La Fabrique de la pandémie, constitue un ouvrage très intéressant, publié avant le film qui sort ces jours-ci, il est le fruit du confinement pour cette anticipation par rapport au film, l'autrice,
Marie-Monique Robin est une journaliste d'investigation chevronnée, elle a notamment réalisé le film documentaire « le monde selon Mosanto »
Fondé sur l'interview de plusieurs dizaines de scientifiques, dans une dizaine de pays, c'est un parcours de grande qualité pédagogique, sans langue de bois, avec force détails et à chaque fois le parcours du scientifique interrogé, souvent le point de départ de sa vocation et ses motivations pour approfondir sa recherche sont exposés, très simplement, ce qui nourrit le fil rouge des découvertes et interrogations de
Marie-Monique Robin et par ricochet celles du lecteur.
Le livre regorge de références, de décryptages d'expériences et nous passons en revue les pathogènes, les maladies associées.
La thèse centrale développée magistralement et très simplement ici est que le seul antidote face aux maladies émergentes ( 5 par an, au lieu d'une tous les 15 ans au siècle dernier ) est la préservation de la biodiversité. La course aux vaccins est vaine, et le confinement chronique de la population impossible à tenir dans la durée.
Les trois facteurs principaux qui ouvrent un boulevard aux virus sont : la déforestation, la concentration d'animaux domestiques élevés industriellement et la globalisation entraînant des déplacements pour les êtres et les choses qui sont devenus délirants.
Solidement guidée par
Serge Morand écologue , auteur de
l'Homme, la faune sauvage et la peste (Fayard 2020), le parcours d'investigations s'enrichit et rebondit de page en page.
Au delà de la question de la connaissance, j'ai particulièrement noté l'effet dilution, le rapport entre la biodiversité extérieure et la biodiversité intérieure de notre microbiome par ensemencement, l'éducation de notre système immunitaire dès la jeune enfance pour éviter allergies et maladies auto-immunes. Les solutions pour maîtriser les pandémies via le renforcement de la biodiversité sont abordées et fort bien illustrées. En voici quelques aspects que j'ai plus personnellement retenus :
- des exemples de reforestation réussie en Thaïlande sur 20 ans par constitution de communs gérés par les utilisateurs
- le déploiement du programme « One Health » qui s'intéresse aux liens entre la santé animale et humaine ainsi que Planetery Heath plus large puisqu'il inclut dérèglement climatique, la production d'aliments, la pêche industrielle et l'aménagement des villes et examine toutes les activités humaines sous le prisme de leur impact sur les écosystèmes et la santé globale.
- L'écologie des maladies zooniques progresse, pour cela il a fallut démontrer que la biodiversité est le pilier de la santé des écosystèmes au travers notamment de l'ecotron. Une machine qui a permis de répliquer des écosystèmes dans un milieu contrôlé à l'instar des accélérateurs de particules pour les physiciens, les télescopes spaciaux pour les astronautes, moyens importants et bien mieux médiatisés !
Sur les leçons à tirer de la pandémie de Covid 19, formidable coup de semonce
Marie-Monique Robin souligne les dérives de la biosécurité.
Revenons sur quelques exemples récents :
- 1998 : 2,4 millions de bovins sont abattus en Grande-Bretagne, en 2004 épisode H5N1 en Thaïlande, on abat 60 millions de poulets ( ceux des petits producteurs pas ceux des grands élevages censés être mieux contrôlés !) et il n'y a pas eu de repeuplement par les races locales, cela s'apparente à une dérégulation des écosystèmes et donc on augmente le risque d'émergence de futures pandémies ..
- On a dépensé 1,2 milliards de dollars pour identifier et séquencer les 1 700000 virus ( réalisation EcoHealth Alliance) que les oiseaux sont censés héberger et dont la moitié pourrait sauter vers les humains mais sans aucun résultat pratique…
- Selon les propos d'un écologie travaillant en Guyane : il est plus facile de de séquencer des virus, qui d'ailleurs mutent en permanence ! Plutôt que de lever des fonds pour préserver des arbres au fin fond d'une forêt tropicale
- Propos d'un spécialiste de l'ulcère de Buruli: il y a une tendance actuelle à l'infectiologie exploratoire qui prétend décrire les monstres de demain, alors que c'est nous qui les créons et les sortons du bois !
En conclusion, nous prenons conscience que le temps de la solidarité écologique est venu, l'urgence commande de faire appel et de construire une recherche transdisciplinaire.
Il faut entendre (adresse aux politiques) les chercheurs de terrain, et donc, pour ne prendre qu'un aspect, en Asie et en Afrique s'attaquer à la pauvreté, car tant qu'on vit dans la pauvreté on ne peut pas s'occuper de protéger la nature. Et nous y avons tous intérêt : pour diminuer les territoires d'émergence la suppression des poches de misères est la condition nécessaire.
Petit rappel : le risque est la combinaison entre le danger, l'exposition, la vulnérabilité, il faut donc considérer ces trois paramètres et ne pas confondre risque et danger.
Application pratique :
- le danger : vous allez au marigot avec une plaie : vous pouvez être infecté par une microbactérie
- L'exposition : vous avez peur de l'eau, la probabilité d'attraper un ulcère de Buruli est presque nulle
- Vulnérabilité : individuelle ou collective conséquence de la précarité, de la malnutrition, de l'absence d'accès aux soins, elle est directement liée à la misère
La disparition des civilisations à deux raisons principales : la surexploitation des ressources naturelles couplée à une distribution in égalitaire de la richesse produite selon Sofa Motesharrei de l'université du Maryland qui a publié une étude sur ce sujet, nous savons également que depuis 1950, tous les 17 ans nous doublons notre impact sur la planète…
Merci donc pour ce travail documentaire passionnant, précis et vivant autour de l'interview de 66 scientifiques, engagés sur leur thèmes de recherche et sur le terrain.
Le meilleur contrefeu à la peur, c'est la connaissance, force est de constater que je Science fait peur ! Même à Arte qui n'a pas voulu produire le film sur
la fabrique des pandémies et qui doit sa sortie à la persévérance hors norme et à la notoriété de
Marie Monique Robin.
La piste des raisons d'espérer ne peut se trouver qu'en acceptant de regarder les faits en face pour comprendre et ensuite agir..