AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de Erik35


L'HOMME QUI A VU LE LOUP !

"L'homme est un loup pour l'homme", "se tenir à la queue leu leu", "avoir une faim de loup", "crier au loup", "les loups ne se mangent pas entre eux", "se jeter dans la gueule du loup", "avoir vu le loup", "faire entrer le loup dans la bergerie", etc, etc, etc.

Nombre de nos expressions courantes, de maximes plus ou moins encore employées, d'adages définitifs ont pour point commun ce fameux loup. Ces dictons ont presque tous en commun de donner du «canis lupus», selon sa taxonomie latine, une image plus que négative : Méchant, constamment affamé, rusé, lâche, maléfique et lubrique (surtout s'agissant de la louve, bien évidemment...). En un mot : diabolique !

C'est tout l'art du grand historien médiéviste, spécialiste des couleurs, de l'histoire de la héraldique ainsi que des bestiaires du Moyen-Âge, Michel Pastoureau, de nous expliquer, de nous conter, d'illustrer avec sapience mais avec une certaine simplicité, l'histoire si particulière qui lie les hommes - précisons : dans le monde occidental. L'auteur explique la raison de ce resserrement en introduction - à cet animal parfois énigmatique, jadis compagnon des Dieux (chez les Grecs, les Romains, les anciens Nordiques et les Celtes, en particulier), devenu au fil du temps et en très grande part par la volonté de l'Église catholique, un animal effrayant et maudit.

C'est ainsi qu'en une douzaine de brefs chapitres, débutant comme il se doit par nos antiquités communes (bien que certaines méconnues du grand public), l'ancien chartiste, auteur et historien prolifique que l'on connait tout particulièrement pour, entre autres, le petit livre des couleurs (qui n'est qu'un très rapide condensé d'ouvrages ultérieurs très riches et très documentés publiés aux éditions Seuil comme le présent ouvrage), son récent et captivant le roi tué par un cochon : Une mort infâme aux origines des emblèmes de la France ?", consacré à un autre mal aimé de nos bestiaires ou encore le roboratif et passionnant L'Ours : histoire d'un roi déchu, c'est ainsi, donc, qu'il fait le tour de l'histoire culturelle, légendaire, fabuliste, sociale, religieuse et même fantastique de ce canidé mal aimé.

L'ouvrage se lit, indubitablement, avec grand plaisir. Et même si la couverture est assez décevante comparativement à la richesse des illustrations disponibles, l'iconographie retenue dans le corps de l'ouvrage est très judicieuse, relativement originale - elle entremêle des dessins, peintures, extraits de bestiaires diversement connus, voire parfois totalement inconnus - et éclairante quant à la vision des hommes d'avant-hier, d'hier et d'aujourd'hui sur le loup.
On pourra toutefois reprocher aux légendes de n'être, la plupart du temps, que des synthèses de ce que l'on retrouve de manière à peine plus développé dans le corps du texte, sans rien lui apporter de particulier. (Une erreur impardonnable pour un ouvrage de ce type est d'ailleurs liée à l'iconographie : la nationalité américaine y est attribuée au célèbre auteur, britannique, du Livre de la Jungle, Rudyard Kipling.)

Mais la principale faiblesse de cet ouvrage réside sans doute dans sa brièveté : 12 chapitres d'une dizaine de pages chaque, avec une iconographie très riche, cela laisse somme toute assez peu de place au texte, d'autant qu'il couvre pas moins de 2 500 ans d'histoire et de mythologies. Et si l'on y découvre beaucoup de choses, l'ensemble, à force de vulgarisation, reste un peu trop en surface de notre point de vue. Les lecteurs des précédents ouvrages de Michel Pastoureau risquent de rester, de ce point de vue, sur leur faim... de loup ! On regrettera sans doute la rapidité du chapitre consacré au loup dans les contes tandis que celui consacré à la fameuse "bête du Gévaudan" fait fort bien le tour de la question. Idem quant à l'animal dans la conscience et la culture depuis, pour aller vite, le début du XXème siècle à nos jours : Michel Pastoureau n'est décidément pas un spécialiste de l'histoire immédiate et cette ultime partie pourra sembler un peu légère à d'aucun, tandis que les chapitres consacrés aux rapports entre Saints et loup ou encore aux loups dans les bestiaires profanes sont absolument passionnants.

Mais ne boudons pas notre plaisir : l'ouvrage est très agréable, plein d'enseignement et s'avère être un bel hommage à ce mal-aimé de nos bestiaires européens, bien que cette situation n'a de cesse de s'améliorer depuis le début du XXème siècle.

On notera aussi que Michel Pastoureau y règle quelques comptes avec, d'une part, les zoologues et autres éthologues auxquels il ne conteste évidemment pas les observations liées aux loups CONTEMPORAINS (et qui vivent dans un monde qui n'a strictement rien à voir avec celui du Moyen-Âge ni de l'Ancien-Régime ou même des débuts de l'ère industrielle) mais il se porte définitivement en faux quant à l'assertion définitive et universelle selon laquelle les loups n'auraient jamais attaqué ni tué d'êtres humains : toutes les recherches historiques ( recoupement d'archives, témoignages, faits historiques avérés, etc) démontrent qu'en certaines époques (famines, mini périodes glaciaires, chute démographique, etc) ces superbes canidés se sont bel et bien attaqué à l'homme pour s'en nourrir (On en retrouve même des traces dans certains récits méconnus de Jack London, lequel a pourtant tant fait pour rendre à cet animal la place d'honneur qu'il mérite), sans être pour autant contaminés par la rage, ce terrible fléau.

L'autre petit règlement de compte est lié aux contes populaires et à leur interprétation par les psychiatres, Bruno Bettelheim en tête. Michel Pastoureau lui reproche en particulier des raccourcis, de rapprochements liés essentiellement à la sexualité qui ne peuvent fonctionner que pour notre époque contemporaine, car presque tout dans ce que ces contes tâchent de dire n'a de ses que selon des critères sociaux et culturels assez récents et sont relèveraient donc de l'anachronisme parfait quant aux époques de leur création et de leur propagation, Petit chaperon rouge en tête. Chacun se fera bien entendu sa propre opinion. Quant à votre humble chroniqueur, il pense que toute vérité se situe souvent dans les entre-deux, les intelligentes synthèses, que nul n'en est l'entier et définitif défenseur... tout comme il est vrai que les apports des historiens de ces quelques dernières décennies sont bien souvent oubliés, pour ne pas dire méprisés par nombre d'autres sciences sociales ayant plus l'attention des médias et des modes. Mais c'est là un autre débat que Michel Pastoureau ne fait qu'effleurer, juste le temps de remettre certaines choses à leur place.

Ne crions donc pas au loup : "Le loup, une histoire culturelle" est un livre fort agréable à feuilleter et à lire et il ravira, sans aucun doute, la majorité de ses lecteurs, même sans être aucunement historien ni spécialiste de Canis Lupus, mais tout simplement un lecteur attentif et curieux.

Loup, y es-tu...?
Définitivement, ici : OUI !
Commenter  J’apprécie          470



Ont apprécié cette critique (43)voir plus




{* *}