(...)
Une fois j'aimai, et je crus qu'on m'aimerait,
mais je ne fus pas aimé.
Je ne fus pas aimé pour l'unique et grande raison
que cela ne devait pas être.
Je me consolai en retournant au soleil et à la pluie
et en m'asseyant de nouveau à la porte de ma maison.
Les champs, tout bien compté, ne sont pas aussi verts pour ceux qui sont aimés
que pour ceux qui ne le sont pas.
Sentir, c'est être inattentif.
Si je meurs jeune,
sans pouvoir publier un seul livre,
sans voir l'allure de mes vers noir sur blanc,
je prie, au cas où l'on voudrait s'affliger sur mon compte,
qu'on ne s'afflige pas.
S'il en est ainsi advenu, c'était justice.
Lorsque reviendra le printemps
peut-être ne me trouvera-t-il plus en ce monde.
J'aimerais maintenant pouvoir croire que le printemps est un être humain
afin de pouvoir supposer qu'il pleurerait
en voyant qu'il a perdu son unique ami.
Mais le printemps n'est même pas une chose : c'est une façon de parler.
Ni les fleurs ne reviennent, ni les feuilles vertes.
Il y a de nouvelles fleurs, de nouvelles feuilles vertes.
Il y a d'autres jours suaves.
Rien ne revient, rien ne se répète, parce que tout est réel.
Que ne suis-je la poussière du chemin,
les pauvres me foulant sous leurs pieds...
Que ne suis-je les fleuves qui coulent,
avec les lavandières sur ma berge...
Que ne suis-je les saules au bord du fleuve,
n'ayant que le ciel sur ma tête et l'eau à mes pieds...
Que ne suis-je l'âne du meunier,
lequel me battrait tout en ayant pour moi de l'affection...
Plutôt cela plutôt qu'être celui qui traverse l'existence
en regardant derrière soi et la peine au coeur...
Je ne crois pas en Dieu parce que je ne l'ai jamais vu.
S'il voulait que je croie en lui,
Sans doute viendrait-il me parler
et entrerait-il chez moi par la porte
en me disant : Me voici!
(...)
Mais si Dieu est les fleurs et les arbres
et les monts et le soleil et le clair de lune,
alors je crois en lui,
alors je crois en lui à toute heure,
et ma vie est toute oraison et toute messe,
et une communion par les yeux et par l'ouÏe.
XLIV
La nuit, je me réveille brusquement.
Et ma montre emplit toute la nuit.
Je ne sens pas la Nature au dehors.
Ma chambre est une chose obscure aux murs vaguement blancs.
Il y a dehors une tranquillité comme si rien n'existait.
Seule ma montre continue son tic-tac.
Et cette petite chose à engrenage qui est sur ma table
étouffe toute l'existence du ciel et de la terre…
Je m'épuise à chercher ce que cela signifie
puis je m'arrête et dans la nuit
un sourire me vient au coin des lèvres
parce que l'unique chose que ma montre symbolise ou signifie,
quand elle remplit de sa petitesse la nuit immense,
c'est la sensation curieuse qu'elle remplit la nuit immense
de sa petitesse…
p.47-48