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Critique de Butterflies


Avignon a accueilli l'exposition « Ecce homo » de l'artiste Ernest PIGNON-ERNEST de juin 2019 à février 2020. J'ai eu la chance de la voir et de lire après coup, cet ouvrage magnifique.
Un recueil écrit par plusieurs mains, des écrivains, des poètes, des personnes engagés politiquement, des avocats, des amis de l'artiste qui l'admirent et ont été à ses côté pour certains lors de ses croisades nocturnes pour coller ses affiches. J'ai cherché à la fin du livre la liste des auteurs mais la table des matières ne mentionne que les oeuvres de PIGNON-ERNEST car c'est davantage de cela qu'il s'agit. Puis surprise, ma fâcheuse habitude de ne pas lire la 4ème de couverture, qui ici en plus est double, contient tous les auteurs par ordre alphabétique.

Depuis les années soixante, Ernest Pignon-Ernest investit les villes – de Paris à Naples, d'Alger à Ramallah, de Santiago à Soweto – en apposant ses images sur leurs murs. Loin des musées, les oeuvres de ce pionnier du street art se fondent dans l'architecture et métamorphosent l'espace public.

Qu'elles traitent de réalités sociales, de politique, de poésie ou de mythes, c'est toujours par le lieu où elles sont installées qu'elles prennent tout leur sens.

« Je ne fais pas des oeuvres en situation, j'essaie de faire oeuvre des situations. »
Ernest PIGNON-ERNEST

Ce livre propose une large sélection de ces oeuvres éphémères, en les accompagnant de textes d'une cinquantaine d'auteurs qui, dans des formes diverses (poèmes, récits ou même essais), reviennent sur leur rencontre avec l'artiste et l'une de ses oeuvres.

(images, citations & photos de l'exposition sur mon blog)

Gisèle HALIMI a écrit un chapitre troublant, « Malheur de femme« , sur l'avortement, droit des femmes à disposer de leur corps durement acquis pour lequel elle s'est battue en tant qu'avocate et a été durement malmenée pour ce faire.

« Marie-Claire se réveille brutalement. l'angoisse l'étouffe. Elle rejette son drap. Un liquide poisseux l'inonde, un sang noir s'écoule [….] Elle s'affole. Elle appelle.[…]glisse du lit. Elle sanglote. Elle va mourir. La sonde l'a sans doute déchirée. Elle se couche sur le sol. Elle n'ose plus bouger. Elle s'efforce de crier plus fort. […] Sa fille est là, allongée, couverte de sang. Son visage gris, son corps immobile lui font craindre le pire. […] Pas de téléphone. Personne à son secours. Un taxi? Mais où? Mais combien? […] « Tu n'as pas honte, à ton âge? » Voix mauvaise du médecin des urgences. […]Tu vas voir. » Douleur atroce. Va-t-elle mourir? Devant le tribunal correctionnel de Bobigny, j'ai dit au juge[…] que je me sentais, « toutes causes confondues, avocate et femme. femme et avocate car je suis une femme qui a avorté. » […] le président à l'avorteuse: » le spéculum, l'avez-vous mis dans la bouche de Marie-Claire? » J'ai bondi: « Regardez-nous et regardez-vous. Quatre hommes pour juger quatre femmes. Quatre hommes pour décrire nos utérus, peser nos espoirs, décider de nos libertés! » […] le conseil de l'ordre sanctionna. C'était en 1972″

Gisèle HALIMI, « Malheur de femme » p.39

Son texte rappelle le passé, le droit à l'IVG durement gagné par toutes ces femmes condamnées, beaucoup mortes des séquelles d'avortement fait en cachette, dans des conditions effroyables. Cette loi de 1975, qui est pourtant menacée aujourd'hui car cette liberté devient abstraite pour beaucoup (centres d'IVG qui ferment, médecins assassinés en Italie qui pratiquent l'avortement, etc.) alors comme elle le dit si bien « le combat continue ».

Ernest PIGNON-ERNEST c'est aussi et avant tout ça, un homme engagé qui se bat pour la liberté quelle qu'elle soit.

J'ai retrouvé aussi parme les auteurs avec plaisir Daniel PENNACLa fée carabine« , « Au bonheur des ogres »…lectures de mon adolescence) comme fervent admirateur de l'artiste et colleur d'affiches dont le chapitre m'a fait sourire, fidèle à lui-même dans son style littéraire. Fred VARGAS, l'auteur de romans policiers (« Debout les morts« , « Un lieu incertain », « Pars vite et reviens tard », « Ceux qui vont mourir te saluent »…), a aussi écrit son chapitre. Elle affirmait être à cours d'inspiration mais elle a assuré comme toujours. Erik ORSENNA, aussi, a offert un délicieux chapitre sur les cabines téléphoniques comme vestiges d'une autre époque et le travail magnifique qu'a fait PIGNON-ERNEST autour et à l'intérieur de ces cabines. Photographies toujours magnifiques de notre « appeleur de fantôme » comme le nomme si joliment Orsenna.

« Compagnes de nos angoisses, quand nous venions y appeler à l'aide. Complices de nos amours interdites quand nous ne pouvions appeler du domicile conjugal. Cabines téléphoniques , que le portable a tuées. »
Erik ORSENNA, »Fragiles »

Un recueil magnifique à découvrir donc pour les amoureux de la langue française mais aussi et surtout pour les amateurs d'Art, de Street Art précisément et pour ceux qui aiment les hommes engagés comme Ernest PIGNON-ERNEST, qui dénonce les injustices, le racisme, l'homophobie, la bombe atomique, la pauvreté, la guerre et tellement d'autres choses. Un artiste, qui interroge les passants autant qu'il s'interroge et fait vivre les lieux qu'il habille de ses affiches, vivantes et troublantes, offrant un autre regard aux habitants des villes, qu'il parcourt.


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