C'est au départ une rencontre provoquée par le croisement de regards un peu trop éloquents ou expressifs pour laisser les protagonistes de cet échange indifférents. David Kolski, conducteur de travaux dans le secteur du BTP rencontre Victoria de Winter, DRH d'une multinationale, dans une galerie marchande. La disparité des situations et des statuts sociaux des deux personnages est immédiatement soulignée dès les premiers épisodes de ce que l'on ose appeler par commodité une liaison.
L'intérêt du roman déclinerait rapidement si l'auteur s'était limité à la description des phases successives de cette relation entre deux individus appartenant à des mondes si éloignés.
Au-delà de cette exposition d'un tel événement, le roman souligne par exemple la puissance de l'imaginaire dans la vie amoureuse, qui est omniprésente dans le vécu de David et de Victoria. Après que Victoria a qualifié « d'étincelle » le premier contact, David se livre à une analyse de ses premières sensations : « Comme dans le cas d'un rêve, ce n'est pas ma mémoire qui se rappelle les détails de cette histoire mais mon imaginaire(…), sur un plan plus essentiel que celui du souvenir, plus intime et plus universel, avec le rayonnement d'un mythe. »
Cette puissance donne à David un supplément de dynamisme et d'énergie pour accomplir sa mission, la construction d'une tour gigantesque à La Défense : « j'ai accompagné l'achèvement du gros oeuvre comme on se représente que les compositeurs terminent leurs symphonies , en transe, emporté par un jaillissement insensé d'énergie, d'inspiration, de confiance, de puissance physique et de ferveur créatrice. »
La description de leurs rapports amoureux, de plus en plus torrides, de plus en plus addictifs, n'efface pas la mise à nu du « système Victoria » , que David croit pouvoir résumer à l'issue de l'un de leurs rapports sexuels , toujours dévoreurs d'énergie : « Telle était le système qui fondait l'
existence de Victoria :ne jamais être à la même place, se segmenter dans un grand nombre d'activités et de projets, pour ne jamais se laisser enfermer dans aucune vérité-mais être à soi-même , dans le mouvement, sa propre vérité. »
Victoria est cependant loin d'être un personnage caricatural : elle n'épouse pas le profil classique des gestionnaires, elle a suivi des études de philosophie dans sa jeunesse, marquée par le cosmopolitisme culturel, née à Barcelone d'une mère anglaise et d'un père allemand.
Le roman est plein d'observations sur le mode de vie des « happy few » de la mondialisation heureuse, celui des cercles dirigeants au périmètre très circonscrit, sur la liberté de mouvement que donne l'argent, sur les compensations dont jouissent les milieux dirigeants aux contraintes de leurs fonctions.
C'est aussi l'illustration de la toute puissance du désir comme moteur de conduite lorsque l'on dispose des moyens de le concrétiser .Ainsi David décrit-il cette porosité entre la femme de pouvoir et la femme privée : « ( …) il était à ce point difficile pour elle-même de distinguer la femme intime de la femme de pouvoir ;l'exercice de son métier nécessitait à ce point de mêler le mental au technique, la sincérité au calcul, la vérité de l'être au mensonge de l'entreprise que ces deux pôles qu'elle fusionnait ne formaient plus qu'une seule et même entité :l'entité Victoria de Winter ».
Livre dérangeant, fascinant, complexe dans la restitution de la puissance de la séduction, de l'imaginaire, et du pouvoir. Cette mixture est peu fréquente en littérature.
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