La sympathie qui naît à la lecture de ce texte s'affirme au fil des pages.
Persuadé, habité par l'idée d'être écrivain, comme
Paul Auster, ne pas savoir quoi faire d'autre oblige malgré tout à survivre, à manger comme tout le monde, occupation alimentaire qui, en l'occurrence, devient un observatoire du temps qui passe, des gens qui vivent et survivent. Un matériau de roman est ainsi servi sur un plateau mais ce n'est pas le sujet du futur roman lauréat du prix Goncourt, prétexte à l'évocation du chemin de croix que fut la dernière ligne droite de l'écrivain, toujours en herbe à 36 ans, en proie aux affres du doute le plus existentiel qui soit. Il y eût quelques encouragements, certes, sans risques, de comités de lecture, de ceux qui n'engagent que ceux qui les écoutent, porte ouverte aux faux espoirs, clous enfoncés dans la statuaire du poète maudit mais
Jean Rouaud, né à la campagne comme il aime à le rappeler, a la lucidité et l'humilité de celui qui doit bosser encore et encore sur le sujet, si le travail ne paie pas, au moins occupe-t-il l'esprit, tout travail restant présent dans la mémoire de celui qui l'a accompli.
Le Paris des années 80 respire encore. Les derniers souffles du vent de liberté post soixante-huitard aèrent quelque peu le quartier ou officie notre homme, les personnages hauts en couleurs se disputent le pavé, conversations mille fois répétées, monde reconstruit maintes fois et joutes verbales d'indécrottables romantiques, nostalgiques du Grand soir ou de ses soubresauts cathartiques. Terreau idéal pour qui se nourrit de ces êtres hors champ, échappant aux radars sociétaux de nos analystes algorithmés, individus dont la vie n'est qu'une suite de défis à la compréhension et à la prudence la plus élémentaire, tel est le compagnonnage toujours renouvelé du kiosquier de la rue de Flandre.
L'attribution du Goncourt ne lui fera pas oublier ses camarades de trottoir. le
kiosque n'existe plus, comme la presse écrite, ils disparaissent, témoins visibles d'une diversité non encore passée à la moulinette de la numérisation neuronale.
Plaisante lecture