Hexam place, l'une des rues les plus huppées de Londres et peut-être du monde entier. Dans de splendides maisons bourgeoises vivent des familles aisées et pour qu'elles ne se préoccupent pas trop des contingences bassement matérielles, il y a à leur service tout un personnel indispensable à leur bien-être, nurse, chauffeur, femme de ménage, jardinier, jeune fille au pair, qui logent dans les "basements" des grandes habitations imposantes de leurs patrons. Dans un élan de solidarité de classe, ils créent la société de Sainte-Zita, sainte patronne des serviteurs et des domestiques qui donnait sa nourriture et ses vêtements aux pauvres, pour se retrouver, s'entraider, évoquer les problèmes inhérents à leur condition, envisager des sorties communes, tout ça en buvant quelques pintes dans un pub.
Penser que
Ruth Rendell va rédiger un traité sur l'exploitation des masses laborieuses par leurs employeurs, c'est mal la connaître, ce n'est pas son genre de sombrer dans les clichés usés jusqu'à la corde, elle aime trop s'amuser à tordre le cou aux idées reçues et aux préjugés de toutes natures. Dans
Bon voisinage, les méchants ne sont pas ceux que l'on croit, les victimes non plus.
Sans en dire davantage pour ne pas déflorer l'intrigue, je m'attarde un instant sur Rabia, l'un des plus beaux personnages créés par
Ruth Rendell dans ses derniers romans. Jeune femme d'origine pakistanaise, de confession musulmane, elle a, après un mariage arrangé, perdu deux jeunes enfants des suites d'un gêne lié à la consanguinité, avant que son mari décède à son tour. Effacée, réfléchie, courageuse, respectueuse des traditions autant anglaises que pakistanaises, elle reporte sur Thomas, le plus jeune des enfants dont elle a la charge tout l'amour qu'elle n'a pu donner aux siens. Rabia qui lors d'un week-end dans une résidence secondaire de ses patrons, croise le jardinier : “Le jardinier, lui, elle l'avait croisé lors de sa visite précédente. Il avait alors fixement contemplé sa longue robe noire et son hijab, mais cette fois, il s'était fait à son apparence et semblait comprendre qu'elle parlait l'anglais, qu'elle n'était ni folle ni sauvage, et il l'accueillit avec un “Bon après-midi, madame””.
Quel discours politique pourrait mieux que
Ruth Rendell dire que l'autre, différent par sa couleur ou ses origines, n'est pas un ennemi ? Ce n'est pas le moment de l'oublier.