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Voici encore un poème atypique.

J'ai un gros rhume,
Et tout le monde sait comme les gros rhumes
Altèrent le système de l'univers.
Ils nous fâchent avec la vie,
Et nous font éternuer jusqu'à la métaphysique.
J'ai perdu la journée entière à me moucher.
J'ai mal confusément à tout mon crâne.
Triste condition d'un poète mineur !
Aujourd'hui je suis vraiment un poète mineur !...

Je ne me sentirai pas bien tant que je ne me verrai pas au fond de mon lit.
Je ne me suis jamais senti bien autrement que couché dans l'univers.

Excusez un peu … le bon gros rhume bien physique !
J'ai besoin de vérité et d'aspirine.
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N°277 – Juillet 2007

BUREAU DE TABAC – Alvaro de Campos [Fernando PESSOA] Edition UNES.

C'est sans doute une drôle d'idée et assurément un manque d'humilité de ma part que de vouloir présenter ce poète qu'on ne présente plus, de vouloir parler de lui dont on parle encore, et pour longtemps, d'oser commenter une partie de son oeuvre... Eh bien j'ose puisqu'il me fascine toujours, davantage peut-être par ce qu'il a été que par ce qu'il a écrit..

C'est un bien étrange tableau que nous dessine Alvaro de Campos, alias Fernando Pessoa. Il est à la fois tout en nuances et plein de couleurs crues, de coups de pinceaux abrupts. La forme interpelle d'abord. Ce poème est écrit en strophes inégales et sans grande logique, alternativement descriptives (la rue)et introspectives (ses interrogations sur lui-même et sur le monde)en insistant toutefois sur ces dernières, sans beaucoup d'action, avec cependant des remarques de nature philosophique mais aussi inattendues, comme l'allusion au chocolat qu'une improbable petite fille est invitée à manger. L'auteur nous indique qu'il préfère cette friandise à la métaphysique! Cela laisse une curieuse impression de phrases juxtaposées et parfois contradictoires, comme nées d'une écriture automatique.

Il semble que nous ayons affaire à quelqu'un de désespéré qui s'approche de sa fenêtre avec le sentiment diffus qu'il ne verra pas la fin de la journée. Nous n'avons pas de renseignements précis sur lui ni sur l'étage où se trouve cette ouverture, mais, j'ai l'impression qu'elle est au moins au premier, en ce sens qu'elle semble ouvrir sur un vide attirant. Cette impression suicidaire est corroborée par les idées fugitives qui sont couchées sur le papier, comme s'il était urgent de les exprimer au fur et à mesure qu'elles lui viennent. Tout commence par une sorte d'aphorisme [« Je ne suis rien »] qui évoque un sentiment d'impuissance, tout aussitôt suivi de son contraire[« Je ne peux vouloir être rien »], puis viennent pêle-mêle des remarques sur le monde auquel il appartient et qu'il va sans doute quitter. Il fait allusion à la mort, au destin, au temps qui passe, se dit lucide, perplexe, se déclare « raté » parce que le hasard ne lui a pas été favorable et il remâche ses échecs, que ceux-ci soient de sa faute [«  Je jette tout par terre comme j'ai jeté ma vie – J'ai fait de moi ce que je ne pensais pas et ce que je pouvais faire de moi, je ne l'ai pas fait  - J'ai enjambé la formation qu'on m'a donnée par la fenêtre de derrière »] ou simplement de celle du hasard [« Le domino que j'ai mis n'était pas le bon », pour aussitôt se demander s'il n'est pas au contraire un génie méconnu[« Génie? En ce moment, cent mille cerveaux se prennent en rêve, comme moi, pour des génies »], ce qui engendre une interrogation sur lui-même[« Que sais-je ce que je serai, moi qui ne sais qui je suis? »], une sorte d'auto-suffisance de celui qui a toujours été incompris et qui dénonce le côté dérisoire de cette vie [« Toujours une chose aussi inutile que l'autre, toujours l'impossible en face du réel »]. Il se sent en ce monde « comme en exil», « comme un chien toléré par la direction parce qu'il est inoffenssif » avec la mort « qui moisit les murs et blanchit les cheveux des hommes » et dont on ne sait, en cet instant, s'il la souhaite ou s'il la redoute.

Son désarroi est grand qu'il exprime par des mots forts [« Mon coeur est un seau vide »]. Cet homme est un adulte et nous imaginons qu'enfant il avait déjà tissé des projets d'avenir qui ne sont maintenant plus que des souvenirs inconsistants [« Je porte en moi tous les rêves du monde »] Il a vu dans la vie une extraordinaire occasion de faire bouger les choses, de faire changer ce vieux monde, d'y laisser sa marque, mais ses rêves se sont révélés être des chimères. [« Combien d'aspirations hautes, nobles et lucides... ne verrons jamais la lumière du vrai soleil »] . En cela il est le reflet de la condition humaine. C'est un simple humain assujetti à la fuite du temps, à la vieillesse, à la mort, au destin « qui mène la carriole de tout sur la route de rien ». Pour lui cette prise de conscience génère un malaise [« Foulant aux pieds la conscience de se sentir exister, comme un tapis où trébuche un ivrogne »], un doute [« Non, je ne crois pas en moi » - « Que sais-je de ce que je serai, moi qui ne sais qui je suis »] et rien d'autre ne pourra l'en guérir, ni les religions [Dieu?] ni même l'écriture et surtout pas la métaphysique qui « n'est que le résultat d'une indisposition ».

C'est un être tourmenté, facette hétéronyme de Pessoa, à la fois conscient de son inexistence et porteur d'ambitions qu'il n'atteindra jamais, un paradoxe apparent. Il le sait et le déplore, le regrette aussi parce qu'on ne peut se satisfaire d'une telle image de soi-même, coincé entre réalité et rêve. C'est aussi un idéaliste qui fait prévaloir l'écriture et attend vainement le succès, la notoriété peut-être [« Je serai toujours celui qui attendait qu'on lui ouvrît la porte, au pied d'un mur sans porte qui chantait la chanson de l'Infini dans un poulailler »]. Il me semble qu'il entretient avec son écriture une relation à la fois salvatrice et malsaine en ce sens qu'il vit par elle et pour elle, mais la légitime notoriété qu'il en attendait n'a jamais été au rendez-vous où peut-être ressent-il une impossibilité de s'exprimer complètement? Dès lors, il en parle comme d'un « portail en ruines sur l'impossible » et allume une cigarette au lieu de prendre la plume, comme si, en cet instant, sa fumée, bleue et légère, valait mieux que tout!

Il s'interroge sur l'inutilité de ce qu'il a écrit mais pense sérieusement à recommencer, fait allusion aux femmes qui consolent du mal de vivre pour revenir au spectacle de la rue, véritable toile de fond dynamique de cette évocation, au patron du tabac d'en face, à un client, à une cigarette qu'il allume, à la fille de la blanchisseuse qu'il pourrait épouser et ainsi être heureux. Ce client c'est « Estève-n'a-pas-de-métaphysique », et à qui tout son univers est étranger, il le connaît, le salue, c'est comme si la vie reprenait le dessus avec son quotidien, comme si la seule vue de cet homme suffisait à lui rendre l'envie de vivre.

C'est le texte d'un désespéré que le spectacle simple du réel, la rue, la boutique du buraliste d'en face, le patron avec son cou endolori, le client qui est simplement venu acheter du tabac, fait reprendre temporairement goût à la vie. A tout le moins a-t-il décidé lui-même de lui donner une dernière chance, même s'il avoue que ce monde lui et étranger, qu'il n'a rien à y faire. « L'univers s'est refermé sur moi sans idéal et sans espoir et le patron du Tabac a souri. »

© Hervé GAUTIER - juillet 2007.
Lien : http://hervegautier.e-monsit..
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Un ami portugais m'a dit un jour qu'il ne fallait pas trop lire Pessao, que cela rendait neurasthénique. Je devrais peut-être suivre son conseil, mais pas tout de suite, car je viens de relire une fois de plus "Bureau de tabac", texte qui me fascine depuis que je l'ai découvert, parce que j'ai l'impression que, d'une façon ou d'une autre, le magistral Lisboète avait déjà, en 1928, couché sur le papier ce qui deviendrait la trame de mes pensées, une forme d'appréhension calmement désespérée, parce que lucide, de l'existence. Je trouve cela tragiquement beau, on me dit que c'est très triste, et je m'interroge: serais-je alors déjà très neurasthénique?
Mouvement impitoyable de la pensée qui éteint à peine formulés tous les espoirs qui osent l'assaillir, qui pose des questions dont il est inutile de chercher la réponse, qui nous mènerait vers la mort, tranquillement, comme la seule issue possible, si la chute ne nous ramenait pas le sourire d'Estève sans métaphysique.
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Une nouvelle tout en poésie.
Le meilleur de Fernando Pessoa
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L'étrangeté de vivre rend perplexe, semble dire Alvaro de Campos dans Bureau de tabac. Dans ce poème, il accumule les négations, les négations de négations. Il soumet l'existence au rayons X des pensées, emboitées les unes dans les autres comme des poupées russes. Examinons ces pensées à la loupe, au microscope, jusqu'à leur disparition complète. Vous avez dit dérisoire ?

"Je ne suis rien. Je ne serai jamais rien. Je ne peux vouloir être rien. Cela dit, je porte en moi tous les rêves du monde".

"J'ai tout raté. Comme je n'avais aucune ambition, peut-être que ce tout n'était rien".

"J'ai vécu, j'ai étudié, j'ai aimé, et j'ai même cru,
Et maintenant j'envie chaque mendiant pour la seule raison qu'il n'est pas moi (...)
Peut-être n'as tu existé que comme un lézard auquel on a coupé la queue,
Et finalement c'est la queue du lézard qui continue d'exister, et de façon fort agitée !"

Alvaro semble déboussolé. Il a tout manqué, a horreur de lui-même, s'autoflagelle. Intoxiqué de négativité, il oscille entre scepticisme et sentimentalité.

"Mange tes chocolats, fillette, mange donc tes chocolats !
Écoute, à part le chocolat, il n'y a pas de métaphysique au monde.
Écoute, toutes les religions n'enseignent rien de mieux que la confiserie.
Mange, petite cochonne, mange !
Ah ! Si seulement j'étais capable de manger des chocolats avec ton naturel !"

Alvaro de Campos jouit de voir ses pensées s'évaporer comme fumées de cigarettes. Il porte tant de masques que certains collent à son visage. le torticolis de son âme perçoit tout de travers. Métaphysique du chocolat ou de l'absurde ? Salut, Alvaro !
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