Voici encore un roman que je n'aurais pas découvert sans les 68 Premières fois !
L'étrange nous saisit dès les premières pages, là où débute le livre alors que l'histoire n'est pas commencée. Une portée de notes, comme une mélodie qui nous poursuivra tout au long de la lecture, que l'on entendra comme l'écho lointain d'une musique dans chaque pièce de ce château.
Le château c'est cette grande maison où vivent Octave, le narrateur, et sa soeur Véra, retirés du monde, uniquement occupés l'un de l'autre et de leurs lectures. Chaque jeudi Octave se rend en ville pour se fournir en livres. le jeudi 31 mars à 14h32, il aperçoit sa "soeur dans le bus 39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines, en passant par l'Hôtel de Ville." Alors qu'il attend le bus n°35, il voit sa "soeur qui ne prend jamais le bus, qui n'a jamais pris le bus, qui ne prendra sans doute jamais le bus de sa vie". Il la voit, à 14h32, dans le bus n°39.
Mais est-ce bien sa soeur ? Est-ce bien le bus 39 qui va de la Gare à la Cité des 3 Fontaines en passant par l'Hôtel de Ville ? de retour au château, il retrouve Véra qui lui dit n'être pas sortie. Véra ne sort plus jamais depuis vingt ans, depuis la mort de leurs parents dans un accident de voiture. Et Véra lui affirme qu'il ne peut s'agir du bus n°39. Véra brutalement jette le doute sur tout ce que voit Octave, et, par rebond, sur tout ce qu'il raconte, donc sur toute l'histoire, donc sur tout ce que lit le lecteur.... le lecteur qui ne sait plus à qui faire confiance.
Ce château est-il bien un château ou une construction imaginaire de l'esprit dérangé d'Octave ? Ou encore la métaphore de la relation incestueuse entre Véra et lui ? Ou un hôpital psychiatrique où Octave est enfermé ? Qui est vivant ? Qui est mort ? Qui est fou ?
Octave narre son histoire de manière obsessionnelle, en litanies répétitives qui créent une nasse, une toile d'araignée labyrinthique où semble être emprisonné son esprit.
L'intertextualité du roman nous incite à l'interpréter comme un hommage aux romans gothiques du XIXème siècle. de ces romans qui nous laissent perplexes, intrigués devant l'absence de réponse et devant cette "inquiétante étrangeté" freudienne reprise par la littérature fantastique. Ce sont peut-être les photos de
Thomas Eakins, placées en fin d'ouvrage qui nous apportent une possible clé d'interprétation. Sorties du contexte du roman d'
Emmanuel Régniez, elles ne montrent que des portraits et des scènes quotidiennes de la fin du XIXème siècle. Mais placées à cet endroit, tout se passe comme s'il y avait contamination mutuelle : elles nous apparaissent nimbées de l'atmosphère mystérieuse que le roman fait rejaillir sur elles...
Si bien que j'ai lu "
Notre château" comme un habile exercice de style, très bien mené et écrit, qui instaure une complicité avec le lecteur consentant. Un jeu intellectuel intéressant mais sans réel enjeu finalement.