A l'occasion de la parution de son nouveau roman, je me suis enfin décidée à me plonger dans
Nous les filles de nulle part d'
Amy Reed. Et plus j'avançais dans ma lecture, plus je me demandais ce qui m'avait poussé a attendre si longtemps avant de découvrir ce texte. En fait, je crois que c'est la peur! J'avais peur de ne pas pouvoir gérer toutes les émotions que ce roman allait déclencher en moi, ce qu'il n'a d'ailleurs pas manqué de faire.
Dans la ville de Prescott, personne n'a cru Lucy quand elle a accusé trois garçons de l'avoir violée. Personne sauf Grace qui arrive en ville après les fait, et vient d'emménager dans l'ancienne maison de Lucy. Grace qui découvre les appels à l'aide de Lucy gravés sur les murs de sa chambre, et le sexisme omniprésent à Prescott, notamment sous la forme d'un blog immonde. Mais Grace est bien décidée à faire cesser tout cela, en compagnie d'Erin et Rosina, et de tous ceux et celles qui voudront devenir des « filles de nulle part ».
Le féminisme tient une part importante dans mon éducation et mes convictions, et les violences bien trop souvent banalisées que subissent les femmes au quotidien de manière plus ou moins poussée font partie des choses qui me révoltent le plus dans ce monde. Aussi, j'ai été à la fois admirative et furieuse de la manière dont
Amy Reed parvient parfaitement à rendre compte de ces violences et de l'impunité qui les accompagne trop souvent. Admirative, parce que la justesse du ton est telle qu'elle rend l'histoire criante de vérité et de réalisme. Furieuse, parce que, bien trop souvent, j'ai reconnu des sentiments que j'ai moi même ressentis face au sexisme et à l'injustice.
Ce que j'ai aimé également dans ce roman, c'est l'absence de manichéisme. Ce ne sont pas les « gentilles filles » contre les « méchants garçons ». Ce sont des adolescents et des adultes qui décident de se battre contre des systèmes sociétaires archaïques et injustes, de choisir de fermer les yeux ou encore d'en prendre pleinement conscience. Il y a donc des garçons révoltés par la situation, des filles qui préfèrent se taire, des adultes dépassés ou complices, des filles qui veulent se battre et des garçons persuadés d'être au-dessus des lois. Ce panel de personnages met en scène les réalités d'un combat difficile, car il n'est pas seulement question de punir un acte isolé, mais de réformer une manière de fonctionner dans son ensemble.
J'ai beaucoup aimé le fait que de très nombreux sujets sont évoqués dans ce roman, de nombreuses réflexions proposées par rapport à ce que sont vraiment les violences sexistes et les différences d'éducation, notamment sur le plan sexuel, qui peuvent exister entre hommes et femmes. Il est question de viol, bien sûr, l'acte de violence sexuelle suprême, mais aussi de masturbation, de plaisir, de désir, de peur d'être traité de puceau, de prude, de pute, selon qu'on se sente prêt ou pas à « passer à l'acte ». Il est question des mots, des regards, des attouchements, de la responsabilité qu'on fait peser sur les filles lorsqu'elles se font agresser, si elle ne se protègent pas pendant l'acte, de la pression qu'on met sur les garçons pour être performants. C'est un roman complexe et complet, qui prouve une fois de plus qu'il n'est pas seulement question de viol, mais bien d'une société terriblement sexiste qu'il faut réformer.
Le roman est principalement porté par trois voix, mais d'autres se font également entendre. On a le plus souvent le point de vue de Grace, jeune fille qui cherche sa voix et sa voie, de Rosina, coincée entre les attentes de sa famille et ses désirs (aussi bien sexuels que concernant ses choix de vie), et de Erin, autiste Asperger que les sentiments terrifient. Mais il y en a d'autres, dans les chapitres intitulés « nous » : des voix de filles et de garçons qui s'interrogent sur leur place dans une société clivante, sur leurs orientations sexuelles, et leur sexualité en général, nous rappelant que, quelles que soient nos vies et nos origines sociales, ces questions nous concernent tous.
Par rapport à ce que j'ai ressenti à la lecture de ce roman, je ne vais pas vous mentir, ça a été plutôt violent. J'ai été prise d'une rage folle par moment face aux injustices subites, à l'impunité dont bénéficient certains actes, à la fermeture d'esprit de certains. Mais j'ai également été touchée par les moments de grâce, de solidarité, par les petites et les grandes victoires. Et plus que tout, j'ai été bluffé par la fin, qui nous rappelle que le combat est loin d'être terminé, que pour une bataille remportée dix sont perdues mais que cela vaut malgré tout la peine de continuer à se battre parce que, petit à petit, les choses changeront, une victoire à la fois.
C'est un roman très fort, très puissant et très juste que nous offre
Amy Reed. Un roman réaliste et dur dans un monde où les femmes sont encore bien trop souvent traitées comme des objets, et les hommes jugés selon leurs performances sexuelles. Mais c'est également un roman qui traite de la force du collectif, de l'entre-aide, entre filles bien entendu, mais intersexe également. de mon point de vue, ce roman s'adresse aussi bien aux filles qu'aux garçons, pour débattre, réagir, prendre conscience et permettre au monde de changer un peu plus chaque jour.
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