L'Oasis est le sixième roman de
Xavier-Laurent Petit, le premier publié chez l'École des loisirs, dans la collection destinée aux adolescents, Médium en 1997. Roman pour lequel, l'auteur a reçu plusieurs prix, dont le prix du roman historique jeunesse 1998.
Xavier-Laurent Petit est un auteur important de l'École des loisirs. Sur ses vingt-sept romans, onze ont été publiés dans la collection Médium. Dans ce livre apparaissent des thèmes – la guerre, le terrorisme,… – ainsi qu'un choix narratif – l'histoire vu à travers les yeux d'un enfant – qui deviendront récurrent dans le travail de l'auteur.
L'histoire se déroule en Algérie dans les années 90, aux prémices de la guerre civile (la décennie noire), où les groupes terroristes islamistes entament une série de manifestations et d'attentats. Au milieu de cet environnement hostile, nous suivons le quotidien d'Elmir (narrateur), jeune collégien, et de ses amis Ismène et Naïa. Leur âge n'est pas mentionné, mais certains éléments nous indiquent qu'ils viennent de rentrer au collège, ils ont donc probablement douze ans. Ismène habite dans la haute ville, le quartier pauvre. Il est fils d'une famille nombreuse et peu éduqué. Tandis qu'Elmir est fils unique et habite le quartier de la Source, comme Naïa. Les trois comparses mènent une vie normale, dans l'âge de l'insouciance. Ils rendent visite à la vieille Nourrédia qui les accueille en bougonnant et les sermonnant, mais qui ne peut s'empêcher de les gâter de beignets. Eux, lui sont restés fidèles. Ils ne sont pas allés au nouveau café occidental qui a ouvert en face du collège. Tout semble se passer pour le mieux, mais en quelques pages à peine, la tension monte. Elmir et Naïa, rentrant chez eux, se retrouve au milieu d'une inquiétante manifestation.
Les « barbus » comme les appelle le père d'Elmir – qui est journaliste à La Liberté – montent dans leur tram. Ils scandent des slogans anti-occidentaux et religieux. L'un d'eux s'approche de Naïa, qui est terrorisée. Il lui ordonne de se couvrir la tête, mais comme elle ne dispose pas de tissu, il lui place sur la tête sa trousse d'école qu'il a violemment vidée au préalable. Les deux enfants sont tétanisés, Naïa en pleurs. Elmir ne comprend pas ce qu'il se passe. Il n'est qu'un petit collégien, la scène semble irréelle. Les enfants finissent par rentrer chez eux, puis la vie reprend son cours, presque comme si de rien n'était. le jeune garçon nous parle de Game Boy, de Mickaël Jackson… Comment le troc s'organise dans les cours de récréation. Et puis un jour, en cours, son ami Ismène scande l'un des slogans des « combattants de l'ombre » (nom que se donne les terroristes), en plein cours d'histoire. le prof est furieux mais à peine à t-il le temps de le sermonner qu'une détonation retentit. de nouveau, Elmir semble incrédule face à une situation qui semble empirée dehors. Tout cela semble à la fois si lointain et si proche. Petit à petit, le roman s'enfonce dans la brume de la guerre civile où Elmir voit les fondations de son existence s'effriter, voire s'écrouler. Son ami Ismène semble avoir définitivement pris parti pour les « combattants de l'ombre » dont son frère Larrid est un partisan actif. Les deux amis viendront à se séparer, toutefois Elmir n'arrivera jamais à en vouloir totalement à son ami, même si les adultes les obligeront systématiquement à choisir leur camp. Sa mère, bibliothécaire engagée, sombrera dans la dépression suite à l'incendie criminel de la bibliothèque municipale. Son père sera menacé de mort par les terroristes, les obligeants à déménager fréquemment. Mais le pire pour Elmir sera le départ de Naïa, « sa petite chérie », pour la France. Pourtant, malgré les évènements, Elmir garde quelques espoirs. Ce livre, sauvé des flammes, qui pourrait guérir sa mère ; la vieille Nourrédia, qui est toujours là pour lui ; Mouli, le fennec à trois pattes que Naïa lui a confié… Enfin, au plus profond de cet abysse, le père d'Elmir décidera de sortir son fils des horreurs de la guerre. Il l'emmènera vers cet oasis dont Nourrédia lui avait parlé. « J'ai l'impression d'habiter ici depuis toujours, loin des attentats, des villes, et du collège » écrira Elmir à Naïa.
L'histoire oscille tout le long du livre entre ces moments d'insouciances de la vie du petit Elmir, et ces rappels brutaux à une terrible réalité. Celle de la guerre et du terrorisme. Comme l'agression d'un monde totalement étranger à ce qu'il connaissait jusque ici. À chaque fois, Elmir glisse dans cet environnement dont il ne voudrait pas être concerné. Lui qui voudrait simplement rester ami avec Ismène et écouter Mickaël Jackson, que sa mère puisse continuer à faire la lecture dans la haute ville, que son père puisse travailler sans être menacer de mort, que la fille du prof d'histoire ne soit pas victime d'attentat, que Naïa ne soit pas obligée de partir…
X-L Petit montre comment les affaires politiques et religieuses des adultes viennent briser l'innocence de la jeunesse, de leurs propres enfants. Il montre l'horreur de la guerre civile, par le prisme de l'enfance, ce qui la rend d'autant plus injuste et déraisonnée.
Dans ce roman, il est aussi question de liberté, enfin surtout de libertés bafouées : celle de la presse – qui est la cible répétée des terroristes, puis du gouvernement ; celle de penser – on oblige les jeunes à choisir leur camp ; celle de rester vivre dans son pays – la fuite de Naïa et de ses parents en France ; etc.
L'autre grand thème du livre, il me semble, est la fidélité. Ou plutôt les fidélités, et comment chacune d'elles peuvent rentrer en conflits avec les autres. La fidélité d'un ami, et d'un amour : que ce soit Elmir qui se préoccupe malgré tout d'Ismène, la fidélité des enfants envers Nourrédia, ou l'amour d'Elmir pour Naïa. La fidélité envers la famille : les enfants sont fidèles aux idées des parents, à leur conditions, quitte à défendre l'indéfendable (Ismène et son frère Larrid). La fidélité aux idées et aux valeurs : le père d'Elmir restera journaliste coûte que coûte, malgré les menaces de mort ; la mère d'Elmir restera fidèle à ses livres, jusqu'à en perdre la raison ; les « combattants de l'ombre » sont fidèles à leur engagement, quitte à commettre des attentats…
L'auteur a le bon goût de ne pas user d'un langage de la jeunesse qui pourrait apparaître comme caricatural, et culturellement daté. Pas d'expressions « à la mode », de vocabulaire trop spécifique. le style reste relativement sobre, et plutôt efficace puisque l'on passe d'une ambiance à une autre étant pris par les mêmes angoisses qu'Elmir. le point de vue du garçon est bien retransmit, et l'on comprend parfaitement ses doutes, ses peurs,… L'auteur a l'intelligence d'équilibrer son récit entre une distance historique sur les événements, que le garçon subit totalement, et une intimité qui permet au lecteur de s'identifier s'en trop de difficultés au jeune collégien. Il y a une forme de pudeur dans le style (pas d'excès de bons sentiments), qui procède presque par touches – un peu d'humour distillé ici et là, un peu de tendresse, de suspens,… Au sein d'une grande fresque historique. L'écrivain évite un manichéisme trop évident et facile sur ce genre de sujet. Si l'on ne peut excuser les terroristes et leurs actes meurtriers, on peut comprendre, par exemple, la fidélité d'Ismène à sa famille, ainsi que la colère d'une partie de la population (plutôt pauvre), qui l'a poussée vers l'extrémisme et la haine. le gouvernement n'étant pas présenter comme exempt de tout reproche.
Pour toutes ces raisons, le livre réussit le pari de parler de sujets importants et graves aux adolescents (et pré-adolescents), en les plongeant au coeur des événements. En les amenant à réfléchir, à prendre position sur l'actualité et à commencer à développer un regard critique sur le monde et ses évènements. Ce qui est l'objectif de la collection Médium dans laquelle s'inscrit pleinement cet ouvrage.