J'avais la révélation du combat primitif dont la mise en scène et le décor de la plaza travestissent les lignes; la lente, la haletante défaite du fauve devant un homme désarmé qui, par le seul jeu intelligent du leurre, le réduit à l'épuisement et au désespoir.
Enfin, je distinguais en face de moi les monteras et les ors des toreros massés dans le passage du défilé, la brève prison des angoisses où les hommes tournent comme des bêtes dans leur fosse, front bas, la main gauche mouillée de sueur sur les cornes de la cape serrée, palais et gorge secs à ne pas pouvoir saliver.
Fou de liberté, de lumière, de bruit, le jeune taureau avait balayé toute l'étendue de l'arène, désarmant les banderilleros, les faisant fuir de toutes parts, s'envoler par-dessus la barrière. Il venait d'en pourchasser un jusqu'à la palissade, et, déchirant de la corne la cape rose qu'il lui avait arrachée, et qui l'aveuglait, la musculature du garrot hérissée, il faisait sauter les planches de l'obstacle. Puis il se retourna, menaçant, vers l'espace qu'il avait vidé.
J'avais encore dans les oreilles le silence de celui que j'avais vu à Saragosse, le silence qui règne sur tous les mouvements des fauves et ajoute à leur mystère, la voix du mayoral de l'élevage qui manœuvre lui-même les condamnés "Huera, hu hu hu", et le souffle d'émotion de la bête tournant au fond de sa fosse, dans la ténèbre des volets fermés.