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Critique de Arimbo


Les illuminations

Les Illuminations sont devenues au fil du temps mon oeuvre préférée de Rimbaud et sans nul doute, de toute la poésie.

Et pourtant, quand j'étais adolescent ce sont, comme pour beaucoup, je crois, les premiers poèmes pleins de cette extraordinaire fraicheur juvénile : Sensation, Première soirée, Roman, Ma bohème, Au Cabaret Vert, ...et les saisissants Ophélie, le Dormeur du Val, qui m'ont d'abord attiré. Puis ce fut la révélation de ce texte halluciné et plein de feu qu'est Une Saison en Enfer.

Le recueil Les illuminations me paraissait alors plus difficile, plus obscur, sauf quelques poèmes comme le merveilleux texte Aube.
Mais, avec le temps, j'ai apprivoisé ce monde magique et ses énigmes. Maintenant, il m'accompagne quasi quotidiennement. Et donc, chère lectrice ou lecteur de ma petite critique, si tu n'as pas lu ce recueil, ou si tu as été rebuté par une première lecture, mon but est de te dire: il faut que tu t'accroches, une merveille t'attend, mais elle se mérite.

Dans ce cheminement vers la beauté, la lecture des ouvrages de références, ceux de Bruno Claisse, Pierre Brunel, Antoine Fongaro, Michel Murat, celle du site internet remarquable d'Alain Bardel, m'ont beaucoup aidé et accompagné.
Mais c'est surtout la mémorisation de la quasi totalité de ces poèmes, appris par coeur un par un, et leur déclamation à haute voix, qui m'a fait saisir le miracle de leur construction, pour certains, leur puissance évocatrice, et pour d'autres leur profondeur philosophique.

Apprendre un poème des Illuminations et le déclamer, c'est gravir progressivement une montagne. Au début du chemin, vous n'êtes qu'enfermé entre quelques arbres, et puis bientôt voilà que des petites rivières, des prairies semées d'animaux, des villages s'offrent à votre vue, Et puis, chemin faisant, de plus en plus de beaux points de vue apparaissent. Et enfin, arrivé au sommet, c'est un immense paysage avec son infinité de beautés que vous contemplez, et vous ne vous lassez pas de toutes ces vues.
Et chaque fois que vous récitez ce poème, ces vues changeront selon votre humeur et le temps qui aura passé. Et vous pourrez dire comme ce cher Arthur : « Je sais aujourd'hui saluer la beauté. »

Quelle étrange histoire que celle de ce recueil. En 1875, Rimbaud remet à Verlaine un ensemble de feuilles numérotées de 1 à 24, et quelques unes non paginées. Puis, bien plus tard, en 1895, on retrouvera 5 autres poèmes. En 1886, c'est à l'initiative de Verlaine que sont publiés, avec les dernières oeuvres en vers du poète, 41 des 48 poèmes, avec un titre donné par Verlaine, et un sous-titre « Painted Plates »(Gravures Colorées). On ne sait pas si c'était l'idée du titre était de Rimbaud, celui-ci s'étant volontairement retiré de l'activité poétique depuis 1875. D'ailleurs, les poèmes furent publiés sans lui avoir demandé son avis!

Une des grandes originalités de l'écriture poétique des Illuminations, si elle est comparée aux Poèmes en Prose du Maître Baudelaire, c'est la grande diversité des formes employées, et la construction résolument « moderne », fondatrice de ce que sera la poésie du 20ème siècle. Alors que chez Baudelaire, c'est le récit poétique qui prédomine largement, Rimbaud va déployer de multiples formes : le récit en prose de Vagabonds, Ouvriers, tous ceux des Villes, par exemple, la description poétique de Ponts, Fleurs, Mystique, Ornières, mais surtout les poèmes alinéaires, avec des reprises et des parallélismes, comme Métropolitain, Barbare, Conte, Génie, Soir historique, Nocturne, Aube etc.., ceux utilisant systématiquement l'anaphore comme Dévotion, Enfance III et IV, Solde,…aussi des ruptures du discours, utilisant l'asyndète, dont Angoisse est le plus bel exemple.
Et enfin, le vers libre dont Rimbaud est le créateur, dans les deux poèmes Marine et Mouvement.

Il y a aussi chez Rimbaud, des essais formels très remarquables tel celui de créer des poèmes très courts, dans le merveilleux Phrases, comme celui-ci, « J'ai tendu des cordes de clocher à clocher, des guirlandes de fenêtre à fenêtre, des chaînes d'or d'étoile à étoile, et je danse » avec une scansion extraordinaire et surtout les deux derniers mots lancés comme un cri. Un poème magnifiquement mis en musique par Britten, et les deux derniers mots chantés dans un suraigu vertigineux.
Une autre caractéristique de ces poèmes, c'est leur variations de rythme, tantôt doux et calme comme dans Antique, Fleurs, Les Ponts, Mystique, tantôt et c'est très souvent le cas, leur rythme ardent, énergique, quasi explosif, impérieux, impulsif, leur caractère scandé, si caractéristique du tempérament de Rimbaud, et souligné par Aragon, Char, Eluard, Valéry et tant d'autres.
Et puis il y a leur musicalité que l'on apprécie en déclamant à haute voix, dont un exemple emblématique est le poème Antique et ses incroyables sonorités, allitérations, mais on retrouve cela dans bien d'autres… .

Mais surtout, il faut le dire haut et fort, Rimbaud forge ici de la façon la plus complète et la plus aboutie ce nouveau langage poétique qu'il théorisait déjà alors qu'il avait à peine 17 ans dans sa célèbre lettre à Paul Demeny.
C'est-à-dire une poétique dans lequel le langage ne soit pas un langage de communication, mais soit centré sur le message esthétique, joue sur son propre code, en quelque sorte soit à l'état pur la 6ème fonction du langage de Jakobson, la fonction poétique.
Cette approche qui diffère complètement de l'approche des poètes romantiques ou parnassiens, est celle que l'on trouve chez Lautréamont, Mallarmé, et presque tous les poètes du 20 ème siècle.
Cela implique que le sens ne s'offre pas de façon immédiate, mais que les mots soient employés pour les sons qu'ils provoquent, les images qu'ils évoquent, leurs correspondances, leurs multiple sens etc..
Et donc, bien entendu, ce n'est pas accessible au lecteur ou à la lectrice distrait(e), ou à ceux qui recherchent les mots doux, les belles images,.
Mais cependant, chez Rimbaud, à la différence de Mallarmé, et c'est en quelque sorte pour lui une contradiction insoluble, une impasse, cet hermétisme du langage va de pair avec une volonté de changer la vie, une lutte contre le conformisme, qui transparait, pour peu que l'on prenne le temps de bien les lire, dans de nombreux poèmes : Après le Déluge, Départ, Génie, Barbare, Soir historique, pour n'en citer que quelque uns.

Classer ces poèmes et dégager une structure à ce recueil n'est pas simple.

Les plus simples à définir sont :
- d'une part les merveilleuses descriptions quasi picturales, impressionnistes, qui méritent le qualificatif de « painted plates » donné par Verlaine : le merveilleux poème Les Ponts, un paysage où Rimbaud va glisser des connotations colorées et musicales, les poèmes Fleurs, Mystique, Marine, Ornières
- d'autre part les récits à connotation autobiographique plus ou moins explicite, dont les poèmes d'Enfance, Vagabonds, Ouvriers, Vies, le magnifique Départ, qui donne en quelques phrases cet impérieux appel vers l'aventure, Angoisse, encore un superbe poème, cette fois de la lutte contre « cette chienne de vie », et aussi certains avec une signification érotique cryptée tels Bottom, Dévotion.

Pour le reste, je tente ici un classement personnel, bien critiquable sans doute.

D'abord les poèmes dans lesquels Rimbaud évoque à nouveau son projet poétique et sa recherche de l'absolu, certains désabusés, avouant l'échec de l'entreprise, tels Conte, poème d'une incroyable beauté formelle, et rempli d'un jeu d'oxymores, et sur le temps des verbes absolument époustouflant, ou le magnifique Solde, qui est considéré actuellement comme le dernier du recueil. Mais il y en a toujours d'autres proposant à nouveau le but « prométhéen », tels Soir Historique ou Jeunesse. Chez Rimbaud, cet impulsif toujours en mouvement, on trouve, depuis le Bateau Ivre, la volonté impérieuse d'aller vers le large, et le retour désabusé au port.

Il y a ceux d''orientation philosophique, ou politique, celui qui est le prologue du recueil : , Après le déluge, qui évoque l'échec de la Commune mais l'espoir d‘un printemps, révolutionnaire, et un des derniers, Génie qui célèbre le génie de l'humanité débarrassée des vieilles croyances. Mais ce sont aussi tous les textes très critiques de la modernité, la fièvre des explorations dans Mouvement, et tous ces poèmes qui mettent en avant la misère des villes. (Ville, Villes, Métropolitain).

Enfin, et ce sont peut-être les plus beaux, les poèmes oniriques voire apocalyptiques : le célébrissime Aube, Antique, avec sa fin à la signification érotique, Being Beautous, dont le sens érotique n'échappe pas non plus à un lecteur un peu attentif, aussi Nocturne Vulgaire, Matinée d'ivresse, et enfin, Barbare, pour moi le plus beau par sa construction et sa puissance évocatrice.

En conclusion, ce (trop) long commentaire n'atteindra sans doute pas son but, mais tant pis, j'aurais essayé.
Chère lectrice, cher lecteur, retenez au moins cette invite du grand poète Yves Bonnefoy : « il faut absolument lire Arthur Rimbaud », et j'espère que vous y trouverez, comme moi, grâce à lui, un émerveillement de chaque jour.
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