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286 pages
Editions du Monde Nouveau (20/11/1922)
4.5/5   1 notes
Résumé :
Ce n'est qu'un roman...
Tout est fantaisie dans ces pages, même les propos prêtés à des hommes d'État, et qu'ils auraient bien été capables de tenir. Tout est fantaisie et cependant !... Voulant écrire le roman du pétrole, nous l'avons fait partir de Gênes, en mêlant la fiction à la réalité. Nous n'avons pas cru devoir affubler de pseudonymes des personnages historiques. Nous nous excusons pourtant d'avoir interprété leurs gestes, leurs paroles et leurs actes... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
Voilà le genre de livre qu'un amateur de littérature insolite aime trouver sur son chemin. D'abord, parce qu'il se situe en dehors de tous les sentiers battus, mais aussi parce qu'un tel livre est à la fois symbolique de l'esthétique d'une époque et d'un concept totalement intemporel, pour ne pas dire très actuel, quant à la teneur de certains questionnements qu'il aborde.
Maurice Privat faisait avec ce roman ses premiers pas en littérature. Ce n'est pourtant pas dans ce domaine qu'il s'illustrera, puisque quelques années plus tard, il sera un célèbre astrologue, l'un des premiers à publier des livres de prévisions astrologiques, dont le plus cocasse fut celui de 1939, prévoyant pour 1940 "une année de grandeur française". Maurice Privat eut aussi le privilège d'être l'un des premiers animateurs radio et inventa, dès 1925, le concept du journal parlé.
Maurice Privat fut réellement un visionnaire, mais un visionnaire à la vue courte, qui eût peut-être le tort de vouloir voir trop haut dans le ciel et trop loin dans l'avenir. Non pas qu'il disposât de pouvoir surnaturels, mais il avait une certaine compréhension immédiate de la logique qui génère les actes des hommes. Sur ce point, « L'Aventurière aux Yeux Verts » contient en filigrane toutes les préoccupations de sa carrière future : géopolitique, inquiétude de l'avenir, occultisme, politique internationale, diplomatie, etc, etc... C'est d'ailleurs un livre étrange dans le sens où c'est un roman de politique-fiction, teinté d'espionnage, mais qui aurait pu être écrit en plein âge d'or du symbolisme, par un auteur traumatisé par le «À Rebours » de J.K. Huysmans. Mêlant une réflexion intellectuelle préfigurant la futurologie à une intrigue relativement classique de roman d'espionnage, ce roman est rédigé dans une langue extrêmement sophistiquée, lourdement chargée de références culturelles, politiques, littéraires et artistiques. Bref, c'est un récit politique livré par un esthète opiomane, une aberration littéraire qui fonctionne très inégalement, mais qui fascine de par son instabilité permanente et opiniâtre.
« L'Aventurière aux Yeux Verts » est très logiquement au centre du roman qui porte son nom, elle est une sorte d'idéal dandy, un Des Esseintes en jupe longue et au service (secret) de Sa Majesté la Reine (d'Angleterre). Nadia Feodora est pourtant une marquise originaire du Caucase, une femme splendide, belle et blonde, aux yeux verts, ayant aussi pour elle une intelligence de tout premier ordre qui a su s'imposer à tous les puissants de ce monde. Diplomate et espionne par pur délassement, puisqu'elle est à la tête d'une immense fortune, elle sert depuis longtemps la cause de la Couronne Britannique, et plus particulièrement, celle de son premier ministre Lloyd George.
Mais cette aventurière est aussi une esthète romantique et emportée, qui ne se déplace jamais sans amener avec elle « le Crépuscule des Dieux » d'Elémir Bourges. Ce livre, sans rapport direct pourtant avec l'intrigue, semble avoir fortement impressionné Maurice Privat, qui le cite à une bonne dizaine de reprises. Il est vrai que son style lorgne assez ouvertement sur celui d'Elémir Bourges, quoique sans se prévaloir de l'humour de ce dernier. Bien qu'il s'en défende dans la préface, Maurice Privat prend son roman très au sérieux, et son style s'en ressent par un certain maniérisme guindé qui serait agaçant s'il n'était aussi décalé et créatif.
Résumer l'intrigue de « L'Aventurière aux Yeux Verts » n'est pas simple, car l'histoire en elle-même est très minimale, mais constellée de digressions, de parenthèses, d'anecdotes hors-sujet, de réflexions philosophiques ou d'idylles sexuelles et romantiques, tout cela formant un labyrinthe littéraire totalement déconcertant mais parfaitement maîtrisé, narrant à la fois l'ultime aventure de l'espionne Nadia Feodora, les doutes sentimentaux et métaphysiques qui l'habitent, les intrigues politiques autour de l'attribution de terrains pétrolifères, et une très désuète élégie de la rédemption par l'amour. Tout cela voisine avec l'état des lieux et les interrogations métaphysiques du Des Esseintes de «À Rebours » ou du narrateur de « Voyage Autour de ma Chambre », le très avantgardiste récit de Xavier de Maistre. Et pourtant, dans « L'Aventurière aux Yeux Verts », le lecteur voyage bien au-delà des murs d'une chambre, de l'Italie à la Russie, en passant longuement par le Mexique, mais chaque âme étant seule dans sa nuit, Maurice Privat se concentre surtout sur les paysages intérieurs des puissants de ce monde et de leurs agents secrets.
Ainsi, le lecteur suit fidèlement Nadia Feodora dans des aventures un peu confuses, mais où rien de ce qui était prévisible n'arrive vraiment et où l'action est constamment entravée par des considérations imprégnées de romantisme noir, des vertiges politico-métaphysiques ou encore une soudaine romance exotique, où le sexe et l'amour dégagent des impressions hallucinogènes aux vapeurs d'opium.
Tout cela donne une mixture littéraire que certains pourraient trouver indigeste, tant le roman d'espionnage populaire, le récit d'analyse politique et la poésie symboliste et décadente se marient difficilement au seul d'un seul et même récit; tant aussi pragmatisme, romantisme, érotisme et action pure se dynamitent continuellement au lieu de s'accorder. Cependant, le roman gagne à être redécouvert et relu pour ce qu'il est réellement : une expérience littéraire, fruit de la créativité débridée et arbitraire d'un jeune écrivain qui vouait le même amour contradictoire à l'académisme sulfureux et à la diplomatie politique.
Ecrit dans la foulée des accords de Gênes de mai 1922, où était débattue, mais avec moins d'importance que ne le suppose l'auteur, la question de la future exploitation pétrolière des puits du Caucase et de quelques autres de par le monde, « L'Aventurière aux Yeux Verts » contient déjà un certain nombre de "prévisions" du futur astrologue qu'était Maurice Privat. Mais si, en règle générale, beaucoup de ces projections se sont révélées erronées, la prophétie de Privat, affirmant que le pétrole allait être, au XXème siècle, non seulement une source d'énergie qui éclipserait toutes les autres mais l'un des piliers de l'économie mondiale, se révèle aujourd'hui d'une incroyable clairvoyance, quand on réfléchit à l'usage encore très modéré et souvent ludique que l'on faisait de l'automobile au début des années 20.
Hélas, cette mainmise de l'humanité sur le pétrole lui semblant davantage une mainmise du pétrole sur l'humanité, Maurice Privat porte sur cette révolution industrielle en marche un regard mortellement angoissé, qui le pousse à adopter des visions que l'on jugerait aujourd'hui "conspiratrices", supputant des accords occultes entre les puissants, jugés prêts à déclencher des guerres ou à multiplier les assassinats à la seule fin d'obtenir l'exclusivité d'une zone pétrolifère, dans le plus pur mépris de la population civile. En 1922, l'horreur de la Première Guerre Mondiale était encore dans tous les esprits, et nombre d'entre eux craignaient que le conflit ne reparte à la moindre occasion. de plus, la présence des Soviétiques à la conférence de Gênes, refusant de rembourser les emprunts russes souscrits par le défunt tsar et désireux de s'imposer dans l'exploitation pétrolière, concourait, selon Privat, à imaginer la lente mise en place d'une future guerre mondiale entièrement axée autour d'une mainmise sur l'industrie pétrolière. Cette pensée terrifiante incite aussi Maurice Privat à entretenir un discours résolument hostile envers les communistes de la Russie Soviétique, mais aussi envers les socialistes européens, jugés complices, parmi lesquels certains hommes politiques français qui sont brocardés avec une haine farouche et bien inutile, durant les premières pages du roman.
« L'Aventurière aux Yeux Verts » est donc une curiosité littéraire qui défie tous les préjugés, et plonge le lecteur dans une marmite bouillante et mouvementée, tout le long d'une recette inédite et sauvage qui, à défaut d'être d'un goût exquis, est non seulement copieuse mais fortement pimentée. Création arbitraire mais méthodique d'un jeune homme déterminé à caser dans son premier roman tous les sujets sur lesquels il avait envie d'écrire, « L'Aventurière aux Yeux Verts » est certes un récit chaotique et instable, mais l'auteur en maîtrise parfaitement les clés, et le rédige avec suffisamment de talent pour donner l'impression qu'il s'agit d'un style - et d'ailleurs, cela finit par devenir un style, puisque tout cela est mis en scène de manière très carrée, assez réfléchie, en se réclamant d'une poésie décadente qui en excuse toutes les maladresses, et même la très sanglante conclusion. Il manque peut-être à ce roman une certaine unité, et à ses personnages une plus grande profondeur psychologique, mais il est totalement impossible de s'ennuyer en le lisant, alors que la plupart du temps, il ne s'y passe rien, et lorsqu'il s'y passe quelque chose, il nous faut un moment pour comprendre exactement ce qui se passe.
Enfin, l'une des dernières qualités de « L'Aventurière aux Yeux Verts » est, très probablement, d'avoir inspiré à Maurice Dekobra son roman à succès « La Madone des Sleepings », publié quatre ans plus tard. Les analogies sont nombreuses : l'héroïne y est aussi une aristocrate férue d'espionnage, qui tente de récupérer des puits de pétrole sur un territoire soviétique, elle vit aussi une romance exotique, mais avec un apparatchik russe (au lieu d'un homme d'affaires américain dans le roman de Privat), et le personnage du Prince Seliman a un peu les mêmes fonctions que le jeune agent britannique Eric Barlowe dans « L'Aventurière aux Yeux Verts ». Enfin, « La Madone des Sleepings » fait lui aussi la part belle aux interrogations sur la politique internationale, et se livre également à une condamnation sèvère du bolchevisme.
Tout le génie de Maurice Dekobra aura été d'une part de donner à son roman à lui un parfum d'ironie, d'humour et de kitsch qui manque singulièrement à « L'Aventurière aux Yeux Verts », mais aussi d'axer son récit vers les goûts modestes d'un lectorat féminin, là où Maurice Privat ne semble pas particulièrement s'être demandé quels seraient ses lecteurs, et n'écrit véritablement que pour lui-même.
« L'Aventurière aux Yeux Verts » se voulait le premier volume d'une série de romans traitant de politique, intitulée « le Règne du Veau d'Or ». Bien qu'un deuxième volume, « La Victoire en Cage », ait été annoncé très tôt chez Flammarion, ce roman n'a été achevé qu'en 1932 et très confidentiellement publié, sans plus de mention au « Règne du Veau d'Or ». Entre temps, Maurice Privat a changé de registre dès 1925 avec une fantaisie rabelaisienne appelée « Monte Là-Dessus », puis semble ne plus avoir signé que des ouvrages journalistiques sur des affaires policières jusqu'à sa conversion à l'astrologie. « L'Aventurière aux Yeux Verts » reste très probablement son oeuvre la plus atypique et la plus ambitieuse, et mériterait d'être redécouverte comme l'une des plus éclatantes curiosités littéraires des Années Folles.
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