la littérature sur Van Gogh. Il doute de la théorie du suicide. Il rapporte la critique dithyrambique du Mercure de France à laquelle le peintre ne pouvait croire (p 217). Pajak est aussi franc et convaincant que Pialat.

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Cette biographie du peintre Van Gogh est plus classique que celles de ses précédents albums : nous n'avons plus comme auparavant l'impression d' entretenir avec l'auteur une conversation à bâtons rompus. Ses souvenirs personnels, qui entrecoupaient les récits et les éclairaient, mettant en résonance deux sensibilités, sont absents, comme sont absentes les évocations d'autres figures disparues.
Heureusement, le graphisme, grâce à son décalage apparent, enrichit l'histoire tragique de l'artiste et permet son appropriation par l'imaginaire du lecteur.
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