Difficile lorsqu'on parle de sorcières de se départir aujourd'hui de l'image de la vieille femme au chapeau pointu s'envolant en ricanant sur son balai ou touillant l'intérieur d'un chaudron dans lequel baignent des ingrédients peu ragoutants. La sorcière peut cela dit aussi prendre l'apparence d'une belle séductrice dotée de dangereux pouvoirs menaçant l'intégrité ou la virilité des hommes à l'image de l'antique Médée ou de la Morgane des légendes arthuriennes. Elle peut aussi se faire effrayante, comme la
Carrie de
Stephen King, érudite comme l'Hermione Granger de
J.K. Rowling, ou encore bienveillante et espiègle à l'instar de la Samantha de « Ma sorcière bien-aimée ». Une figure complexe et en perpétuelle mutation sur laquelle s'est penchée
Julie Proust Tanguy dans son dernier ouvrage intitulé « Sorcières ! le sombre grimoire du féminin ». Parue chez Les Moutons Électriques, cette étude captivante permet d'aborder toutes les facettes de ce personnage controversé et de suivre son évolution de l'Antiquité à nos jours. L'auteur nous livre ici le résultat d'un abondant et minutieux travail de documentation qui va bien au delà de l'aspect purement historique puisqu'il est également question d'étudier l'évolution de la figure de la sorcière dans la littérature, la musique ou encore le cinéma. Nul doute que vous ressortirez vous aussi de cette lecture avec une quantité de références de films, séries, livres ou encore groupes de musique à découvrir.
Si les nombreuses références qui le parsèment rendent l'ouvrage particulièrement ludique, son principal atout reste la qualité de l'analyse de
Julie Proust Tanguy qui nous plonge ici au coeur des mentalités des sociétés antiques, médiévales, modernes et contemporaines. On découvre par exemple que la sorcière a toujours possédée une image assez ambiguë, et ce dès l'Antiquité où elle apparaît tour à tour comme un être bénéfique de part son statut de guérisseuse, ou au contraire malveillant car usant de ses redoutables pouvoirs pour de mauvaises raisons. Il faudra toutefois attendre le Moyen Age pour que la sorcière perde tout aspect positif et que l'on voit apparaître, sous l'égide de l'Inquisition, les principaux stéréotypes qui la caractériseront pour les siècles à venir. Elle est désormais la fiancée du diable, être maléfique et perverti, cause des malheurs vécus par la communauté pour qui elle ne tarde pas à devenir le bouc-émissaire idéal (l'épisode des procès de
Salem en est le parfait exemple). Les XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles seront toutefois encore moins cléments et on voit alors fleurir un peu partout des bûchers censés débarrasser la société de la nuisance que représentent ces femmes trop puissantes et trop libres. Les persécutions finissent toutefois par cesser au XIXe siècle qui marque la véritable libération de la figure de la sorcière qui connaît depuis lors une formidable résurgence, que ce soit dans la littérature (merci
Terry Pratchett), au cinéma, à la télévision ou dans les histoires destinées aux enfants.
Julie Proust Tanguy signe avec cet ouvrage une étude passionnante et remarquablement documentée consacrée à un personnage phare de notre imaginaire, toute période confondue. Une lecture d'autant plus intéressante et instructive que l'auteur détaille l'évolution du personnage sous des angles extrêmement variés tout en abordant abondamment la question de l'image de la féminité au fil des siècles. Une très bonne découverte que je recommande chaudement.