Heureux les heureux

Les hommes sont d’une fixité totale. C’est nous qui créons le mouvement. On s’épuise à animer l’amour.

La journaliste me demande si je suis enrhumée. Je dis, non, pourquoi ?
Elle trouve ma voix plus grave dans la vie. Elle dit que j'ai des intonations d'alcôve. Je ris bêtement. Elle croit me faire plaisir avec cette expression idiote.

Jeannette aimerait m'ensevelir avec elle pour que les promeneurs voient nos deux noms. Jeannette Blot et son mari dévoué, bien arrimés dans la pierre. Elle voudrait effacer pour jamais les avanies de notre vie conjugale.

Raoul Barnèche
J'ai mangé un roi de trèfle. Pas entièrement, mais presque. Je suis un homme qui est arrivé à cette extrémité de pouvoir mettre dans sa bouche un roi de trèfle, d'en déchiqueter une partie, de le mâcher comme un sauvage mâcherait de la chair crue et de l'avaler. Je l'ai fait. J'ai mangé une carte manipulée par des dizaines d'autres avant moi, en plein tournoi de Juan-les-Pins. Je ne reconnais qu'une chose, l'erreur de départ. Jouer avec Hélène. M'être laissé prendre à la petite musique sentimentale des femmes. Cela fait des années que je sais que je ne dois plus jouer en équipe avec ma femme Hélène. L'époque où nous pouvions le faire, dans un esprit d'harmonie - le mot est exagéré et n'existe pas au bridge - disons d'indulgence, en tous cas de ma part, dans un esprit, je cherche le mot, de conciliation, est révolue depuis longtemps.

J'éprouve le même sentiment que mon ami Pauline quand elle a retrouvé un collier, hérité de sa propre mère, perdu dans des herbes hautes. En passant par un village, son mari a arrêté la voiture pour se précipiter dans l'église. La porte était fermée, il s'est mis à secouer le loquet de façon frénétique.
Mais qu'est-ce que tu fais ? Je veux remercier Dieu il a répondu.
-Dieu s'en fout !
- Je veux remercier la Sainte Vierge.
- Ecoute Hervé, si Dieu il y a, si Sainte Vierge il y a, tu crois qu'au vu de l'univers, des malheurs terriens et de tout ce qui s'y passe, mon collier leur importe ?!...
Donc j'invoque mon père qui me semble plus atteignable.

Ca faisait longtemps que je ne m'étais pas adressée à mon père. Depuis que mon père est mort, je lui demande d'intervenir dans ma vie. Je regarde le ciel et lui parle à voix secrète et véhémente. C'est le seul être à qui je peux m'adresser quand je me sens impuissante. En dehors de lui, je ne connais personne qui ferait attention à moi dans l'au-delà. Il ne me vient jamais à l'idée de parler à Dieu. On ne peut pas lui parler directement. Il n'a pas le temps de s'intéresser à des cas particuliers. Ou alors à des cas exceptionnellement graves. Dans l'échelle des implorations, les miennes sont pour ainsi dire ridicules.

Je ne crois en rien. Certainement pas à toutes ces imbécilités religieuses. Mais un peu aux anges. Aux constellation. A mon rôle, même infinitésimal, dans le livre des causes et des effets. Il n'est pas interdit de s'imaginer partie d'un tout.
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Il ne me vient jamais à l'idée de parler de Dieu. J'ai toujours considéré qu'on ne pouvait pas déranger Dieu.. On ne peut pas lui parler directement. Il n'a pas le temps de s'intéresser à des cas particuliers. Ou alors à des cas exceptionnellement graves. Dans l'échelle des implorations, les miennes sont pour ainsi dire ridicules.
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Les femmes sont séduites par des hommes effroyables, parce que les hommes effroyables se présentent masqués comme au bal. Ils arrivent avec des mandolines et des costumes de fête.

Les femmes se construisent à l’intérieur d’elles-mêmes, des palais enchantés.