AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,97

sur 713 notes

Critiques filtrées sur 5 étoiles  
°°° Rentrée littéraire 2023 # 14 °°°

« Il n'y avait plus rien à dire, sinon qu'Isor était étrange. Un adjectif comme un naufrage. »

Isor n'entre pas dans les cases. C'est une enfant différente, qui ne parle pas, ne joue pas, n'interagit pas avec ses parents. Même le marathon d'expertises ne permet pas de poser un diagnostic clair, au point que les parents décident lorsqu'elle a six ans de la retirer du monde, de ne pas la scolariser et de vivre avec elle en huis clos.

« Maintenant, ce sera nous – rien que nous trois. »

Dans la première partie, ce sont les parents, en de courts paragraphes intitulés « père » ou « mère » qui nous racontent leur fille désormais âgée de treize ans. Leur quotidien douloureux avec leur fille dont ils ne comprennent pas les colères chroniques et son silence oppressant. Leur désarroi et leur souffrance de ne jamais recevoir l'intériorité d'Isor qui s'échappe en permanence d'eux, de ne pas pouvoir accéder à son être, mais aussi leur amour pour Isor :

( Mère ) « C'est dans le mouvement qu'elle se révèle, qu'une grâce inexprimable et malhabile se met à l'habiter. Isor est belle lorsqu'elle est vivante – et heureusement pour elle, elle l'est tout le temps. Se rend-elle compte de la chance qu'elle a ? de l'étonnante perfection qui lui incombe ? Elle peut se rouler par terre, se coincer les cheveux dans le siège de la voiture, pleurer, mettre des habits trop grands, se tacher de sauce tomate, se prendre une averse, elle sera toujours magnifique, inconditionnellement. Pire que cela : le désordre lui va bien. Elle le porte comme un bijou. L'effervescence, le hasard sont ses parures qu'elle renouvelle à l'infini. »

« Lorsqu'elle dort, on peut presque voir sur sa peau de lait les ombres de ses rêves qui passent. C'est pour cette raison que je reste près d'elle ; et alors j'imagine tout ce à quoi elle pense. »

Même si de nombreux passages sonnent très justes sur le vécu et ressenti de parents d'enfants différents, La Colère et l'envie n'est pas un roman hyperréaliste sur le « handicap ». Il tient bien plus du conte, notamment à partir de la deuxième partie lorsqu'un nouveau narrateur fait irruption dans le récit : le vieux voisin Lucien qui va nouer une amitié fusionnelle assez inouïe, quasi un amour fou, avec la mystérieuse Isor.

La dernière partie est juste sublime, s'évadant hors du monde réel tout en y étant profondément rattachée. Elle m'a donnée la chair de poule tellement la pureté de la langue inventée par Alice Renard pour Isor, la mutique qui éclot au monde, est belle avec ses fautes de syntaxe et « erreurs » de vocabulaire qui illuminent les phrases d'une poésie solaire irradiant à travers les pages :
« Suis en éclosion. Me sens pleine de bourgeons qui s'entrelèvrent. Me semble être un arbre fruitier que les fleurs commencent à donner des trésors. Je porte toutes les promesses de la terre à bout de mes bras. Je m'avance tel un jardin, tel un côteau, à la rencontre du printemps. Je cours. Je vais mûrir, je vais me rouler dans ces fleurs pour la vendange. Oh quelle saison ! »

J'aurais voulu citer quasiment toutes les vingt dernières pages qui m'ont bouleversée aux larmes. Ce merveilleux roman fait un bien fou, Isor s'ouvrant à la vie, au monde, à la réconciliation. Sur les pas de la jeune fille, on apprend à écouter les silences de ceux qui ne s'expriment pas avec les normes et les codes de la société.

Une premier roman lumineux, coup de coeur évident, qui se fait hymne à l'hypersensibilité et à la neurodiversité avec une originalité et une force réellement surprenantes qui met de la magie dans les mots. Grâce, beauté et liberté.
Commenter  J’apprécie          15636
Isor est différente des autres enfants de son âge. de quel handicap souffre-t-elle ? On ne le saura pas vraiment mais qu'importe, car, quelle que soit l'origine de la différence, elle est source d'incompréhension et de rejet. Elle vit dans sa bulle, protégée du monde extérieur par des parents aimants mais dépassés par leur fille
« Alors, à son âge, à ses treize ans, que sait-elle ? Rien qui vaille. Elle ne sait pas que la terre est ronde, elle ne sait pas ce qu'est un adjectif, elle ne sait pas comment on compte les heures, elle ne sait pas ce que c'est qu'un père ni que la génétique, normalement, nous rassemble ».
La vie de ces trois-là se déroule en vase clos, avec ses rituels. Plus de vie sociale pour ne pas être jugé, et Isor est déscolarisée puisqu'elle n'apprend rien. Pour ne pas la brusquer, les parents lui laissent beaucoup de liberté. La nuit, elle fugue, mais revient toujours, ramenant de ses maraudes de petits objets glanés ici et là. Pourquoi s'éloigne-t-elle de sa famille, comme une urgence à vivre autre chose. La mère dit :
« Quand elle disparaît, je crois, c'est pour être seule. Seule avec son chagrin. Elle part avec, pour l'examiner, l'accueillir et le vivre complètement. Elle le sonde, elle y plonge. Et elle veut le faire loin de nous. »
Quant au père, il ne s'inquiète pas, car elle ne va jamais très loin.
Un jour, tout bascule lorsque Isor se prend d'amitié pour leur voisin Lucien, un homme âgé et secret. Entre eux s'installe une connivence que jalouse la mère mais qui soulage le père. Peu à peu, Lucien sort de sa solitude, il attend avec ravissement la visite d'Isor.
« J'aimerais qu'elle pense toujours à moi avec douceur.
Silence. Silence et apprivoisement. Surtout, que cela dure, que cela dure longtemps. »
L'accident du vieil homme va provoquer une fugue plus lointaine chez Isor et l'on découvrira peu à peu la raison de son voyage en Sicile et le secret de Lucien. Elle est sur le chemin de sa libération

Ce roman choral donne la parole en alternance au père, à la mère dans un insoluble dialogue. On sent leur désarroi, leur amour aussi pour cette gamine difficile qui sème le chaos mais terriblement attachante. Puis, dans une seconde partie, il y a la voix de Lucien, toute de tendresse et de complicité avec cette gamine sans règles et sans tabous qui lui offre son amour avec spontanéité. On n'entendra la voix d'Isor que dans la troisième partie, lorsqu'elle écrit à ses parents pendant sa fugue. Et cette voix est étonnante de maturité et de lucidité. Avec ses mots maladroits, elle tisse des phrases poétiques lourdes de sens et c'est très émouvant d'assister à la révélation d'une Isor qui s'ouvre au monde et qui trouvera sa place dans la vie malgré ou grâce à sa différence.
Ce premier roman qui, parfois, prend l'allure d'un conte, est magistral. Je l'ai lu d'une traite et il m'a éblouie. Un véritable coup de coeur.


Commenter  J’apprécie          1053
Si je devais vous conseiller, un roman de la nouvelle entrée littéraire, se serait celui ci, sans aucune hésitation. Un premier roman magistrale, magique, époustouflant, bouleversant une véritable pépite, pas assez de mots pour vous dire mon ressenti. L'auteur nous envoûte dans son histoire, Isor est une enfant étrange, loin de la normalité,loin du stéréotype, d'une jeune enfant , Elle ne communique pas, ne sait pas lire et écrire, malgré tous les examens, rien de négatifs ne ressorts, ses parents décident de la garder avec eux , deux êtres opposés, une mère aimante qui ferait tout pour sa fille, et un père détestable,, une enfant surprotéger, Isor va faire la connaissance de Lucien, âgé de 70 ans, et sa vie va totalement changer, Elle va s'épanouir, Deux êtres qui étaient fait pour se rencontrer, un rituel va vite s'installer, apportant une source de bonheur,
La conception du livre est intense, Nous naviguons entre les pensées de la mère et du père, le relationnel avec Lucien et une nouvelle vision d'Isor,
La plume de l'auteure est hypnotisante, subtile , sensible et poétique ,Une fluidité dans la lecture, qu'il est difficile de poser son livre et le reprendre plupart, L'auteure a un vocabulaire développé , elle place les mots, avec justesse là où il faut donnant ce coté bouleversant du récit,
Un roman qui m' a remué, scotchée, et chamboulée, Une histoire qui perdura dans ma mémoire,
Une véritable pépite,
Commenter  J’apprécie          1057
Il y a quelques semaines je concluais une critique en disant, voilà pourquoi je lis. Je commence aujourd'hui celle-ci en disant, voilà pourquoi je suis sur Babelio. Au vu du titre et du résumé, je n'aurais jamais lu ce roman, peu attirée par ce thème que j'ai l'impression de voir et revoir de l'enfant sauvage. Pourtant quelques défricheurs de rentrée littéraire sur ce site m'avaient alertée, la critique de Michel (Michle69004) m'a définitivement décidée.

L'histoire n'est pas l'important, comprendre en détail n'est pas l'important, nommer la maladie, handicap, déficit ou autre qualificatif de l'état d'Isor n'est pas l'important.. Il faut juste lire les mots magnifiques, quelle que soit la partie, quel que soit le narrateur et savourer. Et faire taire la petite voix, n'est-ce pas Michel ;-)

J'ai pensé à une autre autrice en lisant ce roman, qui m'avait impressionnée de la même manière, lors de la rentrée de Janvier, Perrine Tripier pour Les guerres précieuses, même si les thèmes des deux romans sont très différents. C'est dans les deux cas un premier roman d'autrices encore très jeunes. Ces deux jeunes femmes sont époustouflantes de maturité. J'admire leur capacité à rendre compte de sentiments de personnes ayant beaucoup plus que leur âge, à partager des expériences qu'elles n'ont pu encore approcher, et dans les deux cas avec une écriture fabuleuse, dont on pourrait presque citer une page sur deux.

Les mots d'Alice Renard m'ont touchée, je me suis arrêtée plusieurs fois pour en relire certains, souvent à voix haute. Ils sonnent si juste.
J'ai aimé les mots du père qui traduisent si bien son impuissance, sa lassitude aussi, son regret d'une vie autre. J'ai aimé les mots de la mère qui essaye de communiquer avec sa fille, qui veut croire que celle-ci communique avec elle. J'ai aimé leur désir de cesser de soumettre leur fille à d'innombrables rendez-vous médicaux, tous aussi inutiles. Dans cette première partie, les mots du père et de la mère alternent, chacun avec leurs particularités. Une chose est certaine, même si c'est moins immédiatement visible chez le père, ils aiment leur fille malgré tout.
Ensuite, c'est Lucien qui parle, Lucien le voisin, déjà vieux, jadis photographe, à la vie bien réglée, pour ne pas laisser place à l'inconnu. Et pourtant il va accueillir Isor, l'amitié, l'amour entre eux va être une amitié d'élection. Ces deux là se sont choisis sans se connaitre.
« J'ai toujours distingué deux types d'amitié. Les amitiés de circonstances et les amitiés par élection. La différence, la hiérarchie que j'établis entre les deux ne se dit pas en termes d'intensité mais plutôt de prestige moral. Je m'explique. Les amitiés de circonstances (le principe est également valable pour l'amour) se nouent sous une certaine forme de contrainte : nous sommes camarades de classes, collègues, colocataires, voisins. C'est à force de se voir que nous devenons amis. Par la force des choses. Je ne nie pas qu'il faille toutefois un terrain fertile pour que ce genre d'amitié s'établisse – ainsi, nous ne sommes pas amis avec tous nos voisins. Mais la proximité quotidienne enclenche voire force un processus qui, autrement, aurait pu ne jamais advenir. Chaque jour ou presque, le quotidien partagé alimente les conversations et il n'est besoin d'aucun effort pour savoir où et quand se voir, ou quoi se dire. Ces amitiés ou amours de circonstances remplissent nos vies et je ne les méprise pas. Mais il me semble qu'un type de relation supérieure existe : celle par élection. On se croise un jour et, entre nous, les évènements naturels devaient s'arrêter là. C'est nous qui décidons de faire entrer l'autre dans notre vie. Certains qu'il s'agit là d'une chose d'importance. […]
Dans ton cas, ma toute chérie, j'ai fini par comprendre que tu ne venais pas par une quelconque facilité – nous avions beau être voisins, en treize ans, je n'avais jamais vu le moindre épi de tes tresses. Non, non, tu m'avais choisi. »

Je ne vous en dirai pas plus sur la troisième partie et qui en est le narrateur. Juste que les mots y sont toujours aussi forts et aussi justes. Il faudra lire pour savoir. Et croyez-moi, vous ne le regretterez pas.
Commenter  J’apprécie          7324
Immense coup de coeur pour ce roman de la rentrée littéraire 2023 que je n'avais pas lu encore.

Isor naît dans une famille d'apparence normale, mais elle n'est pas comme les autres enfants. Elle ne parle pas, manifeste de grandes colères très petite, s'enfuit du domicile familial où ses parents s'organisent pour la garder. Autisme ? Schizophrénie ? Surdité ? Prostration ? Toutes les hypothèses sont étudiées mais aucune n'est retenue par les médecins qui se succèdent pour tenter de qualifier son mutisme apparent.

Ce sont ses parents qui parlent d'elle, tour à tour. En quelques fragments successifs, ils parlent de leur désarroi devant cette fille qui grandit, et qui ne fait rien comme les autres enfants. Elle ne prononce aucun mot en français, mais est capable de reproduire à l'oreille de nombreuses langues étrangères.

Un jour que la mère est vraiment dans l'obligation de la laisser, elle la confie aux bons soins de son voisin septuagénaire, un certain Lucien. Une sorte de coup de foudre surgit entre eux, si cette expression ne paraissait pas ridicule pour une relation entre une fille de 13 ans qui n'a jamais prononcé un mot, et un homme de 76 ans seul, abattu de tristesse. On parlera alors peut-être plus volontiers d'alchimie entre les deux êtres, notamment autour de la musique qui est la seule consolation de Lucien.

C'est lui qui tient le stylo dans cette seconde partie du récit, décrivant les entrevues quotidiennes avec celle qui fait refleurir sa vie d'homme esseulé.
Une troisième partie va faire entendre la voix d'Isor au travers de lettres que la fille va écrire à ses parents au quotidien. Enfuie à l'occasion d'un accident que subit Lucien, elle a rallié l'Italie pour des raisons qui nous seront dévoilées peu à peu. Il y sera question de deuil, de chagrin, mais surtout de raccommodage, de réparation ou de résilience, peut-être. Et il y sera surtout question d'une naissance au langage.

Mais raconter l'histoire de « La Colère et l'Envie » n'est certainement pas suffisant pour expliquer le plaisir qu'on éprouve à découvrir la plume de Alice Renard. D'une incroyable maturité, alors qu'elle n'a que 21 ans, elle sait parfaitement faire naître une émotion profonde chez ses lecteurs.

Ce fut le cas pour moi en lisant les lettres d'Isor – de la poésie à l'état pur.
A l'image de celle-ci :
« Père, mère
Ces dernières semaines chez vous, écarlates. La colère bouffe les tripes. Me secoue m'écume me séisme – hors de tout. A l'extérieur de ma tristesse. Seulement dans ma colère je sors de ma tristesse. Lucien qui faiblit, vulnérable. La colère. de sa faiblesse. La colère de sentir chavirer les gens qu'on aime. Il mérite la robustesse pour toujours Lucien. »


D'une immense sensibilité, la langue d'Isor (ou d'Alice Renard) m'a prise aux tripes moi aussi. Alice Renard touche si juste qu'on en ressort remué, troublé, en un mot - ému. J'avais repéré ce livre de la rentrée littéraire, avait attendu quelques mois avant de l'ouvrir à mon tour, et la magie a opéré en moi, j'en suis ressortie bouleversée. Avec l'envie de partager ce coup de coeur avec tous mes amis Babeliotes – plusieurs l'ont déjà lu et partagé avec enthousiasme – j'invite chaleureusement les autres à le faire.

Lien : https://versionlibreorg.blog..
Commenter  J’apprécie          5619
Isor est une enfant singulière. Son mutisme, son intransigeance font penser au spectre autistique mais elle résiste à tous les diagnostics, faisant passer ses parents de la perplexité et l'étonnement au désarroi. Cette fille qui vit tout avec autant d'intensité n'est pas de tout repos et le foyer se replie petit à petit sur lui-même. La rencontre avec Lucien, un voisin septuagénaire, va bousculer cet équilibre fragile…

D'autres l'ont dit, c'est incroyable d'écrire comme Alice Renard à 21 ans seulement. Je ne parle pas seulement de la limpidité presque poétique de ses mots, mais de la justesse avec laquelle elle se coule dans la peau d'une petite fille hors-normes, de ses parents ou d'un homme vieillissant. La voix de chacun s'impose d'emblée. J'ai été notamment touchée par la perspective des parents : la curiosité ressentie vis-à-vis de leur enfant, leur confusion de constater qu'elle n'est pas comme ils l'attendent, le bouillonnement des sentiments de culpabilité, de colère et d'acceptation et pourtant la tendresse qui affleure à chaque instant, leur solitude et leurs liens minés par les épreuves. Mais aussi la difficulté de voir son enfant grandir et se détacher, d'accepter de le laisser voler de ses propres ailes. Comment l'autrice imagine-t-elle tout cela alors qu'elle sort elle-même à peine de l'adolescence ?

Le roman donne à réfléchir au manque d'ouverture de nos sociétés à l'égard des personnes qui déroutent. le passage où le père liste les réflexions reçues de part et d'autre de leur entourage à propos d'Isor serait franchement drôle si ce type de réactions n'engendrait pas autant de souffrances.

N'allez pas imaginer que c'est une lecture pesante. Comme le titre le laisse entendre, Isor a quelque chose de profondément intrigant qui éveille la curiosité. On pressent une part de lumière qu'il faudrait savoir apprivoiser. Je n'en dis pas plus pour vous laisser le plaisir de vous laisser surprendre.

La narration chorale, particulièrement réussie, sublime le personnage d'Isor, éclairé de plusieurs perspectives qui dessinent le portrait d'une fille insaisissable.

Alice Renard a trouvé sa vocation et signe un premier roman incandescent, ode aux mots qui bâtissent des ponts entre nous et les autres !
Lien : https://ileauxtresors.blog/2..
Commenter  J’apprécie          569
Il parait que c'est un O.L.N.I.
C'est à la mode, cette histoire d'objet littéraire non identifié, mais celui-ci a obtenu le surprenant Prix Méduse 2023. Pourquoi pas ? Ça convient tout à faire à ce livre étrange, écrit par la jeune Alice Renard. Tout le petit monde de la littérature connait désormais Alice, 21 ans, prodige neuro-atypique atteinte de précocité et d'hypersensibilité. Son ultra-médiatisation (deux pages dans le monde, des chroniqueurs sidérés…) a failli la faire passer pour un phénomène de foire.
Il faut absolument mettre tout cela de coté même si une petite voix me dit:
« C'est juste pas possible, on ne peut pas rentrer dans la tête d'une autiste, de ses parents, d'un vieux et d'une ado atypique. Mais c'est qui cette Renard ? Un nouveau Mozart de la littérature ? » La petite voix me souffle d'autres suggestions, encore plus méchantes. Alors je décide de l'étouffer définitivement et de prendre le livre comme il est, comme il vient, comme je le ressens.
Et c'est plutôt ébouriffant.
J'adore l'idée du triptyque.
Un:
« père » et « mère » racontent à tour de rôle leur désarroi face à Isor, leur fille « étrange » qu'ils comprennent si peu. Ils racontent les colères, les crises clastiques, son désordre effarant, le chaos qu'elle sème et qu'il tente de récolter comme ils peuvent, avec des cassettes VHS ou des marathons de télé japonais.
Ils racontent les énormités diagnostiques, les aréopages de savants, de soignants.
Ils racontent leur décision : « Désormais ce sera nous ». Isor ne sera jamais scolarisée…
Ce père d'origine italienne (Camillio) est spécialisé dans le lavage de vitres des grandes tours, la mère (Maude) est pompier. Je le précise, ce n'est pas commun.
Ils s'enferment donc dans un huis-clos mortifère qui durera jusqu'à l'adolescence.
La petite voix dans ma tête me susurre quand même : « Elle est juste totalement barrée cette gamine, j'en ai déjà vu quelques-unes comme ça etc. »
Les parents ont vidé tout leur stock de tendresse, leurs réserves sont épuisés. Moi aussi d'ailleurs. Et puis il se produit dans ma lecture une sorte de saut quantique.
Deux:
Lucien raconte Isor et ils tombent raides dingues l'un de l'autre.
Lucien est un voisin, c'est surtout un presque vieillard.
Et là je sors complètement de ma lecture « clinique »:
C'est une histoire, c'est un conte. Un conte hyper-réaliste et totalement baroque.
Ici, c'est le corps qui pense et qui ne se trompe jamais. C'est furieusement beau.
Trois:
J'accède au langage d'Isor. J'entends enfin sa langue gorgée de poésie dys-syntaxique.
Le travail d'Alice Renard sur les lettres d'Isor est absolument jubilatoire.
Il s'en dégage une joie solaire qui m'a enchanté et que je porte encore.
Mais il a fallu faire taire la petite voix en moi qui m'isolait du merveilleux et de l'inattendu.
Une petite réserve tout de même : le titre, qui fait un peu développement personnel...
Commenter  J’apprécie          5035
Suite à trois déplaisirs de lecture, je suis apaisée après deux jours passés à m'abandonner dans le premier livre d'Alice Renard.
Maude et Camillo sont les heureux parents de la petite Isor. Heureux...enfin pas tout à fait. Si la petite est belle, elle est bizarre. Après moult examens dans toutes les spécialités, après des années passées dans les hôpitaux, après des diagnostics farfelus, la conclusion est qu'Isor n'a rien d'anormal...! Conclusion : elle POURRAIT apprendre mais qu'elle ne le VEUT pas. Son mutisme, ses colères, ses longs silences, sont inexplicables. Pour ne pas la transformer en zombie sous médicaments ils décident de fermer la porte et de gérer... comme ils peuvent.
Un jour ils doivent faire garder Isor, très peu de temps, mais il le faut. Ils frappent à la porte du voisin d'en face, le vieux Lucien. Ils sont gênés de lui confier leur fille qui peut criser et tout chambouler. Mais voilà, Iso et Lucien débutent une longue amitié, non, plutôt un amour hors-norme!
Ils se comprennent dans leur silence. Lucien repense à " cette demande impérieuse, impolie mais si courageuse du Petit Prince: -Apprivoise-moi!Apprivoise moi! dit le renard. - Apprivoise-moi!, invitait Isor. Il faut être très patient, continue le renard. Tu t'assoiras d'abord un peu loin de moi, comme ça, dans l'herbe. Je te regarderai du coin de l'oeil et tu ne diras rien. le langage est source de malentendus. Mais chaque jour, tu pourras t'asseoir un peu plus près...
Et c'est comme ça que Lucien va s'approcher d'Isor.
Lucien a cessé depuis longtemps de se réjouir, c'est un homme triste. Isor va tout changer... Je n'en dis pas plus.
Très jeune auteure, Alice Renard est révélée précoce très tôt. Si ce roman parle d'un petite fille pas comme les autres, ce n'est pas pour autant un roman autobiographique.
Il y a trois parties. La première alterne entre la voix de la mère et celle du père, ce qui nous permet de comprendre leur ressenti à chaque étape de leur vie à trois.
La deuxième partie donne la parole à Lucien (c'est très beau) et la troisième...vous verrez !
Le style est bon, souvent poétique, le rythme est très maîtrisé.
Bonne lecture !!!
PS: Une phrase que j'ai aimé "L'amour a sa grammaire. Et comme toutes les langues, sans la pratiquer on l'a perd. Au fil des mois , j'ai réappris l'Absence, l'Attente, le Comblement, la Dépendance, la Fête et la Rêverie, le Ravissement, le Rendez-vous, la Solitude et le souvenir. Tout un abécédaire que je potasse studieusement. J'aime être cet écolier des sentiments.
Dis, dis mon Isor, reviendras-tu demain après - midi ?"



Commenter  J’apprécie          3413
Eh bien, je suis toute retournée par cette lecture tout juste terminée... IL me fallait ouvrir d'autres portes pour d'autres horizons après le dernier Leonardo Padura. Je suis contente car c'est Alice Renard qui a attiré mon attention ! Cette jeune et déjà talentueuse auteure est parvenue, avec beaucoup de délicatesse et de tendresse à nous faire entrer dans le monde D' Isor. Mais qui est Isor me direz-vous ? C'est une enfant pas comme les autres, qui interpelle les uns et les autres tout comme les médecins qui s'intéressent à son "cas" pour très vite la rejeter...
C'est Lucien, le voisin qui va permettre à cette jeune adolescente de lui ouvrir la vie, comme elle lui écrit bien plus tard.
Une histoire touchante à souhait, magistralement construite, hors des normes habituelles à l'image de son personnage principale.
Une révélation !
Lien : https://www.instagram.com/un..
Commenter  J’apprécie          330
"La colère et l'envie" est un roman à trois voix que l'on entend successivement.
*La voix des parents d'Isor, qui expliquent, racontent qui est leur fille ou plutôt celle qu'il croit être leur fille. Leurs souvenirs alternent en de courtes prises de paroles comme des répliques de théâtre. Pour eux, Isor est atteinte d'une forme de débilité, elle est totalement mutique et fait des crises de colère terriblement violentes. Ils ont subi l'errance médicale jusqu'aux 6 ans d'Isor puis ont décidé de se replier sur eux-mêmes, à trois, enfermant Isor dans son monde par peur de ce qui pourrait lui arriver à l'extérieur.
* La voix de Lucien, retraité de 76 ans, à qui les parents d'Isor doivent la confier quelques heures qui suffisent à créer un lien incroyablement fort entre ces deux êtres solitaires. Leur amitié va permettre à Isor d'éclore comme une fleur et à Lucien de retrouver la joie, le bonheur.Contrairement aux parents, Lucien fait confiance à Isor
* La voix d'Isor, à travers les lettres qu'elle envoie à ses parents alors qu'elle part, sans les prévenir, pour l'Italie après que Lucien a fait un AVC. Elle écrit, elle parle, elle est libre.
Ce roman, tout en émotion et en sensibilité prend aux tripes et fait s'interroger; l'envol d'Isor se fait loin de ses parents; est-ce à dire que des parents perdus face à l'autisme d'un enfant, par exemple, font plus de mal que de bien à le protéger des autres, de la société? Les rencontres que fait Isor au cours de son périple vers Catane sont toutes bienveillantes; mais est-ce la réalité des prix? Il n'empêche qu'on a envie de croire à cette belle histoire, à la force de l'amour et de l'amitié.
Les lettres d'Isor, qui inventent un langage qui leur sont propres, sont magnifiques, comme une prose poétique, très évocatrice, musicale. les lire à voix haute leur donne toute leur force.
Ce primo-roman sort totalement des sentiers battus et nous offre une rencontre comme on aimerait qu'il y en ait plus souvent, celle de deux êtres qui sont hors cadre, hors des normes instaurées par la société mais qui sont ouverts à l'autre différent.
Commenter  J’apprécie          2912




Lecteurs (1703) Voir plus



Quiz Voir plus

Famille je vous [h]aime

Complétez le titre du roman de Roy Lewis : Pourquoi j'ai mangé mon _ _ _

chien
père
papy
bébé

10 questions
1431 lecteurs ont répondu
Thèmes : enfants , familles , familleCréer un quiz sur ce livre

{* *}