A la suite des auteurs d'origine iranienne de qualité qui ont su s'imposer en France comme
Marjane Satrapi, Chahdohrtt Djavann ou
Yassaman Montazami entre autres …
Zoya Pirzad nous fait voyager en Iran.
«
C'est moi qui éteins les lumières » - titre de prime abord quelque peu nébuleux dont on aura l'éclairage au fil du roman – a la spécificité de nous conter le quotidien d'une famille arménienne installée en Iran, plus précisément à Abadan (une ville pétrolière assez connue pour avoir été le lieu d'une crise consécutive à la nationalisation des compagnies de pétrole iranien par Mohammad Mossadegh dans les années cinquante).
L'ouvrage traite essentiellement des relations familiales et de voisinage. Clarisse est une mère de famille âgée de 38 ans mariée depuis longtemps. Organisée, responsable, ses journées sont inlassablement rythmées par les repas et les tâches ménagères...
Dans ce quotidien Clarisse semble s'être peu à peu effacée et s'être oubliée au profit du sens du devoir envers sa petite famille - un ado assez sérieux qui connaît ses premiers émois amoureux (Armen), des jumelles farceuses et pleine de vie (Armineh et Arsineh) ainsi qu'un mari travailleur et aimant (Artush). Elle n'ose guère affronter sa mère et sa petite soeur, Alice (personnage haut en couleur : la petite trentaine, amatrice de chocolat et sans cesse à l'affut d'un mari) qui n'ont de cesse de s'ingérer dans sa vie.
L'installation de Madame Simonian, de son fils (Emile) et de sa petite-fille (Emilie) dans la maison d'à côté va bouleverser le quotidien de Clarisse et lui permettre, in fine, d'entamer un travail d'introspection, elle, qui avait jusque-là été happée par la routine.
Ainsi, le regard d'un étranger – à savoir le bel Emile qui ne laisse pas indifférentes les femmes d'Abadan – va lui faire prendre conscience de sa valeur et va l'inciter à s'interroger sur sa place dans la famille ainsi que sur sa féminité.
Il s'agit donc d'un roman positif qui prend un angle assez inédit puisqu'il présente la situation des Arméniens en Iran. On a quelques informations sur certains mets dégustés en Iran avec un lexique fort utile (situé en fin d'ouvrage).
L'écriture est fluide et l'auteur a réussi à donner de la profondeur à ses personnages. Ceux-ci sont très lumineux. J'ai en particulier beaucoup apprécié le personnage d'Alice qui évolue tout au long du roman, quelque peu antipathique au début de l'ouvrage, « la soeur à marier » devient plus drôle et attachante au fil de l'histoire.
J'ai néanmoins un très léger bémol : il n'y a pas véritablement de cadre temporel. Quelques indices (notamment l'évocation des mesures concernant le droit de vote des femmes) nous permettent de subodorer que l'histoire se déroule aux prémices des années 1960 au moment de la « Révolution blanche » initiée par le Shah Mohammad Reza Pahlavi.
Afin d'obtenir de plus amples informations sur la situation de l'Iran dans les années 1960 et d'avoir le point de vue des hautes sphères du gouvernement, on pourra compléter la lecture de ce roman par les
«
Mémoires » de
Farah Pahlavi publiées chez XO éditions en 2003.
En bref, si vous recherchez une lecture haletante, trépidante avec des rebondissements ou alors une lecture sur la "grande Histoire" de l'Iran passez votre chemin. En revanche, si vous avez envie de pénétrer dans l'intimité d'une famille chaleureuse où la solidarité est de mise et que vous aimez les « happy-end », ce roman est fait pour vous.