Citations sur L'homme de ma vie (46)
ça commence toujours par les yeux, avec papa, le regard. Il se prend pour une voyante avec les yeux d'un menteur. Il regarde son regard, il sait tout sur son âme et conscience, il ne lui reste plus qu'à fixer le tarif du châtiment.
Guère étonnant si « fête » rime avec « tempête », on dirait deux phénomènes régis par les mêmes lois atmosphériques. Force 10, 11, 12, une fête n’est rien d’autre qu’une tempête de joie qui cherche à submerger l’univers. Comme une tempête, elle a son paroxysme et comme une tempête elle finit par s’amadouer, renvoyer dos à dos les fêtards et les dieux, et pas u soleil ne maque à l’horizon, minuit continue.
Je sors à mon tour, je fais comme lui, les bras, les jambes, la respiration, je pianote en l'air, cherchant à saisir au vol les gouttelettes du crachin. Je suis un Henri Queffélec miniature, prêt à lui voler son mètre quatre-vingt-trois comme j'ai déjà volé son stylo, ses chaussettes, à parler des langues disparues, à jouer du piano, toujours en quête du pas suivant, du mot suivant, avec des personnages à mes trousses. Tu peux tempêter, papa, me brûler au feu de tes yeux bleus, un jour je deviendrai toi : toi et personne d'autre, et surtout pas moi.
Papa ?... Tu ne vas pas me croire, papa.
- Je sais, la femme de ménage m'a prévenu.
- Je viens d'acheter un poisson rouge.
- ...
- En fait, papa, c'est moi qui ai le prix Goncourt cette année.
- J'ai du boulot, p'tit vieux, raccroche.
- C'est pas vrai pour le poisson.
- ...
- C'est juste vrai pour le Goncourt.
- la femme de ménage m'a...
- ... t'a prévenu, ça va !
Et soudain j'en ai marre de cette ombre confinée toute grouillante d'acariens à tête de mort, du souffle de papa, du souvenir de maman,...et ce fut la première et la dernière fois où, sans même raccrocher, pris d'une rage de perdition, je mis en pièces le téléphone encrassé d'une cabine publique comme s'il y allait de ma vie. Le Goncourt ! J'étais lauréat du Goncourt ! La honte ! Il ne me le pardonnerait jamais...
A quoi bon les reproches sous les soleils de minuit? "Papa, tu m'as fait peur" "P'tit vieux, tu m'as perdu mes dents de requin": exit la mémoire écœurée des impardonnables griefs de l'enfance, tout ça révolu, tout ça bon vieux temps absorbé dans la souffrance de maman.
étrange, certains jours, comme on peut s'attacher à l'homme qui vous reproche d'être né.
Je ne suivrai pas toutes les routes
de la terre
Et je ne verrais pas se lever au loin
Toutes les îles
Mais je crois comme en Dieu
Dans la splendeur des routes
Et je ne finirai pas
De m'émouvoir des hommes
(¨Papa, inédit)
(p. 227)
Il ne se baigna pas, ne se baigna plus jusqu'au retour en France, prétextant chaque matin une fatigue passagère. On les connaît, ces fatigues, elles ne font que passer. Elles nous emportent un jour ou l'autre. En passant.
1961 n'en est qu'à son premier jour, et moi j'en compte déjà quelques milliers qui me font l'effet d'une montagne de temps perdu.
Tu peux tempêter, papa, me brûler au feu de tes yeux bleus, un jour je deviendrai toi : toi et personne d'autre, et surtout pas moi.