Je regarde papa rédiger l'addition sur le chèque. Il a l'air de dédicacer , aussi majestueux que s'il écrivait le début d'un roman ou m'écrivait à moi. De quoi mon cœur bat-il si fort à cet instant . De quelle tristesse ? De quel sentiment d'inimaginable gâchis ? De quelle envie désespérée de revenir sur le temps perdu, enfin conscient que tout a un prix sur le moment, que tout retard fait sombrer l'univers et que le temps est irrémédiable. (p. 200)
Mauriac a bien raison d'épingler le mutisme imbécile des familles ravagées par le malentendu.
Est ce que Dame Fessée mérite vraiment ce foin européen dont on la recouvre aujourd'hui ? Conseil de l'Europe ? Office mondial de la santé? Peine capitale? Peine fessière ? Tout ça légiférant contre le pater familias prié d'arrêter la fessée comme on arrête la cigarette ou l'alcool. Tabac électronique, alcool à zéro degré, éducation sans douleur - à quand les hosties pour incroyants ? …
On ne “mérite "pas une fessée …Elle passe par là, elle tombe sur le derrière du mauvais plaisant, on est quitte. A la maison, j'y avais droit en priorité. J'étais en pole position, pour les fessées. Je ne foutais rien en classe, j'étais insolent, goguenard, heureux comme un pape, je mettais toutes les chances de mon côté. Le postérieur de service, quand une bêtise d'enfant échauffait les doigts paternels d'un instinct de riposte immédiate…Qu'elle se mêle de ses fesses, la Loi. Qu'elle mette à l'ombre les vrais prédateurs.
Blague à part, je ne défends pas la fessée. J’exècre la pédagogie des voies de fait, les prétendues vertus éducatives de l'ironie, l'humiliation pour la beauté du geste qui fait rire la galerie des frustrés. …
Il agitait sa main vers l'horizon, entamant des silences à n'en plus finir qui se résumaient d'un mot: la mer. J'aurais pu le réveiller à n'importe quelle heure de la nuit en disant: on y va, papa, et l'on y serait allé, et l'on serait rentré comblés, frustrés, impatients d'y retourner. De vous à moi, nonobstant la rage d'amour insoluble dans un cœur d'enfant, la vie m'a donné ce qu'elle a de plus précieux sur la terre: une mère aimante, un père de bonne volonté qui ne pouvait regarder l'océan sans déclarer, une fêlure dans la voix- c'est beau, p'tit vieux. Rien que d'y penser, de l'eau salée me monte aux yeux.
C'est beau, papa. (p. 231)
Je souris malgré la peur, je fais le tour du monde avec mon sourire, j'emmène papa sur mon dos, tellement heureux qu'il ne soit pas mort. (p. 119)
UN LIVRE COMME UNE CHANSON peut bouleverser à tout jamais une âme d'enfant, lui révéler sa vraie nature au passage. (p. 131)
Papa était l'homme de ma vie. Le plus insurmontable des caps. Immense, blond, impénétrable. Les yeux bleus de papa me transperçaient. Il me reprochait d'être là. J'étais le p'tit vieux, le p'tit frère qui s'était trompé de famille. Maman m'aimait pour deux. Je vouais à papa une admiration rageuse et craintive. Je lui volais ses stylos. Comme lui, je voulais être écrivain. Je voulais être lui.
Il fait ce geste rituel propre aux écrivains comme aux tueurs à gages, plongeant la main dans sa veste à la recherche de l'arme de poing. C'est un stylo l'arme de papa depuis ses premières écritures au lycée Kérichen de Brest, l'arme de papa.
C'est drôle comme on les voit bien, les cils de quelqu'un qui veut cacher sa haine, et comme de petites lamelles de regard lui montent entre les cils.
Les avions tombaient quand ils tombaient. "C'est l'homme qui est dangereux, pas l'avion".